Le nombre très élevé de commentaires sur les articles d’Eolas et Jules concernant une annulation de mariage à Lille, montre à quel point la décision évoquée touche des thèmes sensibles chez nos concitoyens. Au-delà de la question de l’Islam (sujet sensible s’il en est), c’est celle du mariage que je voudrais aborder ici avec le sentiment que l’institution du mariage ne renvoie plus à des conceptions partagées dans notre pays.
Il y a 50 ans, autant dire hier, le mariage était la norme, le divorce ou l’union libre, l’exception. Une grande partie de ceux qui convolaient en justes noces (intéressant ce terme de « justes », non ?) le faisaient devant Mr le curé et tous devant Mr le Maire. La collectivité nationale, comme elle le faisait depuis 5 siècles (je crois du moins), se considérait concernée par la mise en couple d’un homme et une femme, au point de vouloir la formaliser par un acte et de la protéger par un certain nombre de lois et de pratiques.
C’est que le mariage était fondateur de la famille et qu’étaient en jeu des questions majeures comme celle de la filiation, de l’éducation des enfants ou de l’héritage. Le législateur (rejoignant en cela la pensée dominante) considérait que la cellule familiale était une base indispensable du bon fonctionnement de la société et à ce titre la protégeait. Sa sollicitude se manifestait notamment par les allocations familiales ou la part entière dévolue au conjoint dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Les enfants légitimes étaient mieux traités que les enfants naturels.
Le système avait l’avantage de la clarté, même s’il comportait des défauts, d’autant plus que Napoléon avait introduit dans son code civil des dispositions clairement machistes.
Aujourd’hui, les choses ont massivement changé et le mariage, s’il reste fréquent, n’est plus la norme. En 2006, 274 084 mariages sont célébrés, 19% des époux et 17.8% des épouses étant divorcés. La même année, 135 910 divorces sont prononcés (36 000 en 1968), ce qui correspond à un rapport de 46.9 divorces pour 100 mariages (ce qui ne signifie pas que 46.9% des mariages finissent par un divorce). Pour l’instant, largement plus de la moitié des mariés restent ensemble toute leur vie. En 2006, 75% des mariés de 1968 étaient encore ensemble, ce n’étaient le cas que de 70% des mariés de 1981.
Le mariage est plus rare, mais il réunit aussi des conjoints plus âgés. Ainsi, 57% des femmes nées en 1950 sont déjà mariées à l’âge de 22 ans. 6% de celles nées en 1981 sont dans le même cas. L’âge moyen au mariage est passé de 22.6 ans pour les femmes nées en 1950 à 28.7 ans pour celles nées en 1973. Il est vrai que dans le même temps, l’âge de la mère au premier enfant est passé d’environ 25 à 30 ans.
Surtout, la moitié des enfants (49.5% en 2006) naissent maintenant hors mariage. Les remariages de plus en plus nombreux se traduisent par une multiplication des familles recomposées.
Le développement de l’union libre et celui des divorces ont été concomitants, les deux phénomènes étant liés au rejet de la norme sociale du mariage indissoluble comme seule forme acceptable pour un couple. Mais on peut dire de manière provocatrice (et surtout caricaturale et simplificatrice) que les femmes sont gagnantes avec le divorce et perdantes avec l’union libre (parce qu’elles se retrouvent dans certains cas, de moins en moins rares, abandonnées avec leur(s) enfant(s)).
Les divorces sont généralement demandées d’abord par les femmes (80% je crois). Elles ont ainsi pu se libérer de situations insupportables pour elles. Dans le cas de foyers désunies, les enfants sont également souvent bénéficiaires : il vaut mieux la clarté que les faux semblants et les disputes continuelles. Au-delà des cas de violences physiques ou non, les femmes n’acceptent plus des situations qui les rabaissent : qui n’a rencontré le cas d’hommes prêts à se satisfaire de la coexistence de la vie maritale et d’une maîtresse ? Les femmes n’admettent généralement plus ce type d’hypocrisie.
