La
récente étude sur l’évolution des salaires des enseignants présente des
résultats qui ont suscité ma surprise et mon doute. Après réflexion, je me
demande s’ils ne sont pas significatifs d’un mouvement d’ensemble. C’est tout
l’ascenseur social qui est en panne depuis 25 ans, après plusieurs
décennies de montée rapide.
Admettons
pour la suite du raisonnement que la rémunération soit directement liée au
diplôme initial (ce qui est bien sûr extrêmement approximatif), et croissante
avec l’élévation du niveau. A salaire constant par catégorie de diplôme, une
augmentation du niveau moyen (donc une
augmentation du nombre de diplômés de haut niveau et une baisse de diplômés de
bas niveau) conduit à une augmentation du salaire moyen. Si cette hausse de la
qualification moyenne ne s’accompagne pas d’une augmentation du salaire moyen
mais de sa stagnation, les salaires de chaque catégorie vont baisser. Il
semble que la France ait connu ce phénomène depuis 25 ans, du moins pour une
partie de ses diplômés, au moins ceux qui ont entre bac et bac +4
Rappelons
les principaux éléments de l’étude de BOUZIDI, JAAIDANE et GARY-BOBO. Celle-ci
porte sur deux populations d’employés de
service public de niveau de qualification très différents: les enseignants
d’une part, les éboueurs de la ville de Paris d’autre part. Elle montre qu’à
ancienneté et qualification donnée, la rémunération nette des enseignants a augmenté d’environ 40 % de
1960 à 1981 puis qu’elle a baissé de 15% entre 1981 et 2004. Les auteurs font
l’hypothèse qu’à travers leurs syndicats, les enseignants on fait le choix des
conditions de travail (le nombre d’élèves par classe) au détriment du salaire
Les
éboueurs pour leur part ont vu la différence entre leur rémunération et le SMIC
s’amenuiser (de près de 30%), sous la
pression des menaces d’externalisation. Il s’agit d’un autre sujet, lié à
l’augmentation du SMIC plus rapidement que la moyenne des salaires.
Pour
comprendre si la situation des enseignants certifiés est spécifique ou proche
de ceux qui ont le même niveau de diplôme, il nous faut examiner l’évolution
des salaires réels depuis 1981 d’une part, l’évolution des qualifications
pendant la même période d’autre part, et voir ce qu’on peut en déduire.
J’ai
lu que les salaires réels avaient augmenté de 15% depuis 1981. Dans son livre
sur les classes moyennes, Louis CHAUVEL parle de 12%. Comment est ce
possible ?
De
ce que l’on peut tirer des séries longues de l’INSEE, le PIB aurait été
multiplié par 1.67 environ de 1981 à aujourd’hui (fin 2006), ce qui parait bien
plus élevé que les 12 à 15% évoqués ci-dessus. Mais il ne faut pas oublier que
cette croissance a été en partie permise par une augmentation de la population
active. De 14% pour celle-ci dans son ensemble, de 18% pour les salariés des
secteurs privé et semi privé. Par salarié, la hausse du PIB ne serait donc que
de 45% environ.
Mais
cette hausse du PIB ne s’est pas forcément traduite dans les salaires réels. En
particulier, la répartition de la valeur ajoutée entre salariés et entreprise
s’était écartée de 10% de ses valeurs traditionnelles entre 74 et 83 sous les
.impacts successifs des premiers et second chocs pétroliers et des mesures
prises par la gauche en 1981. C’est une des principales causes de l’explosion
du chômage ces années là. Le plan de rigueur Mauroy Delors a ramené la partage
à ses valeurs anciennes et il ne s’en est pas écarté depuis. Mais si on tient
compte de cette évolution, ce n’est plus 45% d’augmentation qu’on trouve mais 25%
environ.
Il
faut enfin passer du salaire brut au salaire net. Un coup d’œil sur mes fiches
de paie de 1981 (cela tous les blogueurs ne peuvent pas le faire !) me
montre qu’à l’époque je versais environ 15% de cotisations salariales contre
22% aujourd’hui. Donc les 1.25 du brut passent à environ 1.15 %. On notera au
passage que notre pays a choisi de consacrer une part substantielle de ses
maigres progrès économiques à la santé
de ses habitants et au confort de ses retraités. C’est plutôt une bonne chose.
Sauf que dans le même temps sa jeunesse a été sacrifiée.
Donc,
nous pouvons garder l’hypothèse d’une hausse moyenne des salaires réels de 15%
Voyons
maintenant les qualifications (en fait les diplômes), en regardant ce qu’en dit
la DARES. De 1982 à 2002, en 20 ans donc, le nombre de bacheliers est passé de
22 à 42% soit un quasi doublement (qu’on doit probablement largement constater
de 1981 à 2004). En 2002 on compte 13.5% de titulaires d’un bac +2 et 13.6%
d’un bac+3 ou plus. C'est-à-dire qu’en 2002 le titulaire d’un « bac plus
deux » fait partie d’un ensemble de plus d’un quart de la population
active, la plus diplômée, quand en 1982 avec le bac, on faisait partie d’un
ensemble privilégié représentant moins du quart de la population. En gagnant
deux ans après le bac, le maintien de la position dans l’échelle n’est même pas
atteint !
Je
n’ai pas trouvé les mêmes comparaisons pour les bac+4 et +5, mais bien sûr, on
y observerait les mêmes tendances. Faire l’hypothèse que le nombre de
titulaires d’un diplôme de bac+5 (auquel j’assimile les agrégés) aujourd’hui
est semblable à celui des bac+4 (auquel j’assimile les certifiés) il y a 20 ans
ne parait pas illégitime. Dans ces conditions, les premiers sont dans la
position où étaient les seconds hier. Pour être dans la même position dans
l’échelle des diplômés qu’un certifié hier, un enseignant devrait aujourd’hui
être agrégé. Il gagnerait alors environ 30% de plus qu’un certifié, soit entre
10 et 15% que le certifié de 1982. On trouve ici le résultat de l’évolution des
salaires réels moyens !
Bien
sûr, ces résultats sont assez approximatifs mais la tendance est clairement
bonne. Elle signifie que ce que l’enquête sur les enseignants a montré est
probablement vrai de nombreuses professions recrutant à bac +2, 3 ou 4. Ce
qu’on peut observer dans la banque ou l’informatique est en tous cas très
conforme à cette hypothèse.
Le
diagnostic porté par l’étude qui m’a amené cette réflexion, sur les choix
syndicaux, devrait être relativisé : il ne s’agit pas de la cause réelle
(plus générale) mais des modalités dont celle-ci s’est déclinée pour cette
population spécifique.
Mais
le plus important reste de ce demander comment notre pays qui , sur une longue
période, n’a pas su transformer la forte élévation des compétences en élévation
substantielle de son niveau de vie, comment peut il repartir réellement de
l’avant !
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