Ellis Island, toute petite île à coté de la statue de la
liberté, a vu passer entre 1880 et 1924 environ 14 millions d’immigrants. Les
installations de l’époque ont été transformées en un musée de l’immigration qui
retrace l’arrivée de ceux qui venaient d’Europe pour trouver une terre où ils
pourraient mieux vivre. Aujourd’hui, 100 millions d’américains ont au moins un
ancêtre qui est passé là.
Après les premiers immigrés anglo-saxons ou scandinaves,
sont arrivés les irlandais chassés par la terrible famine de 1848. Les origines
se diversifièrent ensuite: Allemagne, Europe centrale, Europe du Sud (en
particulier l’Italie), Europe de l’Est avec des polonais, des hongrois ou des
juifs chassés de toute l’Europe de l’est ou de la Russie par les pogroms.
Depuis 30 ans, l’immigration est redevenue massive, d’abord
avec les latinos, mexicains ou venu d’Amérique du Sud, de Cuba ou d’un autre
pays d’Amérique centrale. Maintenant ce sont les asiatiques qui sont les plus
nombreux à entrer aux USA. New York en est la preuve avec le développement de
Chinatown au détriment de la petite Italie, bien que les asiatiques soient plus
souvent issus du sous continent indien ou de la presqu’île indochinoise. Mais
bien sûr, ils n‘arrivent plus par bateau et par Ellen Island!
Bien que presque tous descendants d’immigrés, les américains
ne voient pas tous d’un bon œil ces nouveaux arrivants et ils ont voté des lois
de plus en plus restrictives pour limiter le flux incessant de nouveaux
entrants, mettant même en place un mur pour empêcher les mexicains de pénétrer
sur leur territoire. Cette position, prise aussi bien par les démocrates de
Clinton que par les républicains de Bush, fait écho aux lois votées pendant la
grande période d’Ellis Island.
Le musée nous fait ainsi découvrir les contrôles mis en
place pour refouler les indésirables, en particulier ceux qui étaient considérés
comme débiles mentaux ou invalides. Pour respecter les consignes du Congrès et
mesurer les capacités intellectuelles de gens qui ne comprenaient pas leur
langue, les médecins avaient mis en place toute une série de tests qu’on peut découvrir
pendant la visite.
Plus de 200 000 personnes ont ainsi été refoulées entre
1880 et 1920, ce qui représente un taux d’environ 1.5% des candidats, sans
doute moins au début et plus à la fin, quand les lois se sont durcies. Le
retour se faisait aux frais de la compagnie de transport maritime. Les règles étaient
affichés dans les ports d’origine et ont du décourager certains candidats.
Ces lois qu’on peut à juste titre qualifier d’eugéniques,
même si le terme n’est pas utilisé dans le musée, pouvaient conduire à séparer
des familles. On imagine assez bien le drame quand un membre d’une famille était
refoulé et la difficulté de la décision à prendre: repartir tous alors que le
retour n’était payé que pour un ou abandonner un enfant ou un parent?
Les malades étaient aussi mis en quarantaine jusqu’à ce
qu’ils guérissent (ou meurent pour certains) et généralement le reste de la
famille attendait sur place. Dans certaines périodes, environ 20 % des
arrivants restaient plus d’une nuit sur place, pour attendre une décision ou un
malade.
La volonté d’intégrer les nouveaux arrivants se
traduisait par des initiatives tant publiques que privées, notamment pour leur
apprendre rapidement la langue.
L’exposition montre aussi, au travers notamment d’affiches,
les raisons qui poussaient à rendre plus difficile l’entrée. Elles étaient de
deux types, et il est intéressant de les comparer à celles qui fleurissent chez
nous aujourd’hui pour refuser l’entrée des étrangers.
La première raison peut clairement être qualifiée de
raciste. Elle émanait de représentants « WASP », ces blancs
anglo-saxons protestants qui voyaient d’un mauvais œil les catholiques
irlandais ou italiens, les juifs d’Europe de l’est et plus généralement tous
ces arrivants d’Europe centrale ou du sud.
La deuxième raison était économique et syndicale. Les
salariés en place, en lutte pour des meilleurs salaires, voyaient arriver une
main d’œuvre prête à tout pour travailler, en particulier à accepter des rémunérations
plus basses que celles qu’ils essayaient d’imposer.
On voit bien chez nous que ces deux raisons ont nourri
les scores du Front National. Le discours sur les immigrés acceptables quand
ils viennent de l’Europe de l’Ouest, qu’ils sont de culture chrétienne comme
nous, mais pas quand ils sont africains et musulmans n’est il pas la réplique
du discours des WASP? Et la crainte des
salariés peu qualifiés français d’être concurrencés par les immigrés n’est elle
pas le pendant de celle de certains syndicalistes américains, hier et
probablement aujourd’hui?
