Le plaisir de retrouver Pikipoki au clavier se double de l’intérêt à lire un de ses derniers articles où il montre l’influence de nos logiques d’intérêt et de notre recherche de la stabilité émotionnelle dans l’établissement de convictions que nous justifions en quelque sorte après coup par des échafaudages intellectuels.
Je ne partage que très partiellement l’avis de notre ami, que je trouve par ailleurs trop tranché. Je vais donc essayer de montrer que ce qu’il met en avant n’explique pas tout
Pour commencer, il part du petit test proposé par Econoclaste : combien un magicien a-t-il de chances de trouver la bonne carte dans un jeu de 52 cartes ? Selon qu’on raisonne probabilités ou qu’on remarque qu’il s’agit d’un magicien, on répond 1/52 ou 1. Pikipoki interprète le fait que les scientifiques répondent généralement 1/52 comme l’expression d’une volonté d’éviter les incertitudes et de garder au contraire une stabilité émotionnelle.
A la lecture des commentaires chez Econoclaste, on remarque d’abord que les réponses sont diverses : un nombre important a trouvé la bonne réponse, sans se laisser entraîner par la tentation d’appliquer la réponse normale pour un scientifique soit 1/52
Il faut ensuite se demander ce qui pousse les scientifiques à se précipiter sur une réponse « classique « pour eux. Il me semble qu’il y a une explication plus simple que l’équilibre émotionnel : c’est la routine (à condition de ne pas donner de sens péjoratif à ce mot). La routine, c’est ce qui me permet d’aller la nuit aux toilettes sans vraiment me réveiller, c’est ce qui me permet de ne pas me tromper de chemin en allant au travail alors que je pense à tout autre chose, c’e »st ce qui fait que mes doigts trouvent tout seuls les bonne lettres sur le clavier.
La routine est quelque chose de très utile parce qu’elle nous permet de libérer notre cerveau conscient de tas de préoccupations pour le consacrer à ce qui demande vraiment de la réflexion, en particulier tout ce qui est nouveau.
Cette même routine fait que devant un problème classique je donne la réponse classique sans faire spécialement attention à l’énoncé. On connaît la question sur la nationalité des œufs pondus par un canard sur la frontière franco espagnole. C’est un truc classique d’illusionniste, consistant à attirer notre attention sur un point, pour que nous ne prêtions pas attention à ce qu’il faudrait voir.
Tout cela ne signifie pas que nous ne soyons pas , au moins partiellement, gouvernés par nos émotions : simplement, il ne me semble pas que l’exemple choisi par Pikipoki pour l’expliquer soit le meilleur.
Ayant montré que les raisonnements pouvaient être en réalité gouvernés par les émotions, Pikipoki, dans la deuxième partie de son article, va plus loin pour démonter ce que nous croyons être des raisonnements rigoureux. Il affirme, et illustre par des exemples, que les raisonnement très construits que nous présentons pour soutenir nos convictions, sont en fait des constructions justificatrices de convictions issues de nos logiques d’intérêt. Dit autrement, nous n’avons pas ces convictions parce que nous avons raisonné, nous avons choisi les raisonnements qui confirment des convictions préalables.
Sur l’idée générale que nos idées reflètent nos logiques d’intérêt, je ne vais pas contredire Pikipoki : ma pratique de conduite de changement repose sur cette idée, et je peux témoigner que cela marche ! Cependant, si l’idée est juste généralement, elle ne l’est pas forcément pour chaque individu. Pour reprendre l’exemple que je prends classiquement : face à un plan social qui prévoit des retraites à 57 ans, les salariés de plus de 57 ans peuvent être considérés comme un seul acteur (c'est-à-dire qu’ils ont tous le même point de vue sur le projet). Il n’empêche qu’en réalité il peut y avoir dans le lot quelques individus qui ne partagent pas le point de vue général (pour des raisons diverses, qui d’ailleurs peuvent s’expliquer parfois par leur logique d’intérêt propre). C’est d’ailleurs sur le fait que les individus peuvent choisir que repose la méthode socio dynamique de conduite du changement, et elle ne marche pas mal non plus (voir sur le sujet ma série sur la conduite du changement où je développe tous ces concepts).
Les exemples pris par Pikipoki, chez nos amis de Lieu Commun, pour illustrer son propos ne me convainquent d’ailleurs pas. Il commence à propos de Koz, catholique affirmé, par souligner que les croyants le sont très souvent parce que leurs parents l’étaient mais qu’ils ne veulent pas le reconnaître. Il se trouve que j’avais justement très récemment une réunion avec des croyants, sur le sujet « d’où nous vient notre foi » et que la plupart ont dit qu’elle venait à l’origine de leurs parents. Je ne suis donc pas convaincu !
Autre exemple pris, celui d’Eolas. Celui ci ne cache pas que sa femme est d’origine espagnole. On peut donc imaginer que sa défense des étrangers vient du fait qu’il a lui-même épousé une étrangère, ce que fait à demi mot Pikipoki (sa gêne sur ce point est drôle parce que en même temps il partage en fait globalement le point de vue d’Eolas. En creusant, il trouvera peut être que cela lui vient de son éducation catholique !). Mais il se peut que le schéma suivi soit rigoureusement inverse : peut être Eolas avait il la conviction qu’il n’y avait pas à faire de différences entre français et étrangers et que c’est cette conviction qui a favorisé le fait qu’il ait épousé une étrangère !
Je pense que nos convictions sont le fruit de tout un tas de choses : l’influence de nos parents, notre patrimoine génétique, nos intérêts, notre situation, mais aussi notre capacité à raisonner et les faits que nous avons rencontré dans la vie, qui nous ont confirmé ou infirmé ce que nous pensions. Bien sûr, nous avons pu trier inconsciemment et ne voir ou retenir que ce qui nous arrangeait. Mais mon âge nettement plus avancé que celui de Pikipoki me permet d’avoir observé qu’on pouvait, au moins un peu, se remettre en cause, en particulier quand nous sommes confrontés à des réalités qui bouleversent nos convictions.
Je partage tout à fait par contre la conclusion que Pikipoki tire de sa réflexion, de la nécessité d’interroger nos convictions et nos raisonnements. Pour cela le mieux est de fréquenter des gens divers, de se confronter à des points de vue divergents. Il existe aussi bien sûr ce qu’on appelle la démarche scientifique, qui conduit justement à confronter nos idées à la réalité.
Après tout, il ne faut pas désespérer de l’être humain. C’est un négationniste, qui voulait démontrer l’inexistence des chambres à gaz et qui a démontré le contraire, rejetant ses convictions initiales à l’épreuve des faits
Je lisais cette semaine qu’une étude récemment parue s’était penchée sur le cas de ces hommes et de ces femmes qui ont agi contrairement à leur entourage et ont pris des risques pour sauver d’autres personnes menacées. Ce sont ceux que les juifs appellent les Justes, mais qu’on a pu rencontrer dans d’autres situations critiques que la confrontation au nazisme. Si j’ai bien compris, l’étude reprenait ce qui me semblait être une des conclusions de l’expérience de Stanley Milgram : ce sont des gens qui avaient des convictions fortes qui ont agi ainsi. Contre leur intérêt, leur convictions les a amené à regarder leurs voisins menacés avec humanisme.
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