Après le consensus des funérailles, quelques voix discordantes s’élèvent pour nuancer l’image de l’Abbé Pierre. L’émission d’Arrêt sur Image a ainsi été une occasion d’examiner son rapport avec les médias ou de revenir sur l’affaire Garaudy.
Quelques uns de mes amis ont jugé devant moi que non seulement il avait échoué sur le front du logement mais que son action avait été contreproductive. C’est surtout ce point que je voudrais analyser.
Sur le rapport aux médias, il est clair que l’Abbé Pierre a toujours eu le souci de peaufiner son image ce qu’expliquait parfaitement les invités de Daniel Schneidermann et l’avait écrit Roland Barthes depuis longtemps. Pour ma part, je considère que contrairement à monseigneur Gaillot qui a sacrifié aux médias en leur disant ce qu’il fallait pour leur plaire, le fondateur des compagnons d’Emmaüs a toujours su mettre les concessions de forme au service de son objectif (le logement). Sa manière têtue de refuser de céder lors de l’épisode Garaudy en est une preuve. Il s’est servi des médias beaucoup plus qu'eux se sont servi de lui.
Sur l’affaire Garaudy, un des invités d’ASI a expliqué que vu son âge, l’Abbé Pierre avait été formé dans un climat d’anti-judaïsme ecclésial, qu’il avait échappé à l’antisémitisme et avait participé à l’anti-sionisme des chrétiens de gauche.
Mais l’essentiel reste l’œuvre du défunt, qui a porté sur l’accueil des SDF et sur la question du logement.
Sur les SDF, l’action a d’abord consisté à créé les chiffonniers d’Emmaus. Rappelons en le principe : les compagnons, généralement des SDF ou des marginaux, participent à un travail de recueil, de remise en état et de vente de vielles choses. La vie communautaire les aide à se réintégrer dans un tissu social. Les personnes concernées sont généralement des personnes cassées par la vie à qui l’association donne l’occasion de retrouver leur dignité et la confiance en d’autres. Je pense que le résultat n’est pas mauvais et je serais curieux de savoir qui fait mieux.
Le thème du logement est arrivé dans un deuxième temps avec l’appel de l’hiver 54, l’abbé Pierre mettant l’accent sur le cas d’un femme expulsée de son logement et morte de froid dans la rue dans les 48 heures. Son action est d’une part une action d’urgence, d’autre part un appel aux politiques à agir
Le premier raisonnement de mes amis est simple : 50 ans après le problème n’est toujours pas résolu, cette échec pose donc la question du choix des actions
Sur ce premier point, il faut rappeler deux choses : d’une part la situation en 1954, d’autre part l’évolution depuis
Au sortir de la guerre, alors que le pays est en plein boom économique, que les immigrés affluent et que les familles font de nombreux enfants, la France possède un parc de logements largement pour l’essentiel de l’avant guerre, avec peu de conforts, et doit reconstruire partout où les bombardements ont détruits les habitations. C’est après la guerre qu’est fondée l’AFPA pour former notamment des maçons. Faute de logements, de nombreuses personnes s’entassent dans les bidonvilles. Le dernier disparaîtra seulement en 1976. C’est à cette époque que s’organisent les sociétés d’HLM et que se bâtissent les grands ensembles dont on dit souvent du mal aujourd’hui mais qui étaient un grand progrès à l’époque. En tous les cas, vingt ans après l’appel de l’hiver 54, les choses semblent à peu près réglées, au point que le gouvernement donne sa priorité à l’accession à la propriété (les « chalandonnettes ») et remplace en partie l’aide à la pierre par une aide à la personne.
Les années 80 voient le retour des SDF, la création des Restos du cœur et le retour de l’abbé sur le devant de la scène. Après Emmaus habitat, il lance la fondation Abbé Pierre qui construit des logements et continue à presser les gouvernements d’agir. On trouvera dans d’autres billets les difficultés rencontrées par la construction du fait de taux d’intérêt réels très élevés jusque vers 1995.
Ceci dit, l’Abbé Pierre a largement contribué à la loi qui interdit les expulsions l’hiver. Et on peut légitimement penser que ce genre de mesure qui favorise le locateur au détriment du bailleur se retourne à long terme contre le premier, les bailleurs se faisant rares. Il ne faudrait cependant pas mélanger les responsabilités. D’abord parce que la loi interdisant les restrictions n’est pas la seule : on rappellera par exemple, une loi antérieure, celle de 48 qui bloque les loyers. Ensuite parce que cette loi était une réponse à une situation d’urgence qui aurait pu être supprimée une fois l’urgence passée, de nombreux logements construits, des abris disponibles pour les expulsés. Encore faudrait il que les politiques prennent leurs responsabilités. L’un des invités d’ASI rappelait que, l’ancien député Henri Gouès ne les estimait guère, à l’exception de Jean Monnet et de Pierre Mendès France qu’il admirait.
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