Le statut défavorable aux femmes, qui leur imposait la domination masculine dans le mariage, et la chasteté pré maritale quand les garçons devaient au contraire faire leur expérience (garder vos poules, je lâche mon coq), ce statut défavorable a de fait à peu près disparu. Et quand il réapparaît dans les comportements de populations issues de l’immigration, pour des raisons culturelles ou religieuses, notre suscité réagit. L’émotion autour de l’affaire de l’annulation de Lille est révélatrice de cette réaction, même si elle repose sur une incompréhension du dossier.
Les évolutions de la société sur le mariage ont cependant aussi des conséquences qui posent question.
La première est la multiplication des familles monoparentales. Près de 20% des ménages comportant un enfant de 0 à 24 ans sont dans ce cas, ce qui en fait 1.75 millions, dont près de 1.5 millions dont le chef de famille est une femme. Derrière une partie de ces situations, on trouve des enfants plus mal dans leur peau que la moyenne, en situation d’échec ou même de délinquance. Dans ce domaine, la société n’a pas gagné.
La deuxième, curieusement, est l’apparition d’une tentative de nouvel ordre moral, très différent de l’ancien, mais aussi intolérant que lui. Un ordre moral qui conduirait à dire, non seulement que l’homme n’a pas à imposer la chasteté pré maritale à la femme, mais que le choix libre de cette chasteté est inacceptable, anormal. Quelques uns des commentaires qu’on peut lire sur l’affaire de l’annulation sont en fait sur ce type de position. Ceux qui reprochent au pape de prôner la fidélité plutôt que le vagabondage sexuel, allant jusqu’à en faire un responsable de la diffusion du sida, sont dans la même tentative d’imposition dême tentative d’imposition d’une nouvelle norme de comportement sexuel. Jules a expliqué qu’au contraire, le pluralisme conduisait à accepter certaines différences.
Aujourd’hui, la société ne sait plus bien ce qu’elle doit faire du mariage. Quelques exemples
A la fin des années 60 (je crois), pour faciliter la vie des mères célibataires, il a été décidé que leur premier enfant vaudrait une part pour l’impôt sur le revenu. Ce qui n’était pas prévu est que les parents de deux enfants, vivants en union libre et faisant séparément leur déclaration d’impôt avec un enfant chacun, seraient ainsi favorisé par rapport à un couple marié. Cette situation a perduré une bonne vingtaine d’année, envoyant le message que la société favorisait l’union libre.
Au moment où le mariage est délaissé par une partie des couples, les homosexuels revendiquent que leur union puisse être reconnue sous cette forme. Si c’est le cas, on n’est plus dans des questions de protection de la cellule parentale et de la filiation, mais sur un autre terrain.
Ces deux exemples pour dire que la société ne sait plus quel sens elle veut donner au mariage. Cette absence de sens peut être une façon de laisser les gens libres de leur choix dans ce domaine : il semble que l’opinion générale soit devenu très tolérante, en acceptant aussi bien ceux qui veulent se marier que ceux qui choisissent de ne pas le faire.
Mais elle peut aussi être un révélateur d’une société désagrégée. Des couples choisissent aujourd’hui de se marier à l’église, alors qu’ils en sont assez éloignés, parce qu’il leur ensemble qu’on y accorde beaucoup plus d’importance à leur mariage qu’à la mairie. Cela ne menace pas la société, mais devrait nous alerter sur la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’institution du mariage.
PS rajouté dimanche 1er juin, pour revenir à l'affaire initiale après lecture d'un commentaire chez Eolas: les époux auraient pu sans aucun problème obtenir le divorce (par consentement mutuel ou par absence de logement commun pendant 2 ans). L'annulation leur permet à tous les deux de ne pas apparaître comme des divorcés mais comme de "simples" célibataires, ce qui dans le milieu où ils sont est une situation mieux reconnue (sans doute encore plus pour la femme que pour l'homme). C'est dire si les commentaires scandalisés sont stupides!
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