Le premier ministre grec, Alexandre Tsipras, a donné à ses partenaires européens des signes visant à relancer des négociations en train de s’enliser : il a dit à la télévision que certaines promesses, sur le SMIC grec en particulier, ne serait pas tenues dans l’immédiat et il a écarté son ministre des finances de la négociation
Le gouvernement grec est arrivé au pouvoir sur un programme populiste de fin de l’austérité sans sortie de l’euro, qu’il prétendait, de fait, faire financer par ses partenaires européens avec dans sa manche une seule carte, qu’il espérait maîtresse, : une éventuelle sortie de l’euro serait certes catastrophique pour la Grèce mais risquait de l’être pour l’UE aussi.
Les négociateurs grecs , avec à leur tête le ministre des finances Yaris Varoufakis, ont fait un peu vite l’hypothèse qu’ils pourraient s’appuyer, contre l’Allemagne, sur des pays qui souffrent aussi de l’austérité, comme la France ou l’Italie par exemple, dirigés par des majorités de gauche. Cela n’a pas fonctionné. Pire pour les grecs, la dernière réunion de l’Euro groupe à Riga a montré des petits pays guère plus riches que la Grèce (Slovénie, Slovaquie, Lituanie), demandant qu’on étudie sérieusement un plan B avec la sortie de la Grèce de l’euro, preuve que la carte dans la manche des grecs n’était pas si maîtresse que cela.
Alexis Tsipras en a tiré les conséquences. Il a d’abord déclaré à la télévision à ses concitoyens ce qu’il avait déjà du concéder à Bruxelles : le salaire minimum ne sera pas augmenté avant juin 2016, le versement d’un treizième mois sur les petites retraites (moins de 750 € par mois) est reporté, la moitié des recettes des privatisations seront affectées au remboursement de la dette… Au point que le Monde a pu titrer que « Athènes multiplie les concessions »
Enfin, la délégation qui négocie a été modifiée et ne comprendra plus le ministre des finances Yaris Varoufakis
Le Monde mercredi publiait l’article que ce dernier a publié et on comprend à la lecture pourquoi il énervait apparemment beaucoup ses interlocuteurs !
Yaris Varoufakis commence en affirmant que de nombreux points d’accords ont été trouvés. Les exemples donnés laissent sceptiques : être d’accord sur le fait que le système de retraite est mal en point peut cacher des désaccords profonds sur les solutions à apporter !
Le ministre revient ensuite avec une affirmation sur lequel il est en désaccord profond avec ses créanciers : pour lui, les mesures prises sous la pression de la troïka n’ont pas marché.
On connait le dilemme auxquels doivent faire face ceux qui sont confrontés à la situation que connaissait la Grèce en 2009, avec un déficit extérieur et un déficit public très importants, couplés à une dette abyssale : la réduction des dépenses publiques qui parait incontournable entraine si elle est importante une récession de l’économie. Si le PIB baisse, la dette exprimée en pourcentage du dit PIB augmente mécaniquement. C’est ce qui s’est passé en Grèce.
Une solution couramment adoptée (en France par exemple, entre 1945 et 1984) consiste à dévaluer sa monnaie. La réduction des rémunérations en monnaie internationale que cela implique est moins apparent qu’en cas de baisse des salaires nominaux et le déficit extérieur est sensé diminuer à terme. L’histoire de l’économie française au tournant des années 80 montre que la seule dévaluation, sans réduction de la dépense publique, ne suffit pas et qu’il faut recommencer au bout de quelques temps. Dans le cas de la France, le gouvernement de l’époque a fini par se résoudre à baisser la dépense publique et à bloquer les salaires (plan Mauroy Delors) ce qui a effectivement conduit à une reprise économique environ 2/ 3 ans après.
La décision du gouvernement socialiste grec en 2010 de ne pas sortir de l’euro n’a pas permis de se servir de la dévaluation. Le retour à la compétitivité s’est donc fait sous la forme très visible de la baisse des salaires, d’autant plus douloureuse que le montant des déficits était abyssal (le déficit public était supérieur à 15% en 2009 !). Il faut noter que le refus de sortir de l’euro avait sans doute de bonnes raisons puisque la gauche radicale a décidé de rester dans cette hypothèse !
Le gouvernement Tsipras qui refuse l’austérité, prétend trouver une autre solution avec une démarche qualifiée de « stratégique » par le ministre des finances dans son article. Les grecs ont voulu séparer les discussions techniques entre les experts des discussions politiques entre les ministres. Les autres ministres européens se plaignent qu’Athènes ne fournisse pas les éléments chiffrés nécessaires à l’évaluation des réformes. C’est que, pour eux, des choix politiques sont à faire entre des solutions alternatives réalistes techniquement alors que pour les plus idéologues des grecs les choix politiques peuvent être faits indépendamment de la réalité économique et financière. On a connu ici ce slogan « tout est politique » qui prétendait ignorer les contraintes du réel.
