L’amélioration des licenciements collectifs est un des objectifs fixés par le gouvernement à la négociation en cours sur la sécurisation de l’emploi. Le Médef réclame une sécurisation juridique du processus alors que les syndicats souhaitent réduire la précarité de l’emploi. L’absence de compromis déboucherait sur une intervention du législateur
La question est sur le tapis depuis longtemps, avec moult rapports et des modifications législatives diverses.
Des rapports multiples depuis 20 ans
Le rapport Boissonnat, « Le Travail dans 20 ans », paru en 1995, introduit le contrat d’activité, englobant l’actuel contrat de travail et l’ensemble des « actions socialement utiles et visant à encourager la mobilité et à réduire les risques liés aux périodes de chômage ».
Le rapport Suppiot, 1999, propose un nouvel état professionnel englobant les différentes formes de travail que chacun est susceptible d’accomplir, des droits individuels acquis tout au long de la carrière et transférables d’un statut à l’autre, pouvant être mis à disposition des salariés à tous moments.
Le rapport Cahuc-Kramarz, 2004, propose des mesures visant à bâtir une sécurité sociale professionnelle pour éliminer les défauts criants du marché de l’emploi : « précarité, absence d’accompagnement personnalisé des chômeurs, difficulté à percevoir les chemins du reclassement permettant d’assurer un avenir professionnel… contrats de travail induisant une instabilité extrême. »
En 2006, le rapport de Jacques Barthélémy, Gilbert Cette, Pierre-Yves Verkindt, pour le Conseil d’Orientation pour l’Emploi, sous un angle juridique, propose des orientations de réforme visant à la fois à sécuriser les parcours professionnels et à renforcer l’efficacité du droit du travail.
Le rapport d’Edith Arnoult-Brill, 2007, pour le CESE, Conseil économique, social et environnemental, s’attache à proposer les voies de nouveaux parcours qui doivent reposer sur trois composantes : « un travail de qualité, une formation tout au long de la carrière et une reconnaissance du temps de travail individuel et collectif. »
Au niveau européen, en 2006, la Commission publie un Livre vert « Moderniser le droit du travail pour répondre aux défis du XXIème siècle ». Il promeut la « flexicurité dans l’optique d’un marché du travail plus équitable, plus réactif et favorable à l’intégration. » Ainsi, le concept évolue pour donner une perception plus positive des périodes de transitions professionnelles en temps de crise.
Henri Roulleault, ancien directeur de l’ANACT après un passage au cabinet de Michel Rocard, est chargé en 2007 d’un rapport sur l’obligation triennale de négocier la GPEC puis en 2010 d’un rapport sur l’emploi en sortie de récession, et notamment de « proposer les évolutions des dispositifs économiques destinés à amortir les conséquences des mutations économiques ».
En 2012, le rapport Davy préconise la création d’un compte universel et individuel de droits sociaux, afin que chacun ait à tout moment une vision claire de son parcours et de ses droits. Il préconise une mise en synergie des différents acteurs et des dispositifs au plus près du terrain, un accompagnement adapté, le développement des compétences et de la VAE, la facilitation des mobilités professionnelles.
L’œuvre du législateur
Deux lois ont marqué cette période
D’abord la loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (donc pendant le gouvernement Jospin, peu de temps après l’affaire LU), qui couvre de très nombreux sujets (elle institue par exemple la VAE et la notion de harcèlement moral). Elle restreint le champ du licenciement économique aux seuls cas où la sauvegarde même de l’entreprise est en jeu, et elle donne la priorité aux mesures de reclassements internes, justifiant ainsi le changement du nom, de plan social en plan de sauvegarde de l’emploi.
En restreignant le champ du licenciement économique, le législateur prend de fait une mesure contre-productive : si l’entreprise ne peut faire de licenciement collectif qu’au seuil de la faillite, elle ne pourra plus accompagner les licenciés par des mesures financières favorables ou une aide au reclassement. Si l’entreprise doit réduire ses marges à zéro avant de pouvoir licencier, comment pourra-t-elle garder les moyens d’investir pour assurer le maintien de l’emploi à moyen terme ?
Face à une telle loi, les entreprises n’ont qu’une solution : la contourner en augmentant la précarité, ce que l’on observe sur longue période, avec une forte augmentation des CDD corrélée à une diminution des PSE.
