Les écarts entre le vainqueur et le vaincu étant souvent limités, la question majeure pour les principaux candidats est de savoir comment gagner ces voix qui vont faire la différence, quelques centaines de milliers si on est au niveau de notre pays. Faut il rassembler en priorité son camp ou aller chercher les électeurs chez les indécis, voire dans l’autre camp ?
En 1974, V Giscard d’Estaing dépasse François Mitterrand de 424 599 voix sur plus de 26 millions de suffrages. C’est le plus petit écart aux présidentielles françaises. En 1965, Charles de Gaulle avait 2 463 964 voix d’avance, contre le même adversaire. En 2000, 554 683 voix, sur plus de 100 millions de votants, séparent G Bush de Al Gore, au bénéfice…du perdant ( !), le système électoral reposant sur des grands électeurs par Etat.
Ces écarts faibles (et dans les exemples ci-dessus très faibles), ne sont pas le fait du hasard : on les retrouve assez systématiquement dans toutes les démocraties, où il est rare que le camp perdant soit à moins de 45% des voix (du total gagnant + premier battu quand il y a plus de deux forces en présence). Tout se passe comme si les camps se construisaient pour que la limite entre eux corresponde à peu près à la limite entre deux moitiés du corps électoral . On comprend aisément que c’est la seule condition pour qu’il y ait une alternance.
Donc, si je suis le candidat d’un camp qui pèse à peu près la moitié des suffrages, la question est de savoir comment faire pour que cet « à peu près » fasse « un peu plus » plutôt que « un peu moins ».
Pendant longtemps, il a été admis qu’une élection se gagne au centre : c’est là que se trouvent les électeurs indécis, ceux qui peuvent basculer d’un coté ou de l’autre. Il est inutile de chercher à rallier un électeur qui se trouve au cœur du camp d’en face : il y a très peu de chances qu’il soit sensible à mes arguments.
Ce qui faisait justement la force d’un Charles de Gaulle, et son caractère exceptionnel, c’est qu’il trouvait des électeurs largement au-delà du camp traditionnel de la droite, en raison de son passé pendant la guerre et de son statut (qu’il cultivait largement) d’homme au dessus des partis. C’est pour cette raison que F Mitterrand et J Lecanuet ont pu considérer comme une victoire le seul fait de l’avoir mis en ballottage et que le premier se glorifiait de son score au second tour, malgré l’écart important.
En 1974, VGE a joué le jeu du centre pour battre son adversaire. Malgré une situation économique qui pouvait (déjà !) défavoriser le camp au pouvoir, et une montée continue du camp de la gauche, il l’a emporté.
La tactique de F Mitterrand et du parti socialiste semble avoir été au contraire de commencer à rassembler son camp, avec l’union de la gauche et son programme commun. Il est vrai que l’élection de 1969 avait montré la capacité du parti communiste à devancer le candidat de la gauche non communiste. On notera également que présenter comme seul candidat au premier tour F Mitterrand (en 165 comme en 1974) était pour la gauche et pour le PC une manière d’aller chercher les voix le plus au centre possible.
La victoire de F Mitterrand en 1981 s’explique en partie par l’écart qu’il a su faire avec le candidat communiste Georges Marchais au premier tour : 25.85% des suffrages contre 15.35%. Les électeurs modérés pouvaient alors au second tour lui apporter leurs voix, sans craindre qu’il soit prisonnier du PC. D’ailleurs, au premier tour, les candidats de droite recueillent 49.31% de suffrages, contre 46.82% aux candidats de gauche et 3.88% au candidat écologiste (une partie des Verts se situent à l’époque ni droite ni gauche, comme le fera A Waechter aux européennes de 1989).
Au second tour, VGE n’a plus que 48, 24% des suffrages. F Mitterrand a conservé toutes les voix de gauche, y compris les 2.21% des radicaux de gauche, les voix écologistes et plus de 1% de voix recueillies par la droite au premier tour. Il a bien gagné au centre. Les électeurs seront d’ailleurs attentifs à apporter massivement leurs suffrages au PS aux législatives qui suivent (36% !), permettant à celui-ci d’avoir une majorité absolue (265 députés et 20 apparentés sur 491) à l’Assemblée Nationale, sans les communistes.
