Les réformes Darcos et la réduction du nombre de postes suscitent dans le primaire une agitation qui s’est traduite par une forte participation à la grève de jeudi. Il est difficile pour un oeil extérieur de se faire une opinion : l’éclairage du Monde de l’éducation mercredi 28 était donc bienvenu.
Le quotidien du soir a eu la bonne idée de présenter sur la même page l’avis d’une personne « pour » la réforme et celui d’une personne « contre » On se demande cependant pourquoi il a cru bon d’un coté de faire appel à une spécialiste du sujet, maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure et de l’autre à une syndicaliste, ancienne secrétaire générale du SNUipp. Faut il faire confiance au discours technique ou au discours politique ? On ne s’étonnera pas de me trouver plus sensible au point de vue du chercheur qu’à celui du syndicaliste !
Le discours « contre » est donc rempli de formules toutes faites. Mais il signale au passage les bons sujets, à travers la question de l’échec scolaire, celle de l’aide individuelle et la référence à l’école scandinave.
13 % de chaque classe d’âge sort de l’enseignement scolaire sans aucun diplôme (niveau VI de l’EN) et le total monte à 20 % si on ajoute ceux qui obtiennent le BEPC puis disparaissent en cours de route, avant d’obtenir un autre diplôme. Trois ans après leur sortie, le taux de chômage de ces 13% de jeunes oscille suivant la conjoncture entre 40 et 50 %.
Parmi ces jeunes en échec scolaire, on trouve une proportion importante de jeunes qui ont en réalité de gros problèmes de lecture et d’écriture et qui ont donc vécu leurs années de collège avec le seul espoir, souvent partagé par leurs enseignants, de le traverser le plus vite possible. En réalité, leur échec était la plupart du temps inscrit dans leur parcours à l’école primaire.
La référence à l’école scandinave prend tout son sens quand on sait que le taux de sans diplôme est deux fois plus faible en Finlande que dans notre pays. La pratique de ce pays tient en peu de mots : forte décentralisation, absence de redoublement et aide aux élèves en difficulté. La comparaison des résultats doit cependant être regardée avec prudence, les conditions n’étant évidemment pas rigoureusement semblables.
Mais le jugement de notre ancienne secrétaire générale est sans appel, comme le montre une phrase mise en exergue par la rédaction du quotidien : « Comment croire que l’aide personnalisée apportée à quelques élèves avant, après la classe ou à l’heure du déjeuner, pourrait compenser les difficultés qui augmentent alors que les inégalités sociales ou les effets de la crise ne restent pas à la porte des écoles »
J’avoue rester assez béat devant une phrase pareille. Faut il entendre que puisqu’il y a des inégalités sociales et des effets de la crise, il ne faudrait pas aider les élèves en difficulté ? Le reste étant à l’avenant, je préfère passer à la lecture de celle qui est « pour » la réforme.
Ce point de vue est construit d’une toute autre façon que le précédent. Au lieu de chercher à accumuler les critiques de toutes natures, il identifie deux paris qui structurent la réforme et explique pourquoi il les approuve. Autrement dit, il me donne la possibilité de comprendre les choix et donc d’y adhérer ou non.
Premier pari : faire porter le cadre imposé par le ministère aux enseignants, non sur la méthode d’enseignement (ce qui était paraît il le choix de Lang, mais rappelons les diatribes de De Robien contre la méthode globale) mais sur le contenu des programmes. Et compléter cette liberté par des outils d’évaluation permettant (obligeant ?) à l’enseignant de valider l’efficacité de ses choix pédagogiques, en espérant qu’il se produise progressivement un effet d’émulation et d’échanges entre pairs. Sur le papier, j’adhère assez bien à ses idées, d’autant plus que j’ai pu voir leur efficacité dans le fonctionnement de l’entreprise. A voir cependant vivre sur le moyen terme dans des conditions différentes.
Deuxième pari : accepter la différenciation des rythmes et adapter l’aide individualisée en fonction des élèves. La aussi , sur le papier, j’aurais tendance à adhérer. D’autant plus que l’argument est imparable : « la réforme ouvre un droit nouveau aux élèves des milieux défavorisés : la nation leur paye des cours particuliers. »
Évidemment, j’aurais aimé trouver dans le plaidoyer « contre » les éléments qui relativisent les arguments avancés ici ou qui montrent d’autres caractéristiques du système moins favorables.