Pour démontrer que la politique menée par la Grèce entre 2010 et 2014 sous l’influence de ses créanciers a échoué, Yaris Varoufakis ne se contente pas de pointer l’évolution du PIB, il explique que « malgré la baisse considérable des salaires et des prix, les exportations continuent de stagner, l’élimination du déficit de la balance courante ne s’expliquant que par l’effondrement des importations »
Dans son affirmation que la politique a échoué, le ministre est gêné par le fait que les comptes ont été rétablis : le déficit public a disparu et le déficit de la balance courante également (par contre il reste une dette abyssale). Il va donc chercher dans le détail de ce qui a conduit à ce résultat. On notera avant de regarder les chiffres que la Grèce avait besoin de redresser sa balance commerciale tellement elle était déséquilibrée mais qu’elle peut se permettre un déséquilibre assez important, du fait d’une balance des services (tourisme et armement maritime) structurellement très positive. Les chiffres ci-dessous sont en millions de dollars parce que c’est sous cette forme que je les ai trouvés sur les Echos.
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Export |
11 711 |
10 867 |
11 070 |
11 751 |
11 352 |
10 414 |
13 382 |
15 308 |
17 278 |
Import |
26 919 |
30 293 |
30 529 |
33 480 |
32 011 |
31 570 |
44 582 |
52 760 |
54 436 |
Déficit |
15 208 |
19 426 |
19 459 |
21 729 |
20 659 |
21 156 |
31 170 |
37 452 |
37 158 |
|
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
Export |
20 749 |
23 578 |
26 382 |
20 469 |
21 713 |
31 683 |
35 484 |
36 601 |
35 967 |
Import |
63 619 |
78 532 |
92 580 |
69 449 |
63 793 |
60 867 |
63 202 |
62 166 |
63 399 |
Déficit |
32 870 |
54 954 |
66 198 |
48 980 |
42 080 |
29 184 |
27 718 |
25 565 |
27432 |
Ces chiffres sur 18 ans nous permettent d’identifier plusieurs périodes :
- De 1997 à 2002, importations et exportations sont stables. Il est vrai qu’il faut montrer patte blanche pour pouvoir entrer dans la zone euro ; le déficit est de l’ordre de 20 milliards de dollars. Les recettes touristiques (de 14 milliards de dollars d’après Wikipédia) rendent ce déficit supportable.
- De 2003 à 2006 le montant des importations et celui des exportations doublent. La montée du déficit est financée par l’augmentation du crédit consécutif à la création de la zone euro, qui profite aux pays du sud
- Dès 2007, il apparait évident que l’évolution est déraisonnable, avec un déficit qui explose, très au-delà de ce que peut compenser le tourisme. Le pays vit manifestement à crédit et au-dessus de ses moyens. Le montant des importations de 2008 est manifestement insupportable durablement au regard de celui des exportations.
- Entre 2008 et 2010, importations et exportations sont en baisse, ce qui réduit d’un tiers le déficit. On revient aux valeurs de 2006 pour les exportations, les importations et le déficit, mais les créanciers ne veulent plus avancer d’argent : le déficit va devoir baisser
- Entre 2010 et 2014, on est sous la surveillance étroite de la troïka, représentante des seules institutions qui acceptent de prêter à la Grèce : l’Union européenne et le FMI. Contrairement à ce que raconte Yaris Varoufakis dans son article, les importations sont stables, les exportations augmentent de 70 % de 2010 à 2012 et sont stables ensuite. Le déficit se situe au-dessus de celui constaté vers 2000 mais entretemps le dollar a perdu de la valeur. Les réformes ont bien fait diminuer le déficit par une hausse des exportations et non par une baisse des importations.
Les chiffres ci-dessus sont par année. Il est probable que depuis l’été 2014, la Grèce bénéficie de la baisse des prix du pétrole. Comme elle a une importante activité de raffinage (largement au-delà de ses besoins internes), il est probable que les importations et les exportations de produits pétroliers aient baissé simultanément, en valeur et non en volume. Si le ministre des finances s’appuie là-dessus pour justifier ses affirmations, il se moque simplement du monde. Le citoyen qui ne vérifie pas ce qu’il dit peut le croire, pas les ministres des finances de la zone euro …
Les chiffres ci-dessus sont en dollars. Les résultats sont sans doute différents en euros, mais ils ne peuvent que refléter la même réalité : les importations de 2014 sont au niveau de celles de 2006, les exportations ont entretemps augmenté de 75 %
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