Les banques françaises ont beaucoup moins souffert que les banques américaines. Parmi les explications à ce fait, peut être faut il s’interroger sur le rapport à l’argent dans ces deux pays, plus d’un siècle après Max Weber
AIG est un groupe américain, leader mondial des assurances et services financiers jusqu’en 2006. Ses pertes pour l’année 2008 sont d’environ cent milliards de dollars, soit l’équivalent de son chiffre d’affaires de 2004 ! L’Etat fédéral américain lui a prêté 153 milliards de dollars, a un taux très élevé, mais avec un grand risque de n’être que partiellement remboursé.
Cela n’a pas empêché l’entreprise de distribuer ce mois un bonus de 450 millions de dollars à des cadres britanniques, alors que les principales pertes de l’entreprise viennent justement de sa filiale britannique. Le scandale a provoqué une commission d’enquête du Congrès américain.
Quand une entreprise a des difficultés, en particulier si elle commence à perdre de l’argent, ses salariés en pâtissent d’une manière ou d’une autre : ils perdent la participation ou l’intéressement qu’ils avaient avant, les salaires n’augmentent plus, il y a du chômage partiel, les intérimaires ne sont pas gardés, il y a un plan social…Ce n’est pas juste, mais logique.
On ne voit pas quelle logique peut conduire une entreprise, qui a perdu l’équivalent d’un an de son chiffre d’affaire en un seul exercice, à distribuer malgré tout un bonus important à certains de ses cadres. En fait, la seule logique que j’arrive à imaginer, c’est qu’on veut acheter leur silence. J’espère que ce n’est pas le cas !
J’ai déjà raconté ce que me rapportait un ami : le fait que chez les riches américains, on passe beaucoup de temps à parler d’argent et des meilleures manières d’en gagner avec ses placements. N’a-t-on pas ainsi une illustration de cet esprit du capitalisme considéré par Max Weber comme une des causes de l’avènement de celui-ci, à partir de l’échange, comme le note Wikipédia à partir d’un extrait de son célèbre ouvrage :
« Nous appellerons action économique « capitaliste » celle qui repose sur l'espoir d'un profit par l'exploitation des possibilités d'échange, c'est-à-dire sur des chances (formellement) pacifiques de profit »
N’est ce pas une merveilleuse définition du métier de trader ?
Cette importance donnée à l’argent a sans doute contribué aux évolutions qu’on a pu constater depuis environ 30 ans dans la finance
Le passage d’une période où l’offre avait le pouvoir (vous pouvez avoir une Ford T de n’importe quelle couleur pourvu qu’elle soit noire) à une période où l’abondance de l’offre redonnait le pouvoir au client a de fait redonné du pouvoir aux actionnaires par rapport aux salariés. C’est ainsi qu’ont pu se développer des slogans imbéciles.
L’objectif de 15% de retour sur fonds propres d’abord. Sous le prétexte que parmi les entreprises de haute technologie, celles qui n’avaient pas fait faillite obtenaient des résultats mirobolants, les financiers ont voulu étendre ces résultats à tous les secteurs.
L’idée de créer de la valeur pour l’actionnaire reflétait bien sûr l’avidité des investisseurs et de ceux qui intervenaient pour eux. Mais quand on est passé de l’idée que cette création de valeur n’était pas le résultat des bénéfices réalisés mais de la croissance du cours de Bourse, sur lequel on devait agir par des effets d’annonce ou en rachetant ses propres actions, on est sorti d’un fonctionnement économiquement durable.
A travers ces deux slogans, se développait l’idée que la finance pouvait être source de gains, non en raison de son rôle pour faciliter le fonctionnement de l’économie (rôle indéniable, il n’y a qu’à voir l’état de l’économie depuis que le système financier est au plus mal), mais en soi.
L’ambition de faire le plus possible d’argent est devenue pour ceux qui détenaient les leviers de pouvoir aux USA la priorité absolue. L’esprit du capitalisme a fini par occuper tout l’espace
Alors qu’aux USA on peut juger un homme sur ce qu’il « vaut » en dollars, on en est encore chez nous à considérer qu’on ne doit pas de révéler ce que chacun gagne. Il y a une bonne trentaine d’années, je me suis retrouvé à un repas du Rotary et j’ai pu entendre un des présents s’excuser auprès de sa voisine « de parler argent devant une femme ». J’avais été très choqué par ce que j’avais jugé être de la misogynie, mais il faut reconnaître que cela recouvrait peut être une distance positive par rapport à l’argent.
Une de mes amies me racontait il y a quelques jours avoir accompagné des membres d’une banque d’affaires à l’occasion d’un plan social, organisé sur la base du volontariat comme cela devient la règle (en fait, il s’agit du « bon » vieux chèque valise !). Elle avait été frappée d’une part par leur caractère complètement immature (alors que tout n’avaient pas moins de 30 ans, loin de là), d’autre part par la priorité absolue donnée à l’argent, par exemple en se préoccupant essentiellement de savoir si leur prime de départ serait de x milliers d’euros et 200 euros ou de x milliers et 300 euros
Au-delà des règles et lois qui régissent le monde de la finance chez nous, en Europe ou aux USA, il est possible que les raisons qui ont fait que les banques françaises et européennes (du moins les continentales) s’en soient beaucoup mieux sorties que leurs consœurs américaines soient avant tout liée à la culture dominante de leur pays.
104 ans après la parution de « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », Max Weber a peut être toujours raison. Mais avec des résultats qui ne sont plus tout à fait les mêmes.
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