Les raisons des difficultés économiques de la Grèce sont multiples et chaque commentateur a tendance à insister sur tel ou tel point selon ses convictions propres. Ce pays a cependant plus que tout autre souffert de la raison principale de la crise de l’euro qui a affecté d’autres pays, les fortes divergences salariales observées entre les pays depuis la création de l’euro.
La première conséquence de l’existence d’une monnaie commune est l’impossibilité pour chaque pays de dévaluer (ou de réévaluer) sa monnaie par rapport à celle de ses voisins. Cela signifie qu’un pays ne peut pas se permettre d’avoir durablement des différences notables avec ses voisins de la zone dans l’évolution de ses prix et de ses salaires.
Or, dans les années qui ont suivi la crise de l’euro, il y a eu des divergences notables dans les prix et les salaires entre pays de la zone, les divergences étant d’ailleurs nettement plus fortes sur les salaires que sur les prix.
Ces divergences ont pour une part la conséquence de la création de l’euro, qui a conduit les flux financiers internationaux à privilégier les pays du sud de la zone, et pour une part de la politique de chaque pays, pour favoriser la maitrise (voire la baisse) des salaires (comme en Allemagne) ou conduisant à les laisser filer (ce que la Grèce a probablement fait, par exemple par sa politique d’évolution du salaire minimum).
L’entrée dans l’euro s’est traduite par un niveau très bas des taux d’intérêts pour l’ensemble des pays de la zone, avec un quasi alignement sur les taux dont bénéficiait le plus vertueux, c’est-à-dire l’Allemagne. Pour plusieurs pays, notamment ceux du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Grèce…), cet alignement s’est traduit par une forte baisse des taux et un afflux de capitaux. C’était favorable à la croissance mais sans doute trop : l’arrivée massive de capitaux entrainant une croissance des dépenses de tous plus importante que le potentiel économique du pays, il s’en est suivi d’une part un déficit commercial et d’autre part une montée des prix. Dans le cas de l’Espagne, c’est une bulle immobilière qui s’est créée en raison de l’afflux d’argent pour les promoteurs et pour les acheteurs.
N’étant plus maitres de leur politique monétaire, les pays concernés par cet afflux de capitaux ne pouvaient réagir qu’au niveau de leur budget, soit par une baisse des dépenses, soit par une augmentation de la fiscalité. L’Espagne l’a fait partiellement (pas assez pour éviter la bulle immobilière), il ne semble pas que la Grèce l’ai fait particulièrement.
Sur la première décennie d’existence de l’euro, il n’y a eu qu’une très faible différence d’inflation entre l’Allemagne et la France, alors que le différentiel de salaire a atteint 15 %. Au regard d’une imbrication forte entre les économies des deux pays, il ne faut pas s’étonner du fait qu’avec un tel écart sur les salaires, la part des entreprises dans la valeur ajoutée ait baissé de plusieurs points en France alors qu’elle augmentait de même en Allemagne !
La Grèce a connu une inflation plus forte que la France, de plus de 18 % entre 2000 et 2010, ce qui est un écart énorme dans une même zone monétaire. Mais le salaire minimum grec a augmenté de 30 % de plus que le salaire minimum français, ce qui était évidemment totalement impossible à supporter pour l’économie grecque.
Je n’ai pas les chiffres, mais on peut imaginer que la part des entreprises dans la valeur ajoutée soit descendue à un niveau qui ne pouvait que se traduire par des faillites très nombreuses. Après 2010, les prix n’ont pas baissé tout de suite, malgré une baisse radicale des salaires, on peut penser que cela a servi à reconstituer les marges.
Depuis, le salaire minimum grec a baissé alors que le français augmentait, et on peut estimer que cela a permis à peu près de « remettre les pendules à l’heure » pour la Grèce. Évidemment, cela s’est traduit pour les grecs par une forte baisse de pouvoir d’achat, le terme d’austérité n’étant à ce sujet peu représentatif de la sévère cure d’amaigrissement qu’ils ont subi.
Il leur fallait baisser les salaires en euros, ce qu’ils auraient pu faire sous la forme d’une dévaluation s’ils étaient sortis de l’euro.
