Les idées de Beveridge sont victimes de leur succès. Depuis 1945, les dépenses de retraite et de santé augmentent nettement plus vite que le PIB. Cela n’était guère un problème quand elles ne représentaient que quelques pour cent du total. Cela en devient un quand elles en représentent 20 %.
D’après une étude publiée par la Drees, la part des dépenses de santé dans le PIB n’était que de 2.5% en 1950, dont 50% financés par la Sécurité sociale, soit environ 1.3% du PIB. Si l’on prolonge à l’envers la courbe de 1950/ 1955, la part de la santé devait être à 2% du PIB lors de la création de la Sécu en 1945 dont 1 % financés par la Sécurité sociale
Trente après, en 1980, les dépenses dépassent déjà les 6% du PIB dont 80% financés par la Sécu, ce qui représente 4.8% du PIB. Dit autrement, en 35 ans de fonctionnement de la sécurité sociale, la part du PIB qui passe par les organismes correspondants a été multiplié par près de 5.
La tendance continue de manière moins forte dans les décennies qui suivent. L’observation du graphique de l’étude montre en effet une progression linéaire plutôt qu’exponentielle, avec en gros une dépense qui augmente de 1% du PIB par décennie.
Mais ce résultat est celui d’efforts continus pour maîtriser les dépenses. En simplifiant, on peut dire que les trente glorieuses ont été celles du développement du système et qu’on passe dans les années 70 à la recherche de la maîtrise des dépenses. Deux grandes mesures vont participer à cette maîtrise :
la diminution de la durée moyenne de séjour (on reste deux fois moins longtemps à l’hôpital) et
la limitation du nombre de place aux concours de médecine (s’il y a plus de médecins, on dépense plus).
Les plans Seguin puis Juppé semble permettre d’arrêter la progression des dépenses, au point qu’une étude de 2003 croit constater une stabilisation. En réalité ces plans ne font que repousser provisoirement l’augmentation. Ils permettent de limiter celle-ci aux 1% du PIB par décennie relevés précédemment, ce qui suppose un rythme d’augmentation nettement ralenti.
Le système des retraites a suivi une évolution du même type quoique plus lente. En 1959, les pensions de retraite représentent 5.4% du PIB, pour passer à 10.3% en 1980 et 12.6% en 2000. Cette croissance est due à celle de l’espérance de vie et à celle du montant des pensions
L’augmentation de l’espérance de vie est d’abord passé par la baisse de la mortalité enfantine puis dans une deuxième période par le report dans le temps de la mortalité des adultes. La proportion des adultes qui atteignent l’âge de la retraite a augmenté ainsi que la durée de celle-ci. Le multiple des deux augmente régulièrement (voir premier rapport du COR page 24) : 12.6 en 1950, 13.2 en 1960, 13.9 en 1970, 14.9 en 1980, 16.8 en 1990 et 18.2 en 2000. Comme on le voit, la tendance s’accentue avec le temps : le gain est de 5% entre 1950 et 1960, de 10% entre 1990 et 2000.
Le taux de liquidation pour les retraites à temps plein fixé à l’origine à 40% passe ensuite à 50%. Le résultat est que la pension moyenne est multipliée par 3.3 entre 1960 et 1980 quand le salaire moyen est multiplié par 1.8. Par contre, les croissances sont parallèles ensuite.
Au final, les régimes de santé et de retraite suivent une évolution parallèle : amélioration forte de 1945 à 1970 ou 1980, puis recherche de maîtrise de dépenses arrivées à un niveau élevée et qui continuent à croître. Dans le cas des retraites, le niveau de prestation a tendance à diminuer.
Il est facile de comprendre qu’on ne peut continuer cette tendance indéfiniment.
L’augmentation rapide de la dépense se traduit par un déficit de la sécu qui se traduit au final par une hausse des taux de cotisations. Le total des parts salariales plus patronales hors accident du travail passe de 32.2% du salaire brut en 1950 à 61.9% en 1990. Ce processus n’est cependant pas sans limite. D’une part le quasi gratuité des soins donne forcément lieu à un certain nombre d’abus ou de gaspillages, d’autre part des taux de cotisations élevés sont des incitations au travail au noir. Les mesures systématiques d’exonération de charges sont symptomatiques du problème.
Pour faire face à l’explosion des dépenses, des solutions diverses sont possibles. Pour les retraites, on peut augmenter les cotisations des actifs baisser les pensions ou augmenter l’âge de départ. Pour la santé, on peut augmenter les cotisations, faire payer plus l’usager ou améliorer l’efficacité du système. Certains choix favorisent plus certaines catégories sociales que d’autres. Certains choix sont sans doute plus de droite ou plus de gauche (si on a défini ce qu’est être de gauche). Mais nier le problème c’est simplement partir dans le mur.
Penser que la social démocratie c’est Ford, Keynes et Beveridge, c’est simplement avoir 30 ans de retard sur l’évolution de notre société. La gauche française en étant encore à s’interroger sur l’adhésion ou non à l’économie de marché, sur le choix entre le modèle réformiste ou révolutionnaire, ne peut que se réfugier dans une défense des avantages acquis, comme on a pu le voir à propos de la loi Fillon. La gauche français est devenue conservatrice et tournée vers le passé quand il s’agit affronter les problèmes du 21ème siècle et non ceux des années 1950. A problèmes nouveaux, solutions nouvelles. Tenir compte des tendances lourdes de l’économie et de la société, ce n’est pas forcément accepter n’importe quoi, mais ne pas en tenir compte, c’est forcément au final faire n’importe quoi!
Tous les partis sociaux démocrates d’Europe de l’Ouest sont confrontés peu ou prou aux mêmes questions que nous. Ils cherchent et proposent des solutions: il n’est pas forcément interdit de s’y intéresser. A condition bien sûr de ne plus croire que notre pays est la lumière du monde et que tous les peuples envient notre modèle social. A condition de sortir de notre nombrilisme en quelque sorte!
A suivre
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