La description des cycles économiques donne une première compréhension des mécanismes de crise et de la manière dont on cherche à les traiter, mais elle pourrait faire croire que la crise se résout naturellement et dans un délai raisonnable. Le souvenir de la crise de 1929 est là pour nous rappeler que c’est tout sauf évident.
Dans un cycle économique classique, la récession se termine par un début de reprise. Celle ci, d’abord timide, contribue à recréer la confiance chez les acteurs économiques. Les capacités de production qui étaient sous utilisées pendant la période de récession, sont plus sollicitées en raison de la reprise. Cela incite les entreprises à reprendre les investissements et cela leur donne la moyens de le faire. La confiance qui renaît, les investissements qui reprennent, vont amplifier la reprise.
La création d’emplois qui s’ensuit contribue à accélérer la croissance. Cette accélération crée des comportements optimistes, qui incitent les acteurs économiques a dépenser et investir, à anticiper une croissance de leur revenu qui facilité leur désir de dépenser, des entreprises se créent… Jusqu’à ce que cette accélération débouche sur des difficultés : tensions sur le marché du travail ou sur les capacités de production qui se traduisent par une hausse des salaires ou des prix faute de pouvoir satisfaire la demande.
Ces tensions vont gripper la machine au point que la demande va diminuer. D’un seul coup un nombre important d’entreprises vont se trouver avec des stocks d’invendus qui les poussent à réduire leur production. La confiance disparaît, les particuliers se mettent à augmenter leur épargne en prévision de jours plus sombres, les entreprises voyant leurs capacités de production sous utilisées n’ont pas de raisons d’investir. La récession se nourrit d’elle même. Des entreprises font faillite, des salariés ou des indépendants perdent leur emploi ce qui contribue encore à la récession. Les entreprises font des économies sur les postes les moins indispensables ce qui n’arrangent pas les affaires des secteurs correspondants.
La disparition des entreprises les moins performantes, les économies réalisées par les autres, améliorent l’efficacité du secteur productif, permettant une baisse (au moins relative) des prix et redonnant ainsi aux ménages du pouvoir d’achat. Ces derniers ayant partiellement reconstitué leurs réserves se mettent tout doucement à dépenser, ce qui initie la reprise. Et on revient au début de notre explication.
La France a connu ces dernières décennies deux phases nettes d’expansion (88/91 et 1997/ 2001 et une phase de récession assez terrible entre les deux.
Le 19ème siècle a connu ainsi des alternances d’expansion et de récession, l’ensemble réalisant une croissance à long terme de l’ordre de 2 à 3% variable selon les pays (ne serait ce que pour une question démographique). Les phases de récession étaient immanquablement suivies d’une phase de reprise quelques temps plus tard, ce qui a fait dire au président Hoover en 1930 / 1931 qu’il suffisait d’attendre, « que la reprise était au coin de la rue ».
Ce n’était pourtant pas le cas comme les années suivantes l’ont montré. La récession n’était pas seulement sévère, elle a duré longtemps. Il faudra attendre 1952 pour qu’aux USA, le niveau de PIB retrouve la courbe obtenue en tablant sur une croissance à long terme constante et égale à celle connue dans les décennies précédant la crise.
Cet événement est majeur, car les politiques économiques suivies depuis la fin de la seconde guerre mondiale résultent des leçons tirées de la crise de 1929.
Une cause majeure du maintien de la récession tient aux mesures protectionnistes mises en place par la plupart des pays. Ces mesures ont très nettement fait baisser les échanges internationaux et par la même fait monter les prix des produits ou services concernés et diminué la productivité globale de chaque pays. Rappelons que si un pays s’approvisionne chez un autre d’un produit, c’est qu’il lui revient plus cher de le faire lui même. Le protectionnisme et la réduction des échanges internationaux conduisent un pays à délaisser au moins partiellement des activités ou il est très efficace pour des activités où il l’est moins. La conséquence est claire : appauvrissement du pays en question ! C’est parce que les économistes l’ont compris qu’ils s’élèvent aujourd’hui contre les tentatives de protectionnisme plus ou moins déguisées, à un moment où les échanges ont déjà fortement chuté, notamment en raison de la baisse des investissements et du déstockage dans l’industrie. Les conclusions du G20 insistent légitimement sur cette question.
Je n’aborderai pas les questions de monnaies et de réserves de change, cela m’évitera de dire des bêtises. Soulignons simplement que les USA et le Royaume Uni, suivis par de nombreuses nations, ont considéré nécessaire de poser en 1944 à Bretton Woods les bases d’un nouveau système dans ce domaine.
Tous les Français ont été nourris des thèses keynésiennes sur la crise de 1929 : la faiblesse de la demande a entraîné des faillites qui elles mêmes ont fait baisser les moyens des ménages (en raison du chômage) contribuant à baisser encore l’offre dans une spirale dépressive. D’où l’idée de relancer la demande par la dépense publique, quitte à payer des gens pour faire des trous puis les reboucher.
