Entre 2003 et 2005, près d’un tiers des français ont vu leur niveau de vie évoluer de plus de 30% , en plus ou en moins, une évolution très différente de la vision habituelle de l’ascenseur social, dans les délais, les montants et les causes.
La question généralement abordée à travers le concept d’ascenseur social est celle de la reproduction ou non des statuts sociaux d’une génération à l’autre. Combien de fils ou filles d’ouvriers passent ils dans les classes moyennes, combien deviennent ils cadres, ou quelle proportion des enfants de cadres se retrouvent employés ou ouvriers. C’est une logique de temps long, qui interrogent sur le rôle de l’école, des revenus et du patrimoine, des relations, , dans la reproduction sociale.
L’enquête de l’INSEE est au contraire sur le temps court puisqu’elle s’intéresse aux évolutions sur les années 2003 à 2005, en deux ans. Les dates renvoient au moment où a été faite l’étude et non à une période particulière de la conjoncture qui expliquerait spécifiquement le phénomène étudié.
Il apparaît donc que sur cette
période la population s’est répartie en trois parties à peu près égale du point
de vue de l’évolution du niveau de vie : un gros tiers (36%) a eu une
évolution faible (écart inférieur à 10%), l’INSEE parle de relative stabilité,
un petit tiers a vu au contraire son niveau de vie évoluer fortement, avec des
écarts supérieurs à 30%, le dernier tiers se situant évidemment entre les deux.
Pour une personne en place depuis une dizaine d’années chez son employeurs, sans changement d’emploi, l’évolution du revenu sur deux ans se compte généralement en quelques pour cent, dont tout ou partie est mangé par l’inflation. Intuitivement, on se dit que pour 80 ou 90% de la population, l’évolution du revenu sur deux ans est très loin même de l’écart de 10% maximum du groupe « relativement stable » de l’INSEE
Il y a deux raisons principales pour lesquelles l’INSEE donne des résultats différents de l’intuition. La première a trait aux entrées et sorties de l’emploi, la seconde au fait que l’enquête regarde le niveau de vie et non le revenu.
Il y a une grande proportion de personnes qui entrent ou sortent de l’emploi puisqu’un rapport chiffrait à 37% ceux qui n’étaient plus dans la même entreprise au bout d’un an.
Passer d’un
emploi en intérim à l’autre, enchaîner les CDD ne se traduit pas forcément par
une variation du revenu, encore qu’il suffit d’un trou de quelques mois qui
apparaît ou qui disparaît pour que l’écart soit supérieur à 10%
Mais il y a aussi le cas de ceux qui passent d’un chômage de longue durée à l’emploi et réciproquement, ceux qui ont leur premier emploi, ceux qui partent en retraite, ceux qui prennent un congé parental ou en reviennent, ceux qui passent à temps partiel ou reviennent à temps complet. Là, on peut trouver des écarts de plus de 30% sur deux ans.
La deuxième
raison des variations vient du fait qu’on parle de niveau de vie et renvoie à
la structure du ménage considéré et à ses variations. Si j’ai un enfant
supplémentaire, à revenu égal, mon niveau de vie varie évidemment.
Comme je le notais en janvier dans cet article, on apprécie le niveau de vie en comptant des unités de consommation dans le ménage. Le premier adulte compte pour 1, le deuxième pour 0,5. Les enfants de plus de 14 ans comptent pour 0,5 chacun et ceux de moins de 14 ans pour 0,3 chacun.
Donc si deux adultes ayant chacun le même revenu 100 se mettent ensemble, leur niveau de vie moyen va passer à (100+100)/1.5 soit 133 ! Il aura donc pour l’INSEE augmenté de plus de 30%. Mais peut être que deux ans après ils ont un enfant et que du coup l’un d’entre eux passe à temps partiel. Si leur situation professionnelle n’a pas changé, ils peuvent alors avoir un revenu qui est passé à 180 et un ménage qui compte1+05+03 soit 1.8 unités de consommations, ce qui ramène leur niveau de vie à 100 comme au départ !
Les calculs précédents ne
prennent pas en compte les effets redistributifs des impôts ou allocations
familiales. On comprend que les partisans des allocations familiales ou du
système de parts pour l’impôt sur le revenu mettent en avant l’impact des
enfants sur le niveau de vie des ménages !
Dans les événements familiaux, il faut donc noter la mise en couple et la séparation, l’arrivée des enfants mais aussi leur départ, tous événements qui font varier, parfois fortement, le niveau de vie.
A noter cependant qu’il s’agit
d’une mesure théorique. Par exemple, entre la personne qui passe à temps
partiel pour s’occuper un peu de ses enfants et celles qui reste à temps
complet, l’INSEE mesure une différence de revenu et donc de niveau de vie. Mais
elle ne peut prendre en compte les économies réalisées par la personne à temps
partiel parce qu’elle effectue pour elle même des services (par exemple de
garde d’enfant) sans passer par le système marchand.
L’INSEE note aussi que « Parmi les personnes ayant été touchées par une désunion entre 2003 et 2005, la baisse médiane de niveau de vie atteint 31 % lorsque c’est une femme qui se retrouve seule à la tête du ménage, mais seulement 6 % lorsque c’est un homme» .
Enfin l’étude précise que 62 % des personnes qui faisaient partie des 20 % les plus modestes en 2003 le sont restées en 2005, 21 % sont passées dans les 3e ou 4e déciles. De même, près de 40 %des personnes qui étaient parmi les 20 % les plus aisées en 2003 ne le sont plus en 2005.
Si après avoir examiné dans le détail toutes les raisons
qui expliquent des évolutions de niveau de vie, j’avais eu à prédire comment
les français se répartissaient selon les catégories moins de 10%,, plus de 30%
et entre les deux, je ne crois pas que j’aurais imaginé que la proportion de
personnes touchées par des fortes évolutions était si importante.
Au point qu’on peut se demander comment une telle étude
conduit à re situer les réflexions sur l’ascenseur social ou sur la peur du déclassement !
PS. A noter pour finir que la manière de créer une catégorie crée une asymétrie. Si mon revenu est de 100 et qu’il baisse de 30 %, il devient 70, mais s’il ré augmente de 30% il ne retourne qu’à 91. Ce qui signifie que l’écart vers le bas a en réalité était pris plus grand que l’écart vers le haut dans cette étude.
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