Après avoir défendu l’intérêt de la concurrence, je
reviens à l’idée de coopération. Celle-ci impose de distinguer la répartition
des tâches (principe d’organisation collective qui n’exclut pas l’isolement), l’échange
et la coopération.
Nos ancêtres du paléolithique avaient sans doute déjà
inventé la coopération dans l’action collective, par exemple lors de la chasse
au mammouth, qu’il valait sans doute mieux ne pas faire seul. Ils connaissaient
la division du travail,entre hommes et femmes sans doute, mais certainement
avec la spécialisation des artisans en taille de pierre. Ils pratiquaient enfin
l’échange commercial. Avec le temps, nous n’avons rien ajouté mais simplement
enrichi et sophistiqué ces pratiques.
L’organisation taylorienne repose beaucoup plus sur une répartition
des tâches entre acteurs successifs que sur de la coopération. Il faudra l’arrivée
des organisations post tayloriennes, notamment les organisations par processus
pour voir surgir des besoins de coopération. Encore que cela ne soit pas si évident:
ce n’est pas parce que l’on parle d’organisation collective et de partenariat
que s’instaure une véritable coopération; François Dupuy a montré dans « la
fatigue des élites » à quel point l’obligation de se frotter à l’autre, de
négocier en permanence des compromis était vécu comme une contrainte forte au
sein de l’organisation.
Entre entreprises, la coopération existe sous différentes
formes, en particulier commerciales, mais le législateur interdit les ententes:
la coopération entre concurrents est limitée. Cependant, des formes de coopération
peuvent exister comme l’ont montré les SPL puis les pôles de compétitivité. Ces
derniers sont d’ailleurs financièrement encouragés par la collectivité
publique.
Le discours sur les pôles de compétitivité a mis en évidence
les synergies entre entreprises et centres de recherche ou universités. L’existence
d’entreprises à la fois concurrentes et voisines est attestée depuis longtemps,
de la vallée de l’Arve pour le décolletage au Jura pour les jouets et les
lunettes en passant par la dentelle de Caudry ou la coutellerie de Thiers. Dans
ces zones, il y a à la fois l’émulation de la concurrence et la réalité des échanges:par
les fournisseurs et les clients, par les salariés qui passent d’ entreprise à l’autre,
par les échanges plus formels dans les revues et les colloques comme par les échanges
informels entre amis autour d’un verre.
Il est assez amusant d’observer que les porteurs du
slogan « la coopération plutôt que la concurrence » sont souvent des
fonctionnaires participant à des services publics qui ne brillent pas par l’échange
et la coopération!
Au sein même de l’entreprise, la coopération est loin d’être
une évidence. C’est souvent une affaire de management. On sait que la coopération
signifie notamment le partage de l’information mais que la rétention d’information
est aussi un outil de pouvoir.
Dans mon entreprise, la direction affiche une volonté de
favoriser la coopération transversale, et le traduit dans quelques aspects de l’organisation
et des procédures. Mais cela ne suffit pas:encore faut il que le management joue
le jeu. On observe donc des pratiques variables d’une équipe à l’autre. Il se
trouve que j’ai la chance d’appartenir à une équipe qui pratique la coopération,
en interne et avec les autres équipes. Quand cela se passe bien, comme c’est le
cas actuellement, et que tout le monde joue le jeu, c’est à la fois efficace et
agréable: comme le dit une de mes collègues, on est content de venir travailler
le matin!
En fait, la coopération repose sur une logique de
confiance qu’il est facile de perdre. Dans notre société de défiance, on
comprendra que la coopération n’est pas évidence. D’autant plus que l’enseignement
pousse à une logique individuelle et n’apprend guère le travail d’équipe. Nous
avons pu le constater avec une jeune consultante tout droit sortie de la fac et
arrivée en septembre chez nous: elle a une véritable mutation culturelle à
faire. Alors que dans le système où elle était jusqu’à présent, on lui
demandait de prouver qu’elle savait et elle était sanctionnée si elle ne savait
pas, on lui explique aujourd’hui qu’elle a complètement le droit de ne pas
savoir mais qu’elle n’a pas celui de ne pas demander! Dit autrement, on lui
demande de coopérer et pour cela d’admettre s’il le faut ses faiblesses (étant
entendu que pour le reste de l’équipe il est normal qu’elle ne sache pas tout
faire puisqu’elle débute!).
Il y a encore du chemin à faire pour intégrer les
logiques de coopération!
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