Limiter les naissances , un remède au péril climatique ? titrait le Monde en Une ce 18 novembre, à partir du rapport 2009 d’une agence de l’ONU. Malheureusement le contenu de l’article et les définitions incidentes montraient surtout l’incapacité des journalistes de ce quotidien à informer correctement sur un sujet, dès qu’il est un peu scientifique et utilise des chiffres.
Que le
Monde s’intéresse à la démographie n’est pourtant pas un mal après tout !
Déjà dans le numéro daté du 15/ 16, une page entière signalait que l’Afrique a
franchi le cap du milliard d’habitants et que sa part dans la population
mondiale ne cesse d’augmenter, comme continent moins avancé que les autres dans
la transition démographique.
L’article, largement ouvert à des experts de
l’INED montrait la diversité des réalités et avancées, les questions pratiques
rencontrées sur place. Seule une phrase sur la polygamie qui favoriserait la multiplication des naissances (sans plus
d’explication) faisait sursauter celui qui est habitué à des indices de
fécondité portant sur le nombre d’enfants par femme.
L’article du 18 est beaucoup
moins bien documenté. Il aurait peut être gagné à être écrit par le même
journaliste.
Une définition en incidence
rappelle que pour un renouvellement à l’identique des populations d’une
génération à l’autre, il faut 2,1 enfants par femme en moyenne. Et en lisant
cela, on comprend que les auteurs ne comprennent rien à ce qu’ils écrivent.
Manifestement, ils ne se sont pas
demandé pourquoi il fallait 2,1 enfants par femme et non pas deux. On va donc
l’expliquer ici.
Pour un renouvellement à
l’identique des générations, il faut que chaque femme en âge de procréer donne
naissance en moyenne à une fille qui atteindra l’âge de procréer
Donc l’ensemble des garçons et les filles qui n’atteignent pas l’âge de procréer ne comptent pas.
Il faut donc rappeler que, en
dehors des sociétés où on s’arrange pour supprimer les filles à naître, il naît
en moyenne 1.04 garçon pour une fille. Si toutes les filles atteignaient l’âge
adulte, il faudrait donc 2.04 enfants par femme
Mais bien sûr toutes les filles
n’atteignent pas l’âge adulte.
En France métropolitaine, il meurt ainsi environ
4 enfants sur mille à moins d’un an. Et bien sûr quelques autres entre 1 et disons
15 ans. C’est ainsi qu’on arrive à peu près pour notre pays au nombre de 2,1,
nombre qui varie évidemment dans le temps, au fur et à mesure de la baisse de
la mortalité, mais dans des proportions faibles, qui ne changent pas
notablement ce nombre de 2.1, qui peut donc servir de repère
Pour le France et la plupart des
pays développés probablement (disons ceux de l’OCDE)
Mais évidemment pas pour
l’ensemble de la population mondiale, comme la rédaction du Monde aurait du y
réfléchir, si elle comprenait les sujets qu’elle aborde.
Dans des pays comme le Niger, cité dans l’article, pour lequel l’INED donne une fécondité de 7.1 enfants par femme (Wikipédia donne même 7.46 !), la mortalité infantile (c'est-à-dire avant un an) indiquée est de 108 pour 1000 enfants, c'est-à-dire presque un sur 9 ! Et on imagine bien qu’il continue à y avoir des décès entre 1 an et l’âge de procréer ! Le taux de fécondité nécessaire au renouvellement est donc très largement supérieur à 2,1, probablement supérieur à 3 voire à 4 enfants par femme.