Ce que tous les français n’ont pas forcément compris, c’est que cette politique d’augmentation de lé dépense publique n’était utile qu’en période de récession : en période d’expansion, il vaut mieux réduire les déficits voire produire des excédents publics, cela facilitera l’augmentation de la dépense lors de la prochaine phase de récession. Augmenter la dépense publique en période d’expansion à un moment où la demande est suffisante par rapport à l’offre, c’est produire de l’inflation. C’est comme si on voulait appuyer sur le démarreur d’une voiture alors que la moteur tourne déjà.
Faute d’agir de manière raisonnable (et pour d’autres raisons aussi), notre pays mais aussi les USA (à cause de la guerre du Viet Nam entre autres) ont donc produit de l’inflation dans les années 70. Cela tombait bien, car une autre explication de la crise de 1929 était devenue à la mode entre temps aux USA : la crise aurait été renforcée par l’assèchement du crédit ; le manque de liquidités des acteurs les a empêché de réaliser des projets viables. C’est le « crédit crunch » qui a empêché la reprise. En période de récession, il faut au contraire baisser les taux d’intérêts et prêter de l’argent, en particulier aux banques, sans être trop regardant sur la solidité de leurs créances.
On a vu ces derniers mois l’application concrète de cette théorie : les banques ayant perdu confiance entre elles ont refusé de se faire crédit. Les banques centrales sont intervenues en faisant baisser leurs taux d’intérêt et en acceptant en contrepartie des créances plus ou moins douteuses, les Etats ont garantie le passif des banques pour des montants vertigineux, évitant ainsi un gigantesque « crédit crunch », du moins dans les pays les plus développés (il n’est pas sur que l’Estonie ait bénéficié des mêmes conditions !).
Ce type d’intervention n’était pas une première mondiale : les banques centrales ont ouvert grand la machine à produire des liquidités au moment des crises mexicaines, asiatiques, russes.
Mais cette production de liquidités est peut être une des raisons des crises suivantes. De la même manière que les relances keynésiennes mal contrôlées ont produit de l’inflation, les politiques monétaristes ont produit des montagnes de plus en plus grandes de capitaux baladeurs cherchant des investissements rentables, quitte à prendre pour cela de plus en plus de risques. Cette abondance de liquidité a permis à d’autres acteurs de s’endetter de manière vertigineuse, en commençant par les pays développées et les ménages américains. Dans le même temps se construisaient des déséquilibres permanents faramineux entre certains pays excédentaires (en premier lieu la Chine, et en second lieu les monarchies pétrolières) et les pays riches, en premier lieu les USA).
Dans les années 80/ 90, le Japon a connu une crise économique majeure, suite à l’effondrement de la bourse et du marché immobilier. Le gouvernement a tenté de produire une reprise par de la dépense publique, en particulier sous forme de grands travaux, et abaissant les taux d’intérêts jusqu’à 0%, sans résultats probants pendant 10 ans, sinon d’amener la dette publique à 180 % du PIB. Certains estiment que cette politique a permis d’éviter le pire, ce qui est possible. Il est également possible que le prolongement de la dépression soit dû au fait que les banques n’aient pas fait la vérité sur leurs comptes et sur leurs créances douteuses.
Je pense que les recettes classiques (dépense publique et abondance de liquidités) ne servent pas à grand chose ou au moins ne suffisent pas si les dysfonctionnements graves ne sont pas traités. Encore faut il bien identifier ce que sont les dysfonctionnements graves : j’y reviendrai dans un autre article sur les plans de relance.
On ne peut s’arrêter là sans aborder la question de la situation économique de notre pays depuis 30 ans. J’ai noté plus haut qu’il y avait eu deux phases d’expansion pendant cette longue période. Pourtant même au plus haut, dans les années 1990/ 1991 ou 2000/ 20001, notre pays est loin d’avoir connu le plein emploi. Par ailleurs la croissance moyenne sur la période a été extrêmement faible avec des gains de PIB par tête de l’ordre de 1 à 2% par an en moyenne depuis 1983 : beaucoup moins que pendant les trente glorieuses, moins que dans d’autres pays.
Au delà des conséquences du chômage (qui affecte en priorité les moins qualifiés), la faiblesse de la croissance à long terme résulte de la faiblesse des gains de productivité : à la fin des années 90 on parlait de croissance riche en emploi, ce qui est une autre façon de parler de très faibles gains de productivité. La sphère publique en particulier a de très faibles taux de productivité et parfois même une baisse de la productivité comme le montre l’étude de Gary Bobo sur la rémunération des enseignants. Notre pays a aussi bien du mal à mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne de positionnement par la recherche sur des produits de haute valeur ajoutée.
L’incapacité à renouer en temps de reprise avec de bas taux de chômage reste bien sûr problématique. Pour JP Fitoussi, la politique de forts taux d’intérêts menée au début des années 90 (à la suite de la réunification allemande) était la cause de la récession. Cette explication ne peut plus être avancée : depuis plus de 10 ans maintenant les taux à court terme sont bas et la politique budgétaire reste laxiste. Il faut chercher des causes ailleurs et peut être se décider à écouter ce que dit l’OCDE sur le mauvais fonctionnement du marché du travail (le problème n’est sans doute pas tant la flexibilité que la faible mobilité entre secteurs , entre métiers)
Pour avoir une description plus professionnelle, on peut aussi lire 50 articles pour comprendre les crises financières, chez Mafeco
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