Il est entendu que demander à une femme d’arriver vierge au mariage est complètement archaïque Et pourtant, c’était encore la position dominante en France il y a 60 ans. Sommes nous tellement plus évolués que nos grands parents? Quelles sont les raisons de ce basculement, et tout d’abord de la position précédente?
Pour les animaux que nous sommes aussi, l’un des principaux objectifs est d’assurer la pérennité de sa descendance. Cela signifie qu’il faut avoir suffisamment d’enfants et s’en occuper suffisamment longtemps pour qu’il y en ait qui soient parents à leur tour. Pour une femme, la première et la deuxième partie de cette proposition sont tout à fait compatibles, même si pendant très longtemps cela voulait dire qu‘elle devait quasiment être enceinte ou allaiter toute sa vie d‘adulte. Pour l‘homme, les deux parties de la proposition se révèlent à peu près incompatibles : pour avoir beaucoup d‘enfants, le mieux serait de féconder le maximum de femmes, mais pour pouvoir les élever jusqu’à l’âge adulte, il lui faut dans la plupart des civilisations, rester avec une seule femme. Les conditions de vie sont telles jusqu’il y a peu, que les femmes ne peuvent rester seules pour mener leurs enfants jusqu’à l’âge adulte. Le mariage (et l’interdiction de la polygamie) permet aux femmes de se lier un mari. Mais si l’homme concentre sa succession sur une seule femme, il a besoin d’être sûr que ce sont bien ses propres enfants qu’il élève. Et pour cela, la seule vraie solution est l’interdiction de l’adultère pour son conjoint et la virginité de celle-ci lors du mariage. Pour être sur de ne pas élever les enfants d’un coucou, le mari ne doit pas être cocu (j’imagine que la proximité des mots n’est pas le fruit du hasard!). A ces questions de filiation, s’ajoute, une fois la sédentarisation effectuée, celle de la transmission du patrimoine : la question de la filiation a fait du mariage une institution, celle du patrimoine en fait aussi un contrat. Le mariage chrétien et son consentement entre époux, donnant la priorité au choix des conjoints par rapport à celui de la gestion du patrimoine, a déjà donné un coup de canif à cette construction. Mais les temps modernes feront beaucoup plus. La transition démographique est un premier changement majeur: si la femme n’a plus besoin d’avoir que deux enfants et si son espérance de vie augmente, la période pendant laquelle elle est enceinte ou avec des enfants petits n’occupe plus qu’une faible partie de sa vie d’adulte. La femme va enfin pouvoir vivre pour elle-même. La pilule va ensuite lui donner les moyens de maîtriser sa fécondité. Le deuxième changement majeur est apporté par les trente glorieuses. L’augmentation du niveau de vie est telle qu’il devient possible de vivre seule. Et la mécanisation des tâches ménagères permet aux femmes d’accéder de manière durable au salariat. Dans ces conditions, la femme n’a plus autant besoin de se lier à un mari, surtout si celui-ci la traite mal : les divorces demandés par la femme augmentent. Troisième changement, sans doute moins important (quoique…) : la réduction massive du nombre d’exploitations agricoles, la montée du salariat, rendent l’héritage moins vital. Ce qu’on transmet aujourd’hui à ses enfants, ce sont les moyens de faire des études, les réseaux etc. plus encore que les moyens immobiliers de production. Aujourd’hui le mariage n’est donc plus l’institution d’hier. L’alliance stable entre des époux liés par un consentement mutuel ou entre des concubins liés par un amour durable reste pourtant majoritaire. Mais certains hommes (en particulier aux hauts revenus) ont réinventé la polygamie pour augmenter leur descendance : parfois dans le même temps, le plus souvent successivement. Quelques femmes décident de leur coté de faire un bébé toute seule. D’autres plus nombreuses se retrouvent seules, soit abandonnées par le père de leur(s) enfant(s), soit l’ayant quitté. Leur situation n’est sans doute pas la même selon leur statut social et leur revenu. Dès la fin des années 60, l’idée dominante chez les jeunes génération est qu’il ne faut plus se sacrifier pour ses enfants (comme les autres générations ont du le faire) mais faire passer sa propre vie d’abord. Le résultat me semble moyen, si j’en crois quelques exemples autour de moi. Les jeunes générations actuelles ont trouvé un autre compromis en prolongeant leur adolescence, en donnant la priorité à leur début de carrière, quitte à être rattrapées (pour les femmes) par leur horloge biologique Autour de tout cela, notre haute intelligence permet de construire des justifications pour le renversement de nos valeurs. Justifications dans lesquelles le modernisme tient une bonne part. En réalité la transition démographique et le progrès économique nous ont rendu libre de nos choix de vie. C’est une grande chance mais ce n’est pas simple et certains craquent ou se raccrochent à quelques anciennes certitudes. D’autres veulent imposer un nouvel ordre moral (sur des valeurs très différentes du précédent) semblant oublier la liberté et le pluralisme.
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