La nécessité absolue de proposer des reclassements dans le groupe va obliger les employeurs à proposer des postes dans des pays émergents avec les salaires correspondants, propositions qui font scandale mais qui sont obligatoires !
En 2005, la droite revenue au pouvoir va voter le 18 janvier 2005 la loi de programmation sur la cohésion sociale, qui prévoit entre autres l’obligation triennale de négocier la GPEC. Cette loi revoit la définition du motif économique dans un sens moins restrictif que la loi précédente, et parle notamment de « sauvegarde de la compétitivité ».
Les dernières années ont aussi vu la disparition progressive des dispositifs qui accompagnaient les restructurations dans les années précédentes, en particulier les dispositifs type FNE de départs anticipés. Le dispositif de garanties de ressources après 60 ans, qui ne concernait que quelques milliers de personnes à la fin des années 60, a atteint 100 000 personnes concernées en 1976 et 400 000 en 1982, avant de s’éteindre progressivement du fait du départ en retraite à 60 ans. Les dispositifs de pré retraites totales (ASFNE, CATS, CAATA, ARPE) ont pris le relais avant de baisser à leur tour et passer en dessous de 100 000 en 2003. Il ne reste aujourd’hui que le décret amiante pour alimenter ces dispositifs. Enfin, la dispense de recherche d’emploi, apparue en 1995, a concerné plus de 400 000 personnes avant qu’en 2008 la loi organise sa disparition progressive.
La situation dans les entreprises
Dans les années 80/90, aux grands temps des dispositifs aidés par l’Etat du type FNE, un plan de réduction de l’emploi est d’autant plus facilement accepté qu’il comporte une partie plus important (parfois jusqu’à 100%) de départs en pré retraites : non seulement cette mesure n’est pas vécue comme un licenciement sec, mais les salariés concernés sont demandeurs, et les représentants du personnel (souvent sur représentés parmi les salariés les plus anciens) aussi.
Le système a cependant des effets pervers : il n’y a plus de départs naturels en retraite pendant quelques temps après chaque plan social. Dans certains établissements de grandes entreprises comme les grandes banques ou les usines chimiques, cela se traduit par une forte baisse des sorties. Celles-ci ne concernent que les jeunes très diplômés, justement ceux dont on a besoin et qu’il faut remplacer. Alors on recommence un nouveau plan 2 ou 3 ans après le précédent, les salariés finissent par espérer le plan social pour partir comme leurs ainés.
Dans l’idéal, il vaudrait mieux faire partir des salariés dans la tranche des 35/ 45 ans, et pouvoir maintenir un niveau normal de départs naturels. Mais les règles qui conduisent au choix des licenciés quand il y a plusieurs titulaires d’emplois comparables conduisent, au nom de la protection des plus faibles et des soutiens de famille, à faire partir les plus jeunes et les célibataires.
Pendant toute cette période vont partir les salariés qui ont commencé leur carrière dans les années 40 ou 50, voire le tout début des années 60. Une partie importante de ceux-là n’ont qu’une formation initiale faible (plus des deux tiers des jeunes sortaient avec un niveau « primaire » à cette époque). S’ils ont appris sur le tas leur métier qu’ils ont fait parfois avec beaucoup de talent, une grande partie a du mal à s’adapter en fin de carrière aux nouvelles techniques qui demandent souvent un bagage théorique qu’ils n’ont pas. Ils sont progressivement remplacés par tous ces jeunes qui sortent aujourd’hui avec un bac pro ou un bac + 2, les moins qualifiés étant plus souvent appelés à rejoindre l’armée des précaires.
Dans les années 2000, les choses changent : plus de pré retraites (les pré retraites maison coûtent très cher) et une législation qui rend difficile la mise en œuvre d’un PSE. Alors on choisit chaque fois que c’est possible le plan de volontariat en mettant l’argent qu’il faut pour qu’il y ait des volontaires. Les plus anciens bénéficient des primes de départs les plus élevées et présentent des projets dits « personnels ». En réalité, il s’agit d’anticiper de moins de 36 mois le départ en retraite en profitant pendant ce temps des allocations chômage sans être obligé de chercher un emploi grâce à la DRE.
