Soumis aux injonctions souvent paradoxales du gouvernement (sans compter les pressions citoyennes) les fonctionnaires chargés d’appliquer la loi font ce qu’ils peuvent…ou ce qu’ils veulent. Le débat suscité dans les commentaires par le dernier article d’Eolas n’en est qu’une nouvelle illustration.
Les commentaires et questions que je trouve sur mes deux articles concernant la dispense de recherche d’emploi, montrent que certains des agents chargés d’appliquer cette mesure, prennent de surprenantes libertés avec les règles qui la régissent, l’un d’entre eux n’hésitant pas à affirmer qu’elle disparaît au 1/1/09 alors qu’elle est simplement modifiée, d’autres refusant d’en faire bénéficier des chômeurs qui y ont pourtant droit.
Un de mes collègues me rapportaient ces jours ci qu’un de ses amis voulant bénéficier du RMI, s’était vu répondre par le fonctionnaire concerné que ce n’était pas fait pour les bourgeois comme lui. Le bourgeois en question a pu profiter de son niveau de formation pour passer outre à ce barrage, mais qu’en est il de ceux qui sont peu instruits ou qui ne maîtrisent pas la langue et qui se trouvent confrontés à des fonctionnaires qui font une interprétation toute personnelle de la loi ?
L’article, publié ce matin très très tôt par Eolas, raconte les avanies subies par un ancien directeur de publication de Libération, attaqué en justice pour diffamation. Les policiers venus l’arrêter chez lui au petit matin, lui ont passé les menottes et fait subir deux fouilles corporelles, mesures qui ne se justifiaient ni par la loi, ni par la situation. Certains commentateurs défendent contre Eolas d’une part le juge qui n’avait pas d’autre moyen de faire venir une personne qui avait refusé de répondre à plusieurs convocations, d’autre part les policiers, qu’on est prêt à rendre responsables de tout événement comme un suicide ou une évasion. D’autres commentateurs répliquent que dans ce cas, ce n’était manifestement pas le sujet.
Il faut dire que la ministre de la justice elle même a montré l’exemple des injonctions paradoxales, à la suite d’un suicide de mineur, en s’attaquant au juge (qui fut réveillé la nuit même pour enquête) qui l’avait fait incarcéré et qui pourtant n’avait fait en cela que suivre les consignes de sa ministre !
On pourrait donner bien d’autres exemples. Tous les cas ne sont pas comparables : parfois il s’agit d’une interprétation tendancieuse ou excessive de la loi. L’existence même de la grève du zèle montre à quel point il n’est généralement pas possible de suivre à la lettre toutes les consignes données par la hiérarchie. Parfois, et c’est le cas de ce que je dis au début sur la dispense de recherche d’emploi, un fonctionnaire s’invente ses propres règles, à l’opposé des lois en vigueur. Parce que cela l’arrange ou qu’il n’a pas été formé correctement, va savoir !
Je vois deux types d’explications à ces comportements
La première tient au fonctionnement du système administratif. La haute hiérarchie ne fait pas confiance aux fonctionnaires mais ne prend pas la peine d’aller regarder ce qui se passe dans la réalité. Le résultat, ce sont des écrits qui sont sensés prévoir tous les cas de figure mais qui se révèlent inapplicables à l’usage. Comme le management est inconnu de l’administration, chacun sur le terrain n’en fait qu’à sa tête.
Il y a longtemps, j’avais pu observer ces mécanismes au sein de l‘AFPA. Pour des raisons parfois justifiées (par exemple l’évolution de la situation économique), la direction fait varier les objectifs qu’elle assigne à l’organisation. Elle définit aussi des politiques, mais ne fait pas l’effort de suivre sur le terrain la déclinaison et la mise en œuvre de celles-ci, ce qui ne lui permet pas de rendre concrètes les instructions ou de proposer des réponses aux situations particulières.
Si les instructions en question viennent déranger un agent, celui-ci a la possibilité (et certains ne s’en privent pas) de saisir les syndicats, qui portent la question au niveau le plus haut. Généralement, la direction générale désavoue la hiérarchie intermédiaire. On comprendra qu’à force celle-ci baisse les bras. Et les agents privés de consignes et objectifs clairs se définissent les leurs. On aboutit à ce résultat particulièrement visible au sein de l’Education Nationale : chacun tire dans son coin et il n’y a aucune cohérence possible, mais le système ne marche que par la bonne volonté des agents, directement liée à leur autonomie.
J’en discutais avec un agent de l’ANPE présent à la RDB de cette semaine, pour constater qu’il partageait le même constat dans son administration. On ne pourra rien changer à cette situation tant que les hauts responsables ne feront pas d’abord carrière sur le terrain et tant que le statut tiendra lieu d’outil de management des personnes.
La deuxième explication tient à la place de plus en plus grande prise par le système médiatique, un système médiatique qui, de plus en plus, simplifie à l’outrance les questions, l’essentiel étant de pouvoir faire choc. On en a vu un exemple dernièrement avec la question des SDF : ils meurent de froid, que fait donc le gouvernement ? N Sarkozy qui joue très professionnellement de ce registre a proposé de forcer les SDF à passer la nuit dans les refuges, obligeant les associations à expliquer qu’elles ne veulent pas de cette solution, permettant ainsi au gouvernement de se dégager de sa responsabilité sur les morts de froid. Qui saura que le vrai débat se situe évidemment ailleurs, qu’il existe des solutions moins simplistes ?
Un de mes collègues, interrogé cette semaine sur les problèmes d’emploi par un journaliste spécialisé, me confiait son agacement devant l’attitude du journaliste, voulant entendre confirmer ses a priori, et ne pouvant accepter que les praticiens de terrain disent le contraire. Il est vrai que la position de mon collègue était beaucoup moins vendeuse, pour faire un titre choc, que celle que le journaliste aurait voulue voir confirmée !
On peut aussi lire le duel qui a secoué le Parti Socialiste, comme une lutte entre celle qui joue essentiellement sur l’émotion (Ségolène Royal) et celle qui veut faire confiance à la raison, parfois en pensant avoir raison contre tous( Martine Aubry).
On n’est pas sorti de l’auberge !
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