Il n’y a pas que les journalistes qui peuvent être réveillé à l’aube pour être amenés manu militari au commissariat. Dans l’histoire qui m’a été rapportée hier soir par un ami, c’est une religieuse qui se trouve dans cette situation.
La religieuse en question a une soixantaine d’années et habite dans une ville de province de vieille tradition industrielle. Parmi ses multiples activités, elle a fondé avec d’autres un groupe d’insertion qui emploie aujourd’hui plus de 300 personnes. Un jour, elle se retrouve à la Poste au moment d’un braquage de celle-ci. Interrogée ensuite comme témoin, elle donne le nom des braqueurs : ce sont des jeunes de la ZUP où elle s’active et qu’elle a reconnus. Ces derniers sont arrêtés peu après.
Quelques temps plus tard, elle est donc convoquée au tribunal pour témoigner au procès des jeunes braqueurs. La durée prévue pour l’audience est de 4 jours. Notre religieuse n’ayant pas que cela à faire, demande quel jour précis elle doit se présenter. N’ayant pas obtenu de réponse par oral, elle prend sa plus belle plume et fait sa demande par écrit en recommandé. Le jour dit, n’ayant pas reçu de réponse, elle s’en va vaquer à ses occupations.
Le juge ne la voyant pas à l’audience fait ce qu’il a les moyens de faire dans ces cas là : il délivre un mandat d’amener. Et le lendemain à six heures du matin, la religieuse voit à sa porte quatre membres de la force publique, équipés de gilets pare balles et prêts à réagir à la moindre tentative de fuite ou de passage en force de sa part.
Pourquoi 6 heures du matin ? Eolas nous a dit pour quelle raison ce n’est pas plus tôt : l'article 134 précise que «L'agent chargé de l'exécution d'un mandat d'amener, d'arrêt et de recherche ne peut s'introduire dans le domicile d'un citoyen avant 6 heures ni après 21 heures.». Je peux vous dire pourquoi ce n’est pas plus tard : pour être sur que la personne recherchée soit encore là.
La tenue de nos pandores pourrait faire penser que la suite des événements va être musclée. Or il se trouve que l’un d’eux reconnaît la personne qu’il est venue chercher avec ses collègues : « mais c’est la sœur qui était à coté de moi à un mariage la semaine dernière ! » On notera ici que rien ne permet de savoir aux policiers ni probablement au juge qu’ils ont affaire à une religieuse : ils s’intéressent à Madame X. Les choses se passent finalement tranquillement, la « sœur » en question ne cherchant pas non plus à s’opposer cette fois là à la force publique !
Au commissariat, on explique à la religieuse qu’on va la mettre en garde à vue jusqu’à ce que le juge ait besoin d’elle, c'est-à-dire soit le jour même , soit un des jours suivants. Les policiers n’osent pas la mettre en cellule et la mettent dans un bureau . La religieuse finit par trouver quelqu’un qui l’écoute. Elle explique alors pourquoi elle ne s’est pas présentée et réitère sa demande : elle n’a pas que cela à faire et veut savoir quand on aura vraiment besoin d’elle.
Il faut croire que les religieuses sont mieux vues des policiers que les journalistes, surtout quand elles sont connues personnellement par l’un d’entre eux. Et on peut imaginer aussi que celle-ci a fait preuve de ténacité. Ceux qui ont vu Sœur Emmanuelle à la télévision ont sans doute compris que toute gentille qu’elle fût, elle devait savoir être très entêtée !
Toujours est il que les policiers finissent par téléphoner au juge et par le convaincre que le témoin dont il a besoin se présentera sans problème si on lui dit quel jour il doit le faire. Et finalement, le juge indique que le lendemain fera l’affaire ! Il a fallu cependant que le commissaire de police, qui la connaissait de nom, prenne pour elle l’engagement qu’elle serait présente le lendemain au tribunal.
Toute cette histoire n’a pas pour but de souligner la différence entre un journaliste et une religieuse (d’autant plus qu’il doit bien se trouver des religieuses ayant leur carte de journaliste !). Je voulais simplement donner la réponse donnée à la religieuse quand celle-ci a pu demander pourquoi ceux qui sont venus la chercher avaient revêtu un gilet pare balles. Après tout, elle n’était même pas accusée de diffamation !
La réponse est très simple, et elle est sans doute identique dans le cas de Libération : les policiers n’avaient aucune information sur la raison qui poussait le juge à délivrer son mandat d’amener et ne savaient pas si la personne concernée était dangereuse ou pas. Si elle n’a pas eu de menottes (ils avaient prévu de les mettre), c’est parce qu’elle a été reconnue par l’un des présents, pas parce qu’elle était seulement convoquée comme témoin.
Manifestement, on ne se parle guère entre juge et policiers. Pourquoi faire d’ailleurs ? De simples fonctionnaires ont-ils donc besoin de comprendre ce qu’on leur fait faire ? C’est aussi cela qui est révélateur dans ces affaires : des modes de management et de communication (les deux procèdent bien sûr du même état d’esprit) d’un autre âge au sein de l’administration.
PS : j'ai hésité entre deux titres. Le premier fait allusion à l'article d'Eolas, le second est plus près de ce que je raconte. Finalement, j'ai tout mis!
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