Au tournant du 20ème siècle, quand Ellis Island
accueillait certains jours plusieurs milliers de personnes, l’Europe à la démographie
galopante envoyait son trop plein dans le pays vide qu’était les USA. Aujourd’hui,
l’Europe est devenu une terre d’accueil pour tous ceux venus d’Afrique ou d’Asie
qui fuient l’oppression et/ ou la misère.
Le flux devrait augmenter dans les prochaines décennies,
en particulier en provenance de l’Afrique.
Le taux de fécondité sur le vieux continent est passé très
nettement en dessous du seuil de renouvellement. Dès maintenant, la France
assure les deux tiers de l’excédent naturel (la différence entre les naissances
et les décès) de toute l‘Europe. A terme assez proche, c’est un déficit naturel
que notre continent connaîtra, à l’image de l’Allemagne ou de la Russie aujourd’hui.
L’Europe sera encore plus qu’aujourd’hui une zone de destination, surtout si on
y connaît à la fois la paix et la prospérité.
Dans le même temps, l’Afrique va rester le seul continent
qui continuera à connaître une augmentation rapide de sa population. La
transition démographique est déjà bien avancée en Asie qui connaît par ailleurs
une croissance élevée de son économie, même s’il existe des zones nettement
moins dynamiques que la moyenne. Le Maghreb a vu sa fécondité s’effondrer: c’est
surtout l’Afrique noire qui est concernée par une natalité forte, quelques pays
en guerre n’ayant même pas entamé la transition démographique.
Même si celle si se déroulait très vite à l’image de ce
qui s’est passé au Maghreb (en trente ans, l’indice de fécondité a baissé de
6.5 à 2.5 enfants par femme!) la transition démographique n’empêchera pas des
flux d’immigration très importants depuis l’Afrique dans les prochaines décennies.
Nettement plus importants qu’aujourd’hui, surtout si les dérèglements
climatiques augmentent les problèmes d’alimentation et d’eau dont le continent
souffre déjà de nos jours.
Une partie de ces flux cherchera à rejoindre l’Amérique
et peut être l’Asie mais il est évident que la destination privilégiée restera
l’Europe. La France, avec sa natalité plus importante que la moyenne, n’est pas
la destination la plus demandeuse mais c’est la destination naturelle de toutes
ses anciennes colonies.
Il entre environ 100 000 immigrés par an dans notre pays,
malgré les obstacles de tout genre qui leur sont faits, y compris les
reconduites à la frontière; Sans ces freins, il est difficile de savoir quel
serait le flux. Le double? Plus? Moins?
L’intégration de ces arrivants pose des problèmes
redoutables, au niveau des écoles par exemple ou au niveau du logement, en
particulier dans la région parisienne où il y a un important problème de
foncier.
Peut on libérer l’entrée ou doit on considérer à la suite
de Michel Rocard que nous devons prendre une part de la misère du monde mais
que nous ne pouvons pas la prendre en entier? Et en mettant des limites, ne
prouvons nous pas tous les jours que c’est au détriment de la démocratie et du
respect des individus?
Si nous voulons libérer l’entrée, est-ce compatible avec
les règles de protection sociale que nous avons mises en place? Quand je lis
dans une revue le témoignage d’une personne d’origine étrangère qui vit dans un
squat à Paris depuis 15 ans alors qu’elle a un salaire mais qu’elle attend qu’on
lui fournisse un logement, je me dis qu’on s’est trompé quelque part et que ce
n’est pas en transformant les gens en assistés qu’on fera une société qui
fonctionnera bien.
De manière plus générale, nous ne pouvons pas à la fois accueillir
beaucoup d’étrangers et pratiquer l’immobilisme permanent, en particulier au
sein des organisations publiques : il faut choisir !
Et pourtant, ceux qui viennent frapper à notre porte sont
généralement parmi les plus dynamiques de leurs pays, ceux qui ont su trouver
en eux même les ressources suffisantes pour affronter les risques et les
difficultés du voyage et de l’entrée.
Comment faire? Je ne sais pas bien !
En attendant, il nous faut améliorer nos processus d’intégration
si on veut faire face demain à l’augmentation des flux venus d’Afrique qui m’apparaît
inéluctable. Encore faudrait il savoir ce qu’il faut mettre dans l’intégration!
Sans doute au moins aider les arrivants à apprendre la langue!
Une chose est sure: la visite d’Ellis Island donne à
penser mais ne fournit pas de solution toute faite!
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