A titre de comparaison, on pourra découvrir sur la très bien faite animation de l'INED sur la durée de vie, qu'en 1750 en France, la durée médiane de vie était de 10 ans (la moitié des français mourraient avant cet âge)
Au niveau de l’ensemble de la
population mondiale, on note une mortalité infantile de 48 pour mille, 12 fois
plus forte que celle de la France mais plus de deux fois plus faible que celle
du Niger. Pour tenir compte de cette seule mortalité infantile, il faudrait
diviser notre 2.04 par 0.952 (1000 moins 48) ce qui donne environ 2.14. En
tenant compte des décès dans le reste de l’enfance, on arrive autour des 2.5
enfants par femme qui correspondent aujourd’hui à la fécondité moyenne dans le
monde. Depuis 2003 environ, nous sommes passés en dessous du seuil de
renouvellement sur l’ensemble de la planète, mais ce n’est pas avec de tels
articles que nous en saurons plus.
Revenons maintenant à l’article,
qui donne un peu la parole aux spécialistes, mais surtout sans insister sur les
idées intéressantes (comme le rôle de l’éducation scolaire des filles dans la
baisse de la fécondité) pour développer une idée bien occidentale : le
manque d’accès à une contraception moderne dans certains pays.
Il ne s’agit pas ici de dénier
l’intérêt d’une contraception « moderne » mais de rappeler d’une part
que la fécondité peut baisser fortement sans elle et d’autre part que la
question clé n’est pas celle des moyens mais celle de l’appropriation par la population
concernée et particulièrement les femmes, d’un objectif de nombre limité de
naissances.
La France a cessé de voir sa
population augmenter à partir de la Révolution. D’après une jeune femme que
j’ai rencontré il y a peu, la principale raison en a été le code Napoléon qui
supprimait le droit d’aînesse dans le système d’héritage, incitant les paysans
à limiter leur nombre de garçons pour ne pas diviser la propriété. Je ne suis
qu’à moitié convaincu : en 1900, il y avait très peu de familles de 2 ou 3 enfants, les familles se
répartissant essentiellement, contrairement à aujourd’hui, entre celles qui
n’avaient aucun enfant ou un seul et celles qui en avaient plus de quatre.
Mais qu’importe : sans
pilule ni stérilet, les françaises avaient su limiter leurs naissances.
On sait aussi que la méthode la
plus simple pour obtenir une première réduction des naissances dans les pays à
très fort taux de fécondité consiste à repousser au-delà de 18 ou 20 ans l’âge
du mariage.
Le Maghreb qui a réalisé sa
transition démographique en 40 ans, l’Iran qui est passé de 6,4 enfants par
femme à 2.8 entre 1986 et 1996 (en dix ans !) ne le doivent évidemment pas
à la distribution massive des moyens de contraception, mais bien d’abord à un
changement des mentalités, difficilement explicable dans le cas de l’Iran
autrement que par la forte élévation du taux de scolarité des filles.
Il reste que climat ou pas
climat, l’Afrique reste le seul continent à ne pas avoir accompli sa transition
démographique, même s’il reste des régions en retard dans ce domaine sur
d’autres continents : quelques pays du Moyen Orient comme le Yémen, la
Palestine ou l’Irak sont toujours a plus de 4 enfants par femme, l’Afghanistan
est à près de 7, et le Laos ou le Pakistan, qui sont déjà descendu à un peu plus
de 3, ont encore un peu de chemin à faire.
Dans le cas de l’Afrique, la
nécessité de ralentir puis arrêter la croissance démographique est évidente,
dans un continent marqué par la poussée des déserts et la dégradation de la
nature.
Ceci dit, comme le notaient les
experts de l’INED, la situation est contrastée : l’Afrique du Nord et
l’Afrique australe ont fait l’essentiel du chemin. Ailleurs, la transition est
en route dans certains pays comme le Gabon ou le Ghana, et apparemment le
Zimbabwe (mais ce pays n’est guère un exemple). Et un pays comme le Kenya peut
afficher un bon taux de scolarité pour les filles et garder une forte natalité.
Les problèmes sont donc beaucoup trop complexes pour les réduire à la seule question des moyens d’accès à une contraception moderne. Mais s’il faut en plus réfléchir quand on écrit pour la Une du Monde, où va-t-on ?
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