C’est bien entendu, les traders et les boursicoteurs sont d’infâmes personnages, révélateurs d’un capitalisme débridé et ultra libéral, et responsables d’une crise qui va toucher d’innocents travailleurs qui vont subir les conséquences de leurs spéculations. Pourtant les bulles spéculatives n’ont pas attendu les traders pour se développer dans l’économie.
Spéculer vient du latin spéculari qui signifie observer, nous dit le Petit Larousse. Spéculer, c’est méditer, raisonner, faire de la théorie pure, rajoute t-il. Mais c’est aussi faire des opérations financières dont on espère tirer un bénéfice du seul fait de la variation des cours. D’une certaine manière, celui qui joue au tiercé spécule sur la victoire de tel ou tel cheval. S’il joue un cheval mal coté, il spécule sur le fait qu’en cas de victoire de celui-ci, le rapport sera important.
Beaucoup de décisions économiques reposent sur cet effort de raisonnement dont parle le petit Larousse. Si je souhaite ouvrir un restaurant dans ma ville, je réfléchis au meilleur endroit pour le faire, pour toucher une clientèle intéressée. Si je souhaite acheter un logement et que j’en ai trouvé un qui me convient, je peux décider d’accepter le prix proposé ou proposer un prix plus bas. Pour se faire, je spécule sur l’existence ou non d’autres acheteurs intéressés, sur le fait que le vendeur est prêt ou non à accepter ma proposition etc.
Ceux qui interviennent sur les marchés financiers, par exemple pour acheter des actions d’une entreprise, se demandent évidemment au préalable si l’entreprise va se développer ou non, si la valeur de l’action va augmenter ou non. En ce sens, ils spéculent, au sens premier de « raisonner » défini par le Petit Larousse.
Nous avons pu observer en 2007 et dans la première moitié de l’année 2008, une montée ininterrompue du prix du baril de pétrole. En juin 2008, un particulier dont la cuve de fuel était quasiment vide pouvait se demander s’il avait intérêt à faire remplir sa cuve tout de suite ou s’il était préférable d’attendre, avec le risque que les prix aient encore monté à l’automne. Ce faisant, il spéculait sur l’évolution du prix. Si tous les consommateurs pensent que les prix vont augmenter, ils vont dans la mesure du possible acheter le plus tôt possible. A contrario, s’ils espèrent une baisse des prix, ils vont repousser au maximum leurs achats. Ceux qui décident d’attendre les soldes pour acheter leurs vêtements beaucoup moins chers fonctionnent de la même manière.
On l’a compris, tous les acteurs économiques, c'est-à-dire aussi bien les entreprises, les institutions que les particuliers sont des spéculateurs !
A ce stade, il faut se rappeler que nous sommes en économie dans une logique système : comme dans un système biologique, les actions des uns entraînent des réactions en chaîne. Par exemple, si la plupart des gens avancent leurs achats parce qu’ils anticipent une hausse, l’anticipation de leurs achats est un facteur de hausse des prix.
C’est là qu’on peut passer des spéculations individuelles aux phénomènes de bulles spéculatives.
Le fait que la valeur d’un bien monte, est lié à l’état de l’offre et de la demande. Si le prix du baril a augmenté ces derniers temps, c’est d’abord parce que la demande n’a cessé d’augmenter, notamment dans des pays dits émergents comme la Chine ou l’Inde, alors qu’il paraissait difficile d’augmenter l’offre. Il a suffit que la demande se mette à baisser avec la récession pour que les prix baissent à toute vitesse.
Mais un produit dont la valeur monte peut attirer ceux qui cherchent à valoriser leur argent (ou celui de leur client) : s’ils estiment que le produit va continuer à monter, ils peuvent décider de l’acheter aujourd’hui pour le revendre plus tard : on retrouve ici notre définition des spéculateurs !
Or, il est difficile de connaître la valeur « juste » d’un bien.
S’il s’agit de l’action d’une entreprise ou d’un logement, je peux m’appuyer sur des éléments objectifs pour estimer leur valeur. On conviendra cependant que cette estimation n’est ni simple ni précise. Le prix réel sera celui sur lequel acheteur et vendeur se mettront d’accord ! Le fait de raisonner sur la possibilité que le prix de marché monte ou pas est alors un élément essentiel à prendre en compte.
A certains moments, les acteurs sur le marché donnent beaucoup d’importance à cette spéculation, ce raisonnement sur l’évolution du marché. Si le marché est en train de monter, et que je pense qu’il va continuer à le faire, j’ai tout intérêt à acheter pour vendre plus cher plus tard. En achetant, je contribue à faire monter le cours. Si la grande majorité des intervenants pensent comme moi, le cours va monter, ce qui peut contribuer à donner à chacun le sentiment qu’il va continuer à monter demain.
Si par contre je pense que le prix va baisser, je fais comme le propriétaire de la cuve de fuel ou celui qui attend les soldes, je reporte mon achat. Si la plupart des intervenants font comme moi, le prix baisse au point de me conforter dans le bien fondé d’attendre.
