Peut on concilier entreprise et sciences humaines, sciences humaines et efficacité économique ? Apparemment non, si l’on en croit la concentration des grèves les plus dures dans les universités spécialisées en sciences humaines, cette année comme d’habitude.
Ces universités, à en croire les promoteurs des grèves et autres blocages, seraient menacées par un gouvernement qui veut que la recherche publique profite à l’innovation et à la croissance par les produits à haute valeur ajoutée, un gouvernement qui voudrait que le nombre d’étudiants accueillis soit plus proche des débouchés réels des différentes filières.
Produit de la filière des préparations aux écoles scientifiques, titulaire d’un diplôme d’ingénieur, ayant réalisé la première partie de ma carrière comme ingénieur dans les mines de Courrières, je suis progressivement passé, après un détour par le conseil en conduite du changement d’organisation, à une fonction de conseil en ressources humaines qui fait plus appel aux disciplines de la sociologie qu’à celles de la physique.
Je côtoie dans mon équipe des collègues qui ont des formations très diverses, dont certains en sciences humaines (philosophie, sociologie, psychologie ou économie notamment). J’ai donc de la peine à admettre que les sciences humaines seraient inutiles dans la vie de l’entreprise, dans le monde du travail et dans la vie tout court.
Il me semble d’ailleurs que les enseignants chercheurs de ces universités savent avoir le sens des réalités quand il le faut vraiment puisqu’ils semblent avoir réussi à faire grève pendant plus de 3 mois sans aucune retenue sur salaires ! Les salariés du privé apprécieront !
Perfidie mise à part, les filières de sciences humaines sont confrontées à des réalités fort diverses, qui sont autant de défis qu’elles ne donnent pas assez le sentiment de vouloir relever, du moins pour un observateur très extérieur.
Le premier est évidemment celui des volumes de débouchés. Oui, il faut des psychologues, des sociologues, des philosophes, voire des anthropologues ou des archéologues et des historiens. Pour autant, nous n’en avons pas besoin en nombre infini. Comment expliquer aux futurs étudiants qu’il manque cruellement de spécialistes de la thermique, du chauffage et de la climatisations (à l’heure où les enjeux écologiques nous en réclament encore plus) et que nous avons trop d’étudiants en sciences humaines ? Faut il s’étonner que le CDI soit la règle à l’embauche pour les premiers, et le CDD pour les seconds ?
Le deuxième est la féminisation des spécialités, bien mise en avant par cet article des Echos, qui souligne comment les familles bourgeoises associent les hauts salaires du privé pour le conjoint et la sécurisation et les horaires maîtrisées pour la conjointe, et comment cela devient plus difficile avec la diminution des embauches de fonctionnaires
Le troisième est la difficulté apparente pour apprécier le niveau des étudiants. Il y a une vingtaine d’années, un professeur de philosophie fraîchement reçu à l’agrégation, avait réussi à mettre une note de 1 au bac à une élève qui venait d’être reçue au concours général dans cette matière. Cet exemple, évidemment extrême, illustre une difficulté d’évaluation probablement plus forte en sciences humaines qu’en mathématiques. Mais quelques exemples vécus me font me demander s’il n’y a pas aussi un niveau d’exigence insuffisant sur la qualité des raisonnements.
Mais le plus important me parait être le défi qui consiste à devoir s’intégrer dans la vie économique sans perdre sa capacité à interroger et remettre en cause, seule condition pour être vraiment utile. Une remise en cause extrême et systématique (trop souvent plus révélatrice d’une idéologie aveuglante que d’une pensée vraiment libre, mais c’est un avis personnel) sera de fait rejetée quand une posture trop conciliante n’apporte rien. Il me semble qu’un regard réellement distancié, peut apporter beaucoup. Il faut pour cela allier rigueur du raisonnement et ouverture d’esprit, notamment par la méfiance vis-à-vis des a priori de toutes natures. J’en connais qui savent le faire : soyons donc optimiste !
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