Reste bien sûr la question des moyens avec essentiellement celle de la suppression de postes et du réseau RASED.
On imagine bien qu’il est d’autant plus facile de faire cours et de suivre chaque élève que ceux ci sont moins nombreux. Il est plus difficile de mesurer les effets exacts d’une diminution ou d’une augmentation. Des études ont montré un impact réel d’une forte diminution des effectifs par classe et à l’opposé, la baisse d’environ 15 % obtenue depuis 25 ans n’a pas eu suffisamment d’impact pour être affirmée. Il est vrai que sur une telle période on est loin du « toutes choses égales par ailleurs ».
Il reste qu’une baisse de 10 000 agents sur les effectifs de l’Education nationale ne représente qu’un pour cent du total, et qu’une telle baisse reproduite 4 ans durant aboutit à faire passer les effectifs moyens par classe de 24 à 25 élèves, ce qui ne paraît pas de nature à provoquer un changement majeur d’efficacité.
Le gouvernement a fait le choix de faire supporter une partie de cette baisse par le Réseau RASED, d’abord en le supprimant complètement, puis devant les réactions, en ne voulant plus supprimer que la moitié des 6 000 postes du réseau.
On peut légitimement s’interroger sur la logique de ce genre de décisions quand on affiche une volonté d’aider en priorité les enfants en difficulté et de faire le pari de la différence des rythmes, comme le présente le plaidoyer « pour ».
Il faut cependant ici noter quelques points faibles du fonctionnement du système RASED, à partir de conversations ici ou là, qui ne constituent pas une statistique, mais qui donnent quelques éléments qualitatifs.
A ma femme qui lui parlait de l’intérêt du réseau rencontré à Paris, une de mes nièces, institutrice dans une ville moyenne de province, répondait en notant que le principe était bien adapté à une population concentrée (les enseignants du réseau interviennent chacun dans plusieurs écoles) mais moins à la situation qu’elle même rencontrait, avec deux ou trois élèves qui étaient en passe de ne pas sortir du CP en sachant lire et écrire comme les autres.
Autre problème signalé cette fois par une de mes collègues, celui de l’âge de ces enseignants. A ma grande surprise, elle m’a relaté que deux de ses amis étaient affectés à ce réseau, à l’occasion de leur premier poste ! Je n’imaginais pas que l’hypocrisie bien connue consistant à mettre les plus jeunes enseignants dans les zones les plus difficiles était également de mise pour ce réseau spécialisé !
On notera aussi que le volume de temps dégagé pour l’aide individuelle (2 heures sur 26 par semaine pour chaque enseignant) correspond à un volume nettement plus important que celui attribué au RASED. A raison de 800 000 élèves par an et de 5 classes en primaire (du CP au CM2), ce sont 4 millions d’élèves qui sont concernés. Un réseau de 6 000 enseignants ne peut suivre une heure par semaine qu’environ 150 000 élèves.
Reste que si ce sont les enseignants qui font un suivi personnalisé dans leur propre classe, on peut cibler les élèves les plus en difficultés de chaque classe, pas forcément les plus en difficulté tout court : les 10% d’élèves le plus en difficulté de Versailles ont peut être moins de difficulté que les meilleurs élèves d’Aubervilliers. Seuls des moyens spécifiques peuvent répondre aux besoins différents selon les zones géographiques. Si RASED est déployé en priorité dans les zones géographiques qui en ont le plus besoin et si on y affecte des enseignants ayant au moins 5 ans d’expérience, cela mérite vraiment d’y conserver 3000 enseignants ( à défaut de 6 000) comme complément du système d’aide général.
Au final et comme on pouvait s’en douter, la réforme du primaire ne semble être ni la catastrophe évoquée par certains ni la solution formidable évoquée par d’autres. Il faudra malheureusement du temps pour en évaluer les effets réels, et on peut imaginer d’ici là le passage de plusieurs ministres et d’autant de réformes !
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