Mais là aussi, il y a des effets pervers. La loi prévoit une procédure d’information consultation qui prend du temps, temps pendant lequel une partie importante du personnel est préoccupée de son avenir plutôt que des clients. Pour obtenir les meilleures conditions de départs possibles, les représentants du personnel n’ont vraiment que deux armes : prolonger la procédure ou se battre juridiquement pour contester le plan (d’où aujourd’hui la demande du Médef de sécurisation juridique).
Le plan de volontariat se traduit aussi par le départ des plus mobiles et des plus actifs, bref souvent des meilleurs. Pour faciliter les départs, les entreprises limitent les contraintes et le lien entre le métier des partants et les postes à supprimer, quitte ensuite à s’ajuster par de la mobilité interne. Tout cela a surtout pour conséquence de démobiliser les salariés et de désorganiser l’entreprise, donc en fait de l’affaiblir.
D’où la tentation de recourir de plus en plus massivement au personnel précaire, sauf dans les mêmes entreprises, pour les métiers en expansion et/ ou en tension, où on ne peut embaucher sans CDI et sans politique de fidélisation.
Reste que le plan de volontariat n’est adapté qu’à une réduction limitée des effectifs. Quand il s’agit de fermer un site ou une entreprise, on retrouve les combats médiatiques qui ont égrenés les dix ou quinze dernières années : Wikipédia nous en fournit une liste au chapitre « restructurations ».
En 1997 Renault Vilvoorde, en 1998 l'usine Chausson à Creil98 et l'usine Levi's à La Bassée, en 1999 restructuration annoncée par Michelin et de la perspective de fermeture des usines lorraines de Daewoo, en 2000 : l'usine Cellatex à Givet, en 2001 la restructuration de Moulinex et la fermeture des usines de Cormelles-le-Royal et d'Alençon ; celle des usines LU du groupe Danone ; celle de Marks & Spencer en France ou encore du projet « Gros » de fermeture de l'usine Bata de Bataville. En 2002 : restructuration d'Air Lib et fermeture de l'usine Metaleurop à Noyelles-Godault. En 2003 : restructuration du GIAT, et fermeture des usines de Saint-Chamond et de Tarbes, annonce par le groupe Arcelor de la fermeture de ses hauts fourneaux du bassin liégeois (Belgique).
En 2004 : usine Bosch de Vénissieux. En 2005 : restructuration des activités de services et de R&D de Hewlett-Packard à Grenoble. En 2006 : restructuration de Volkswagen avec notamment le risque de fermeture de l'usine de Forest, en Belgique. En 2007 : restructuration d'Airbus. En 2008 : aciérie d'ArcelorMittal à Gandrange. En 2009 : fermeture de l'usine Molex de Villemur-sur-Tarn et de l'usine de Continental AG à Clairoix…
Et demain ?
Le système du plan de volontariat est de fait affecté par la disparition de la DRE et le report de l’âge de la retraite. La contrepartie par le départ des plus anciens disparait. Ne reste plus que l’augmentation massive des primes de départs, méthode réservée aux entreprises les plus riches.
Tout le monde est à la recherche d’un système qui remplacerait les restructurations à chaud et violentes par des départs au fil de l’eau dans le cadre de la GPEC. Le gouvernement parait ouvrir la porte à cette voie avec le deuxième objectif qu’il affiche : Progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences.
On peut certes identifier les métiers qui vont baisser à coup sûr et encourager ceux qui veulent les quitter, par de la mobilité interne ou externe. Encore faut-il préciser comment (les ruptures conventionnelles ? Des plates-formes de transition pour former et accompagner les salariés ? Le congé de mobilité avec retour possible en cas d’échec de la reconversion ?) et là aussi sécuriser le système, pour les entreprises comme pour les salariés d’ailleurs !
La concurrence entre syndicats ne facilite pas la tâche de ceux qui voudraient s’aventurer dans une remise en cause du système. La question majeure de la négociation en cours est d’obtenir la signature de FO. Mais alors que la CFDT admet d’abandonner un avantage acquis contre un autre (comme elle l’a fait à juste titre mais à ses dépens en 2003 avec la réforme Fillon des retraites), c’est absolument contraire aux principes de FO.
L’enjeu est d’accepter une réduction des avantages pour les salariés en CDI pour mieux protéger les précaires et en diminuer le nombre. Les adhérents des syndicats faisant généralement partie de la première catégorie, le défi à relever est difficile !
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