Problèmes économiques, la publication de la documentation française, consacre son numéro de la première quinzaine de février à la question du lien entre les inégalités et la croissance. Le consensus ancien sur ce sujet semble aujourd’hui être remis en cause, par exemple avec une étude du FMI qui montre que l’augmentation des inégalités dans les pays développés nuit à leur croissance.
Dans une des premières pages, la revue présente le poids des 1% les plus riches dans le patrimoine total, actuellement à 48 %. Alexandre Delaigue a contesté ce calcul qui s’appuie sur la richesse nette, après prise en cause de la dette. Ce qui me paraît beaucoup plus grave, la revue donne aussi comme certaine la valeur de 50 % en 2016, qui est en fait une prévision. Alexandre a aussi montré que cette prévision, qui résultait d’un simple prolongement de la courbe entre 2010 et 2014, était d’autant plus discutable que la dite courbe n’était absolument pas régulière sur 10 ans, la valeur étant déjà à 48 % en 2004 ! Pas très bon signe pour une revue qui se veut sérieuse…
La revue présente notamment une étude du FMI qui montre l’impact des inégalités sur la croissance. Selon cette étude, les inégalités sont défavorables à l’investissement en formation des plus pauvres et de leurs enfants. L’augmentation des compétences de la population active est un facteur important pour la croissance économique et donc les inégalités pèsent sur celle-ci.
Je suis encore loin d’avoir tout lu mais je me suis précipité sur l’article d’un nommé Dani RODRIK, professeur d’économie à Princeton. Celui-ci explique que jusqu’à présent, le consensus parmi les économistes était que les inégalités étaient une condition de la croissance et qu’il fallait donc trouver le bon compromis entre croissance et inégalités. Ce consensus est remis en cause, au point qu’un nouveau consensus se dégage pour estimer que les inégalités sont défavorables à la croissance.
L’auteur ne partage pas ce nouveau consensus (ce qui prouve que cela n’en est pas vraiment un) mais il ne partageait manifestement pas le précédent. Il a cette superbe phrase : l’économie n’est pas une science qui puisse se targuer d’avoir découvert plusieurs vérités universelles, sinon aucune.
Il a cette conclusion, qui rend évidemment complexe les analyses économiques mais que je partage profondément : il n’y a qu’une seule vérité universelle en économie : ça dépend.
La tendance dans la quasi-totalité des pays développés est depuis une trentaine d’années d’un creusement des inégalités, celles-ci ayant fortement progressé aux USA et très peu en France. Il est probable que cette évolution soit en partie liée à une évolution de la réalité économique (la mondialisation et les caractéristiques des produits innovants, dont beaucoup ont un coût fixe élevé et un coût marginal faible), et en partie liée à des choix idéologiques (sur la fiscalité ou le mode de rémunération des dirigeants). Bien sûr, il y a des désaccords profonds sur les parts respectives des deux explications.
Mais on constate à l’examen que la situation varie selon les pays.
Aux USA, la revue montre que la part du 1% les plus riches dans le revenu des ménages est passée de 8% environ en 1983 à plus de 18 % en 2012. Sur la même période il semble que le montant des plus bas revenus (en valeur) n’a pratiquement pas bougé, malgré la croissance cumulée, alors que les plus hauts revenus ont explosé. Sur la période, la croissance du PIB a été plus forte que dans les pays européens, le pays ayant su générer des entreprises innovantes, notamment dans le monde du numérique. On comprend facilement que les inégalités croissantes n’aient guère eu d’impact sur ces innovations et leur diffusion dans le monde entier. On imagine cependant que la situation des plus bas revenus finit par avoir un coût qui devient vraiment important pour le pays. En tous les cas, dans la même revue, Richard Wilkinson défend l’idée que les inégalités sont mauvaises pour la santé des sociétés et pour l’innovation
La France est dans la situation inverse et les 1 % les plus riches ont toujours environ 7 % du revenu national (toujours d’après la revue, page 7, je n’ai pas vérifié ce que donne l’INSEE).Si l’on en croit un graphique publié page 7 également, la part des 1% dans le revenu national se situait au-delà de 20 % avant la guerre de 1914 et de 15 % dans les années 30. Elle est inférieure à 10 % depuis la guerre.
Je crois (mais j’aimerais avoir les chiffres) que la part des 10 % aux plus bas revenus était très faible dans les années 50 (que ce soit pour les plus bas salaires ou pour les plus pauvres parmi indépendants, commerçants ou agriculteurs). L’augmentation de la part du salariat pendant les trente glorieuses puis du SMIC à partir de 1968 jusque 1983 ont certainement nettement amélioré la part de ces plus bas revenus. J’avais lu chez Louis Chauvel que le rapport inter-décile, qui reste en France à peu près constant autour de 3.3 depuis plus de 30 ans, était autour de 9 au début des années 50 (là aussi j’aimerais avoir les chiffres et les sources).
Je suis convaincu que le niveau actuel relatif du SMIC (par rapport au salaire médian) a un effet négatif important et explique en grande partie le fort taux de chômage des moins qualifiés. La France a choisi de fait le chômage plutôt qu'un travail mal payé. L'Allemagne a fait un choix inverse
L’Allemagne est en effet un cas encore différent. Les réformes menées par Schröeder ont manifestement aujourd’hui un impact global positif. Mais la question du délai pour mesurer les impacts montre la complexité de l’analyse. Si ces mesures ont été prises parce que l’économie allemande avait perdu en compétitivité, il me paraît certain que l’un des problèmes du pays était la grande différence de situation entre les anciens Lands de la RFA et ceux de la RDA. On peut espérer que depuis l’écart a au moins un peu diminué. Toujours est-il que les allemands ont cru bon de décider de réduire les inégalités avec la création d’un SMIC.
Comme on le voit sur ces quelques exemples, cela dépend, et cela dépend de beaucoup de choses.
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