Le pouvoir en place en Russie fait tout pour transformer le scrutin présidentiel de ce dimanche en plébiscite. Son comportement rappelle un régime que les français ont connus en son temps : celui de Napoléon 3, que Pierre Rosanvallon qualifie de démocratie illibérale dans son livre « la démocratie inachevée ».
Dans la chapitre qu’il consacre à ce régime, qu’il appelle également césarisme ou démocratie plébiscitaire, Pierre Rosanvallon explique la philosophie qui le sous tend , philosophie qui est développée par des théoriciens comme Arthur de La Guéronnière ou des hommes d’Etat comme Victor de Persigny ou Emile Ollivier. Il s’agit d’instaurer un face à face entre le peuple et celui qui détient le pouvoir et en même temps incarne ce peuple. Il s’agit d’un pouvoir impérial qui tire sa légitimité constituante du peuple ( à travers l’élection ou le plébiscite) mais qui refuse les corps intermédiaires politiques considérés comme des facteurs de division de la nation. Le peuple étant présumé être un, tout ce qui peut le diviser est considéré comme une atteinte à la nation, ce qui explique l’interdiction des comités électoraux.
Pierre Rosanvallon commence le chapitre sur ce sujet par ces mots : « le bonapartisme allie deux références longtemps contradictoires dans la vie française : la foi dans le rationalisme administratif et le culte de la souveraineté du peuple ; l’ordre et la démocratie pour employer d’autres mots »
Comment ne pas en effet faire le lien avec ce qui se passe aujourd’hui en Russie ? L’épisode du début des années 90, marquées par une chute majeure du pouvoir d’achat, par la perte des républiques sœurs au sein de l’URSS et par un désordre favorisant tous les excès crapuleux ne fait il pas irrésistiblement penser a à la première République française, avec sa terreur révolutionnaire, ses guerres intestines, ses assignats ? De la même manière qu’après Thermidor les français aspiraient à un retour à l’ordre, les Russes sont prêts à suivre un homme fort qui rétablit l’ordre et la croissance.
Le nationalisme est aussi une composante forte du mouvement, les russes ayant sans doute du mal à supporter une diminution de la suprématie sur leurs voisins que était la du temps de la défunte URSS.
Entre l’anarchie qui se traduit de fait par la loi de la jungle et un Etat capable de faire respecter la loi, le choix des Russes était vite fait. Ils ont hérité d’un Etat fort qui parfois se place au dessus de ses propres lois mais qui en échange de ses excès assure une croissance économique, d’abord permise par le retour à l’ordre, puis accentuée par la forte hausse des matières premières dont le pays regorge.
Après tout, notre deuxième empire a vécu une vingtaine d’années pendant lesquelles l’économie s’est globalement bien portée. Celui que Victor Hugo avait surnommé «Napoléon le petit » s’était même payé le luxe de favoriser l’introduction du syndicalisme. S’il était opposé aux corps intermédiaires en politique, il ne l’était pas dans la société civile qu’il souhaitait voir se développer. Cet empire est mort à Sedan, sous les coups étrangers. Rien ne prouve cependant qu’il aurait encore subsisté longtemps, l’opposition se renforçant à la fin des années 1860.
Il est probable que le temps passant, les Russes oublieront progressivement les années 90 et supporteront de moins en moins un mode de pouvoir peu respectueux de la légalité. La manière dont évoluera la croissance aura forcément un impact. Si elle connaît des ratés durables, les inconvénients du régime ne seront plus acceptables. Mais si elle continue à forte vitesse, elle produira peut être à terme des forces qui demanderont un régime de liberté publiques cohérents avec les libertés économiques, comme cela s’est passé pour l’Espagne de Franco.
En attendant , on ne peut qu’admirer les efforts faits par les rares démocrates qui se battent au nom des libertés dans l’indifférence de beaucoup de leurs concitoyens.
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