En général, le consensus du marché sur le sens d’une évolution (tout le monde pense que cela va baisser ou tout le monde pense que cela va monter) ne dure pas longtemps : l’évolution du prix engendrée par ce consensus fait changer d’avis une partie des acteurs qui considèrent que le prix est redevenu « normal », c'est-à-dire que la valeur n’est plus sous ou sur évaluée. Au nouveau prix, on trouve des acheteurs et des vendeurs et le prix se stabilise
Il arrive cependant que les acteurs restent à peu prés unanimes sur le sens de l’évolution. S’ils pensent que le prix va monter, la valeur se met à monter jusqu’à atteindre des prix très importants, jusqu’à ce que les acteurs prennent conscience, généralement d’un seul coup, que cette valeur affichée est extravagante et que le prix décroche, parfois de façon très importante. Il y eu création d’une « bulle » et cette bulle a explosé. Si cette situation concerne une action particulière, cela n’a guère d’impact, mais parfois cela concerne tout un secteur comme on l’a vu au début de la décennie avec les valeurs high-tech ou Internet.
A un moment, les prix se sont déconnectés de la réalité des biens. La valeur de certaines actions Internet n’était légitime que si on supposait que les entreprises concernées allaient avoir à terme 10 milliards de clients !
Cette déconnexion de la réalité n’est possible que parce qu’on est dans des situations particulières, par exemple un secteur émergent, dont personne ne veut rater le développement, mais aussi des exemples particuliers dont on ne veut pas voir le caractère particulier. Par exemple, pour reprendre l’exemple de la haute technologie et d’Internet, ceux qui ont acheté des actions Microsoft il y 30 ans, ou des actions Google il y a 10 ans ont fait une formidable affaire. Ce n’est pas pour autant que toutes les entreprises Internet sont des futurs Microsoft ou de futurs Google !
Les bulles spéculatives ne sont pas nées de l’ultra libéralisme supposé de la fin du 20ème siècle. Celle qui est signalée comme la plus ancienne est celle des tulipes hollandaises dans les années 1630. On en a ensuite eu en Angleterre en 1720 et en France sous Louis XV (relisez le Bossu !) ou vers 1840 en Angleterre autour des chemins de fer.
Beaucoup plus près de nous, on citera la bulle immobilière et boursière au Japon au milieu des années 80, et bien sûr autour des bourses mexicaines, asiatiques ou russes avant l’explosion des bulles correspondantes.
A un moment, que personne n’est capable d’apprécier, la montée de la valeur due à des facteurs objectifs de développement de produits nouveaux, d’adaptation des prix à une nouvelle réalité a été remplacée par une montée des prix essentiellement due au consensus du marché, aux raisonnements spéculatifs des acteurs et déconnectée des réalités économiques
Comment identifier qu’on est dans une situation de bulle ? Pas facile ! mais avant un exemple pratique, un dernier mot à propos des bulles : on désigne ainsi la situation de sur estimation du marché, due à un excès de confiance. La situation peut être inverse : une sous estimation du marché du à un excès de défiance. C’est peut être le cas actuellement. Il n’y a pas de risque d’explosion de bulles mais peut être des opportunités de belles affaires !
Prenons comme exemple la montée des prix du logement depuis 10 ans. Le départ de cette montée correspond à deux réalités économiques profondes.
D’abord, la faiblesse du volume de construction dans les années 80 et 90 a engendré un manque de logement global, donc un déséquilibre entre l’offre et la demande qui ne pouvait que faire monter les prix
D’autre part, la baisse très forte des taux d’intérêt a rendu d’un seul coup de nombreux acheteurs potentiels capables d’acheter des logements en remboursant annuellement un montant plus faible qu’avant
En 1998, il était assez évident de prévoir une hausse des prix assez durable.
Au fil du temps la montée des prix (qui ont plus que doublé sur 10 ans), a réduit fortement ces causes réelles.
Le prix élevé de l’ancien a rendu rentable la construction de neuf, qui a beaucoup augmenté, desserrant du coup progressivement le déséquilibre entre offre et demande. Au point que dans certaines villes, on assiste à un déséquilibre inverse du précédent : il y a trop de logements par rapport aux besoins.
La montée des prix s’est aussi traduite par l’allongement de la durée des prêts. A 12% d’intérêts, des prêts à plus de 15 ans n’avaient pas de sens (l’allongement de la durée ne permettait d’augmenter la somme empruntée que très marginalement). A 4 ou 5%, on pouvait aller jusqu’à 30 ans, mais une fois cette durée atteinte, il n’y avait plus possibilité d’aller plus loin.
Conclusion, les prix ne peuvent plus monter. Dans certaines régions, ils vont baisser, au moins un peu, du fait de l’offre excédentaire. Dans le cœur de la région parisienne, il y a toujours trop peu d’offres (pour des raisons de rareté du foncier) mais la demande solvable ne peut exister à un prix supérieur : les prix se stabilisent à peu près.
Il est clair que si les prix continuaient à monter malgré la disparition des faits objectifs qui ont provoqué la hausse initiale, il y aurait bulle manifeste. Y a t-il eu un commencement de bulle ? Peut être, mais celle-ci a été d’un montant suffisamment réduit pour que ses dégâts ne soient pas excessifs.
Ce n’est pas le cas partout : le rythme de construction en Espagne est passé de plus de 700 000 logements en 2007 à moins de 300 000 en 2008 !
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