Plusieurs
des commentaires fait à mon article précédent m’ont montré que le titre que
j’avais choisi a induit une mauvaise compréhension de la thèse que je
développais. J’ai d’autant plus envie d’y revenir que la thèse que j’exprimais me parait soulever un point crucial.
I
Il
faut dire que la question d’ascenseur social est suffisamment floue pour qu’on
y mette des choses fort diverses et que j’en ai donc profité pour choisir la
définition qui me convenait
Derrière
la notion d’ascenseur social, il me semble qu’on peut distinguer en réalité
trois idées
La
mobilité sociale est possible : je peux m’élever dans l’échelle sociale, et
si ce n’est pas mon cas, ce peut être celui de mes enfants. Pour illustrer
cette idée, il y a l’exemple classique du petit paysan dont le fils est
instituteur et le petit fils énarque. Cette forte mobilité sociale est la
conséquence d’une époque de forte transformation. La révolution française avait
permis à quelques soldats de devenir généraux et rois, les trente glorieuses
permettent à des fils de paysans de devenir hauts fonctionnaires, à de simples
bergers de devenir chefs d’entreprises et à des ouvriers de devenir agents de
maîtrise puis cadres. Cette ascension peut se faire par l’école et par le
diplôme ou par la promotion interne. Jacques Delors, entré à la Banque de
France avec un bac est une illustration du mélange des deux origines de la
promotion. Mais si mobilité sociale il y a , ne fonctionne elle pas dans les
deux sens ? Qu’en est il des déclassés ?
La
proportion de titulaires de fonctions nobles augmente. Justement, il y a peu de
déclassés parce que le nombre de cadres, de médecins, de professeurs ou de
chercheurs augmente. La proportion de personnes se considérant comme faisant
partie des classes moyennes ou supérieure est importante (Louis Chauvel montre
à quel point cette notion est floue). En réalité, le nombre de titulaires d’une
fonction considérée comme noble dans la génération précédente augmente. Mais du
simple fait de cette augmentation( surtout si elle est massive), la fonction ne
bénéficie progressivement plus de cette aura de noblesse. Il y a 100 ans,
l’instituteur du village était un des quelques notables de celui ci, avec le
curé, le pharmacien ou le notaire. Il n’en est plus rien aujourd’hui !
Dans un pays qui a toujours valorisé à l’extrême l’intellectuel plutôt que le
manuel, le discours plus que la technique, le col blanc plutôt que le col bleu, les évolutions des
trente glorieuses ont paru aller dans le sens de l’anoblissement. Jusqu’à ce
que les entreprises décident de diminuer le personnel en back office et de
renforcer le front office, de renforcer le service en automatisant la gestion
des chiffres et des documents. Après l’anoblissement massif, n’est ce pas
l’asservissement massif ?
Le
revenu de tous augmente, permettant à chacun, même s’il n’a pas progressé dans l’échelle
sociale, d’accéder à des moyens qui étaient naguère réservés aux plus nantis.
Dans ce domaine, les trente glorieuses ont fait très fort. L’ouvrier qui a vu
plusieurs de ses collègues devenir techniciens ou agents de maîtrise, sans
lui-même évoluer socialement, conquiert le confort dans la maison, la
télévision et la voiture. Dans l’aventure, rares sont ceux qui voient leurs
revenus diminuer. Il y en a, par exemple parmi les commerçants balayés par la
révolution des grandes surfaces.
Qu’en
est il aujourd’hui ? Si l’on reprend les trois idées émises ci-dessus, on
constate que
La
mobilité sociale apparaît plus difficile. Le diplôme, après avoir été un moyen de
promotion sociale, est devenu un moyen d’éviter le chômage. Même pour cela, il
a des ratés, puisque dans certaines filières il y a peu de débouchés, y compris
pour ceux qui ont atteint un niveau bac +4 ou bac +5.
François
Dubet et Marie Duru-Bellat montrent ici l’importance du processus actuel de
déclassement en notant que 64% des jeunes recrutés dans la fonction publique
possèdent des diplômes très supérieurs à ceux que le concours requiert
normalement. Alors qu’il était fréquent il y a 50 ans d’accéder par promotion à
un emploi avec un diplôme inférieur au niveau théoriquement requis, c’est
maintenant le contraire : la promotion devient très difficile et le
déclassement est fréquent .
Comme
je l’ai noté plus haut, des professions perdent leur aura de noblesse.
Les cadres voient diminuer pour certains leur autonomie et sont tous confrontés
aux exigences de leurs pairs, comme le note avec justesse François Dupuy dans
"la fatigue des élites". Pour quelqu’un qui s’est rêvé faire partie des classes
supérieures en atteignant un métier reconnu dans son enfance et qui se rend
compte, à 50 ans qu’il ne fait partie que de la masse de la classe moyenne, le
déception peut être forte
Mais
c’est surtout le revenu qui n’est pas là. C’est dans ce contexte que
j’ai analysé le rapport de l’équipe conduite par Gary Bobo. Au-delà du cas
particulier des enseignants, je constate qu’un trentenaire titulaire d’un bac
+2 ou + 4 a probablement un revenu plus bas que son équivalent 25 ans avant.
L’augmentation globale n’est palus suffisante pour assurer la promotion
économique de l’immense majorité de la population. A l’autre bout de l’échelle
de formation, la forte augmentation du SMIC a deux contreparties : un
effet d’éviction pour les non qualifiés qui alternent périodes de chômage et de
travail précaire, un effet d’écrasement des bas salaires qui ne donne aux
ouvriers qualifiés et petits employés qu’un avantage mineur par rapport au SMIC
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