Mais chercher à gagner au centre les indécis qui hésitent entre les deux camps peut faire oublier qu’il existe aussi (et de plus en plus) des indécis qui hésitent entre voter pour leur camp et ne pas voter du tout. Quand les abstentions deviennent massives, il peut être plus utile de rassembler son camp en se positionnant franchement à gauche ou à droite que de gagner les indécis en se positionnant au centre ;
La mésaventure de L Jospin, absent du second tour en 2002, peut s’analyser ainsi : tout préoccupé par la nécessité de gagner au centre au second tour, il n’a pas vu que ses propres troupes hésitaient à le suivre et il les a vu s’abstenir ou se disperser sur toute une série d’autres candidats au premier tour !
Aux USA où le taux d’abstention est très élevé (51% en 1996 par exemple), il peut être plus efficace d’être un candidat marqué dans son camp, pour faire voter son camp, que de se positionner au centre pour prendre des voix à l’adversaire ou pour s’attirer les indépendants, pourtant nombreux. C’est ce qui peut expliquer les deux victoires de G Bush en 2000 et 2004.
C’était la tactique préconisée par mon ami Guillaume. Il a rejoint le groupe Harlem pour OBAMA il y a plus d’un an, au moment des primaires. Les membres du groupe voulaient développer des arguments pour Obama et contre Clinton. Il leur a fait remarquer que les habitants du quartier étaient tous pour Obama : la vraie question était de les faire voter et pour commencer, de les faire s’inscrire sur les listes électorales ; Son argument a convaincu. Et la même analyse a été faite par les penseurs du parti puisque je lisais dans le Monde de ce soir ce titre : le camp démocrate incite les jeunes, les noirs et les hispaniques à s’inscrire sur les listes électorales.
C’est avec cette analyse qu’il faut comprendre le choix de S PALIN comme colistière par J Mac Cain. Le but n’est pas d’attirer les électeurs du centre mais de mobiliser les troupes républicaines, en particulier les plus conservatrices, dont Mac Cain est assez éloigné. C’est pourquoi ce qui parait des gaffes pour nous français est peut être efficace.
Au-delà, S Palin pouvait attirer certains des électeurs de Clinton réticents à voter Obama : les femmes et les cols bleus notamment. Dans le premier cas, il s’avère que cela ne fonctionne pas.
S Palin se présente aussi comme une représentante des gens du terroir contre les politiciens de Washington. Les américains sont très méfiants à l’égard du pouvoir fédéral.
D’une certaine manière S Royal a joué le même jeu en insistant sur sa présence en région. Et on peut se demander si ce n’est pas ce qui est en train de se passer à l’occasion du congrès du PS. Martine Aubry, maire de Lille, est soutenue par les fédérations du Nord et du Pas de Calais. Ségolène Royal s’est alliée au maire de Lyon et au président du conseil général des Bouches du Rhône. Deux listes très provinciales donc. En face, Delanoë le maire de Paris, allié par exemple à Jean Marc Ayrault, certes maire de Nantes mais aussi président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, et à François Hollande, certes maire de Tulle mais aussi secrétaire du parti sortant ; Les petites gens de province contre les élites parisiennes ?
Est-ce dans ce contexte qu’il faut interpréter la scène sur Delanoë hier soir dans les Guignols ? Une longue séquence pour présenter un maire de Paris qui ne serait jamais allé en province et rechignerait fortement à sortir de la capitale….
Lors de la dernière présidentielle, N Sarkozy s’est positionné clairement comme un candidat de droite, brandissant fièrement son drapeau pour mobiliser son camp. Le Parti Socialiste a suivi une S Royal qui lui paraissait à même de ratisser large, en dehors des électeurs traditionnels. Il n’était pas prévu qu’elle aurait du mal à mobiliser dans son propre camp. Les attaques contre N Sarkozy, pour le diaboliser au regard des électeurs de gauche n’ont pas suffit : l’écart était supérieur à 2 millions de voix, plus que les 1.6 millions d’écart entre Chirac et Jospin en 1995, pourtant très mauvaise année pour la gauche.
Et pourtant, il y a de plus en plus d’électeurs qui ne se reconnaissent pas dans un camp ou dans l’autre : c’est sur ce constat que s’est appuyé, avec un certain succès, F Bayrou.
Rassembler son camp et gagner les indécis/ indépendants, c’est la gageure pour tout candidat : ce n’est pas simple. Mais après tout, le candidat d’en face a la même difficulté !
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