Un de mes amis m’a fait découvrir ce livre de René Girard, auquel j’ai consacré avec beaucoup d’intérêt quelques heures de vacances. Si le caractère systématique de la thèse présentée gêne parfois, son originalité et sa force sont appréciables, d’autant que l’auteur n’hésite pas à ouvrir sa réflexion sur des disciplines variées.
René Girard est présenté par Wikipédia comme un philosophe. Ancien élève de l’école des chartes et devenu en 2005, à 81 ans, membre de l’Académie Française, il a exercé comme professeur de littérature comparée dans deux universités américaines, et il a d’abord été connu pour ses œuvres sur le sujet, puis par le livre « la violence et le sacré » où il s’intéresse au désir, à la violence et au religieux. Il se définit lui même comme un anthropologue de la violence et du sacré. Il semble avoir été mieux reçu par le public que par les milieux universitaires.
Ce faible intérêt des autres chercheurs peut s’expliquer par une solidité jugée insuffisante de ses idées ( ?) mais aussi par leur caractère trop transverse, qui ne facilite pas la critique et l’appropriation par un milieu défini. Il faut dire aussi que René Girard, convertit au catholicisme dans les années 60 et favorable à Benoît XVI, n’est peut être pas dans l’air du temps, au moins dans notre pays. D’après Wikipédia, ses thèses sur le désir mimétique intéresserait aujourd’hui les chercheurs en sciences cognitives.
Une de ses idées principales est en effet celle du désir mimétique, selon laquelle notre désir est toujours suscité par le désir qu’un autre – le modèle – a du même objet. Cette affirmation n’est pas issue d’observations des individus mais de l’étude des textes des romanciers et auteurs de théâtre, chez lesquels il décèle des constantes dans la mécanique des rapports humains.
Cette idée du désir mimétique n’est pas ce que je retiendrais de majeur dans « la violence et le sacré » mais il est à noter que l’analyse de l’auteur s’appuie autant sur l’analyse des tragédies grecques (sur Œdipe notamment) que sur les descriptions par les anthropologues des rites religieux des différentes sociétés primitives.
La thèse peut se résumer assez simplement, même si elle est décrite avec beaucoup de détails dans une volonté de démonstration. Pour l’auteur, la tendance naturelle d’une société humaine est ce qu’il appelle la violence réciproque : pour de nombreuses raisons, nous sommes tentés d’être violents entre nous. Surtout, il y a une logique de vendetta, c'est-à-dire que si une personne est tuée, il se trouvera des proches pour la venger, puis quelqu’un pour punir le vengeur, dans un processus qui ne s’arrêtera jamais. On comprend que les sociétés qui n’ont pas trouvé de sortie à cette violence réciproque se sont auto détruites.
Celles qui ne l’ont pas fait ont à un moment détourné leur soif de violence vers une personne, qui a fonctionné comme bouc émissaire. Cette personne (Œdipe lui même dans la tragédie grecque), sur laquelle s’est faite cette fois une violence unanime, est à la fois rejetée (pour justifier qu’on lui fasse porter tous les maux) et valorisée (puisque c’est grâce à elle qu’il a pu être mis fin au cycle infernal de la violence réciproque).
Pour éviter de retomber dans le cycle de violence réciproque,ces sociétés se sont mises à renouveler symboliquement la violence tournée vers le bouc émissaire, selon un rite sacrificiel. La victime sacrificielle peut être un humain, mais c’est plus généralement un animal, l’important étant qu’il puisse symboliser la vidime initiale et que le sacrifice puisse canaliser la violence et l’évacuer.
Si l’affirmation de René Girard que tous les rites sacrificiels renvoient au même type d’expérience primitive de la violence unanime détournant de la violence réciproque est assez dure à faire passer, la démonstration ne manque cependant pas d’intérêt.
On retiendra d’abord le fait que dans nos sociétés, le risque de violence réciproque est normalement écarté par le fonctionnement de la justice. On ne peut pas se venger de la personne qui a fait justice puisqu’il ne s’agit pas d’une personne mais d’un état impersonnel. On comprendra que le fait que la punition soit faite au nom du non respect des règles de la société et non au nom des victimes est fondamental car il brise l’engrenage de la violence réciproque. Et que la décision gouvernementale après le procès Fofana est une grave erreur puisqu’elle accepte de donner aux victimes le rôle de discuter la sanction, ce que notre droit dans sa sagesse, leur dénie
Mon ami m’avait recommandé cette lecture parce que je lui faisais part de mon intention de réfléchir sur les idées de Rousseau. On l’a compris, la description que fait René Girard des sociétés primitives n’est pas celle d’hommes naturellement bons, mais de personnes tentées par la violence.
Mais pourquoi cette tentation ? Ce n’est pas par hasard si je me suis tourné vers les paléo anthropologues pour trouver un élément de réponse. Voilà celui que je me suis construit.
Comme les autres primates (le tabou de l’inceste frère/ sœur est en réalité présent partout chez les mammifères), l’homme est exogame. Mais alors que chez les primates, ce sont les jeunes mâles qui quittent le clan, chez les humains, ce sont les femmes qui rejoignent le clan de leur mari. Les frères restent donc et peuvent devenir des frères ennemis, comme le montre Girard autour des mythes de Romulus et Remus, Cain et Abel ou celui des jumeaux La tentation de la violence réciproque naît de ce maintien des frères dans le même clan, et du fait que les mâles sont seuls dominants, ce qui n’est pas le cas chez les primates, où il y a aussi des femelles dominantes
L’homme est tenté par la violence et l’organisation de la société, à travers le sacré hier et la justice aujourd’hui, bride et canalise cette violence. C’est tout le contraire de la théorie Rousseauiste !
On peut aussi comprendre la fameuse expression de la « sagesse » populaire «ces jeunes, il leur faudrait une bonne guerre ! ». Pour canaliser le violence réciproque, une solution humaine consiste à la porter non pas sur un bouc émissaire mais sur le peuple d’à coté.
Les jeunes de banlieue qui n’ont souvent pas appris à entrer en relation autrement que sur le mode agressif, sont aussi tentés par la violence réciproque. Une des solutions pour que cette violence ne rende invivable leur environnement, la solution est de s’inscrire dans une bande qui va canaliser la violence à l’extérieur de la bande, dans le conflit avec une autre bande, conflit qui peut très bien être ritualisé.
Mais tout cela ne constitue que des hypothèses de ma part.
Au-delà de ce détour, la lecture de « La violence et le sacré » m’a donné envie de lire d’autres livres du même auteur, dont la démarche de réflexion rigoureuse, l’ouverture sur des domaines variées) m’ont séduit. A noter un chapitre sur Freud et de Totem et Tabou au regard de sa thèse et un autre sur Lévi Strauss selon le même principe.
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