La dérive spontanée d’un
parti politique, sous l’effet notamment des rivalités de pouvoir en son sein,
est de se transformer en une machine à perdre. La gauche en 2002 en est un
parfait exemple: chacune de ses composantes voulant montrer sa force pour avoir
la part la plus grande possible dans le partage des postes, une fois arrivée l’inéluctable
victoire, la multiplication des candidats a conduit à l’élimination de Jospin dès
le premier tour!
La leçon ayant provisoirement
porté, le Parti Socialiste sous la houlette de François Hollande, a su à peu près
cacher ses dissensions internes lors du congrès de Dijon puis associer le reste
de la gauche de gouvernement lors des régionales qui ont suivi. La majorité,
ayant joyeusement exposé au public les rivalités entre l’UMP et l’UDF comme
entre Chirac et Sarkozy, n’a évidemment pas su compenser l’inconvénient d’une
mauvaise conjoncture et d’un chômage en train de remonter.
Cela ne pouvait évidemment
pas durer, d’autant plus que Chirac était prêt à sacrifier la cause européenne
pour exciter les divisions au sein du Parti Socialiste. La campagne européenne
a donc été un cauchemar pour les dirigeants socialistes: non seulement on se déchirait
à belles dents au sein des sections (certains, rares heureusement, en arrivant
aux poings) mais les concurrences des courants s’étalaient au grand jour, les
différences majeures de discours poussant le grand public à se demander ce que
ces gens là faisaient dans le même parti. Le congrès du Mans puis les primaires
ont permis de continuer sur la pente fatale.
La nette victoire de la
compagne du premier secrétaire, dépassant les fractures du référendum comme
celles des courants des congrès précédents a donné une chance au PS de revenir
dans la course, ce que les sondages ont d’ailleurs montré. Pour compléter, une
négociation rapidement menée a permis de rallier le MRG (qui ne souhaitait sans
doute pas recommencer une campagne débouchant sur un score inférieur à 5%, donc
sur une absence de remboursement) comme le MDC, évitant ainsi de renouveler les
concurrences de Taubira et Chevènement.
Il est cependant bien tard,
après plusieurs années où les haines ont eu le temps de s’accumuler. D’autant
plus que la candidate socialiste cherche à s’appuyer sur les réseaux qui l’ont
aidé à prendre le dessus sur ses rivaux. Elle a donc exigé que les responsables
de Désirs d’Avenir soit intégrés dans la direction de campagne de chaque département,
suscitant un rejet violent chez les caciques du parti. D’après des sources
internes, dans certaines sections, le niveau des injures dépasse tout ce qu’on
a connu, même pendant le référendum. Et les élus, qui espéraient profiter d’une
dynamique de victoire, sont maintenant extrêmement réservés. Les seules choses
qui unissent encore les militants sont le souvenir du 21 avril 2002 et le rejet
de Sarkozy.
Les choses n’ont sans doute
pas encore basculé: tout peut encore repartir avec la publication du programme
début février. Et il peut se passer beaucoup de choses d’ici le mois d’avril. Le
risque est cependant que les propositions de Ségolène Royal ne fassent pas l’unanimité
au sein de son mouvement. Il est vrai que, dans la campagne en cours, la course
à la démagogie, aux petites phrases et aux basses attaques, est tellement bien
entamée que le fond n’aura peut être aucune importance.
Cependant, il ne suffit pas d’avoir
construit une belle machine à perdre pour atteindre son but: rien n’interdit
aux concurrents de faire encore mieux!
Dans ce domaine, les Verts
ont acquis une expérience redoutable. Ayant atteint près de 15% des voix aux
Européennes de 199?, orientés sur un
sujet auxquels les Français sont très sensibles, ils ont avec beaucoup de
talent dilapidé leur patrimoine de sympathie et leur réservoir électoral. Ils
ont même réussi à changer de candidat en pleine campagne des présidentielles!
La gauche antilibérale fait
très fort aussi, mais on sait que c’est une caractéristique des extrêmes (qui s’y
connaissent à recruter des ayatollahs). Des comités pour le non, regroupés pour
rechercher une campagne unique, il n’a pu sortir un autre résultat que la
candidature conjointe d’Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Marie Georges
Buffet et José Bové. Même si les dures contraintes de la chasse aux signatures
risquent de faire chuter l’un ou l’autre, le mal est fait.
L’UMP avait tout pour connaître
les même tourments que le Parti Socialiste, tant la haine entre Nicolas Sarkozy
et Jacques Chirac et ses alliés était visible: l‘affaire Clearstream en est une
belle illustration. La situation d’Alain Juppé a été une chance pour l’actuel
ministre de l’intérieur. Il a pu s’emparer du parti et mener le même
recrutement de nouveaux adhérents que F Hollande en face. Mais cette opération,
qui l’a rendu sans concurrents, a été faite plus tôt, ce qui permet au candidat
ministre de se présenter dans de bien meilleures conditions que son adversaire.
De plus, J Chirac et son premier ministre sont allés d’échec en échec et n’ont
pu saisir la moindre occasion de faire un croc en jambe à leur « ami ».
Nicolas Sarkozy a ainsi montré
qu’il avait le cuir bien tanné. Il ne faudrait pourtant pas sous estimer la présidente
de la région Poitou Charente dans ce domaine: elle n’est pas née d’hier . Présente
dans les coulisses ou au devant de la scène depuis 25 ans, elle a bénéficié des
leçons du maître qu’était François Mitterrand. La manière dont elle a cherché à
évincer le maire socialiste de Niort (obtenant contre lui l’investiture) puis
su rebondir après son échec en est une preuve parmi d’autres.
Un qui en a vu d’autres, c’est
Jean Marie le Pen, qui a su depuis 25 ans faire l’unité de l’extrême droite,
pourtant coutumière des divisions. Certes, il a eu aussi à gérer ses propres
difficultés. La scission des mégrétistes l’a affaibli un moment. Le départ de J
Bompart auprès de Philippe de Villiers a été une menace semblable, prise
suffisamment au sérieux pour que l’éternel candidat resserre les rangs et fasse
preuve d‘ouverture interne.
L’UDF a évidemment elle aussi
sa machine à perdre. Heureusement pour son candidat, la couverture médiatique
plus faible fait moins connaître ses divisions internes. Mais il est de notoriété
publique qu’une partie des militants en ont assez d’un leader qui écoute peu en
dehors de son petit cercle et qui joue finalement très « perso ». D’autre
part, l’absence de soutien des plus connus des élus (De Robien, Santini ou C
Blanc) ne joue pas en sa faveur. Et il ne suffit pas que la machine à perdre
soit fragile, que le positionnement surfe sur le rejet par les français de leur
élite politico médiatique, il faut aussi une machine à gagner: François Bayrou
manque cruellement de troupes.
Pour l’instant donc,il
semblerait que les machines à perdre soient d’autant mieux construites que l’on
va vers la gauche. Mais il nous reste plus de deux mois et on ne sait pas tout!
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