Il est probable que la crise de l’euro a servi de leçon aux pays qui l’ont subi le plus fort : on ne les reprendra plus à laisser filer leurs salaires plus vites que la moyenne de la zone (sauf s’ils ont des gains de productivité plus élevés, mais cela ne se fait pas tout seul ni très vite).
Je crains que cela n’ait pas été compris par la grande majorité des Français : il faut dire que leurs dirigeants politiques se sont bien garder de le leur expliquer, selon d’ailleurs des raisons différentes pour ceux qui sont pro européens et ceux qui ne le sont pas.
A défaut de l’avoir expliqué, nos gouvernants l’ont compris. Il faut dire que leurs services (Bercy, France stratégie, la Banque de France ou l’INSEE) se sont chargé de le leur rappeler régulièrement.
Justement, l’INSEE a publié il y a quelques semaines un comparatif de l’évolution des prix et des salaires en France et en Allemagne ces dernières années, dont on trouvera ci-dessous les principaux chiffres synthétiques :
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2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
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Prix |
France |
2.3 |
2.2 |
1.0 |
0.6 |
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Allemagne |
2.5 |
2.1 |
1.6 |
0.8 |
Salaires |
France |
2.2 |
2.1 |
1.7 |
1.4 |
|
Allemagne |
2.0 |
2.8 |
2.6 |
2.9 |
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Comme on le voit, les différentiels d’inflation restent faibles : sur la somme des quatre années, l’inflation a été de 0.9 % plus faible en France qu’en Allemagne, l’écart s’étant fait essentiellement dans les deux dernières années.
Au niveau des salaires (il s’agit ici des salaires mensuels de base), la progression est plus forte en Allemagne qu’en France, de 2.9 %. Là aussi, l’essentiel s’est fait sur les deux dernières années. La France a donc comblé une petite partie de l’écart accumulé précédemment: il lui reste encore du chemin à faire, pour un montant qui représente une partie seulement des 15 % accumulés entre la création de l’euro et 2010, car au moment de la création de l’euro, c’est l’Allemagne qui était en situation défavorable (et la France avait un solde commercial positif), d’où les réformes Schroeder.
La marge de manœuvre est cependant très étroite : le salaire minimum doit évoluer au moins aussi vite que l’inflation qu’il faut garder positive (pour d’autres raisons). Eu égard au chômage des non qualifiés, il faudrait que le SMIC augmente moins vite que le salaire moyen français, lequel doit évoluer moins vite que les salaires allemands, tant qu’on n’aura pas comblé l’écart, soit pendant encore un bon bout de temps. Heureusement pour nous, l’Allemagne pratique actuellement, du fait de sa bonne santé économique, une politique salariale accommodante, avec des augmentations d’environ 3 % par an : pourvu que cela dure !
On peut légitimement se demander si la France n’aurait pas mieux fait de faire une opération vérité en 2010, avec par exemple baisse de 15 % du SMIC et de 10 % des salaires de fonctionnaires, entrainant une récession forte mais courte et une vigoureuse reprise ensuite, plutôt que de trainer une très faible croissance pendant une période qui pourrait être de 10 ans !
Conclusion : dans une union monétaire, on ne peut pas se permettre plus de « bêtises » (ou de populisme/ de clientélisme) que ses partenaires (au moins les plus importants en taille d’entre eux). Et il se trouve que l’Allemagne a une tradition forte de rigueur : avec l’euro, la France est condamnée à être économiquement sérieuse (c’est-à-dire à maîtriser ses salaires et à équilibrer ses dépenses publiques), ou de le payer au prix fort en termes de faible croissance et de chômage (ce qui se passe actuellement).
On pourrait comprendre que l’euro est un mauvais choix. En fait c’est un choix qui ne permet plus à nos dirigeants de berner les citoyens en leur accordant des avantages nominaux, puis à les reprendre en sous-main par des dévaluations…
L’exemple de la Grèce montre aussi que les plus faibles sont fortement atteint par les mesures de redressement : cela ne signifie pas qu’il ne faut pas prendre ces mesures, cela signifie qu’il ne faut pas faire les erreurs de gouvernance qui amène à devoir prendre de mesures de redressement !
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