Le mariage homosexuel fait partie des promesses de campagne de François Hollande. Depuis cinquante ans, la manière dont est vécue cette institution a beaucoup changée. Le modèle antérieur est fortement remis en cause, sans que l’on puisse voir clairement vers quoi la société se dirige dans ce domaine.
Jusque vers 1960, la plupart des mariages étaient stables et plus de 90% des enfants naissaient dans ce cadre, les personnes vivants en concubinage ou les mères célibataires étant marginales et regardées de travers.
Aujourd’hui, plus de la moitié des enfants naissent hors mariage et le nombre de divorces représente chaque année la moitié du nombre de mariages. Le taux de divorce au bout d’un nombre donné d’années de mariage ne cesse d’augmenter avec les promotions les plus récentes (sauf les toutes dernières pour les premières années de mariage, mais le mouvement est très timide) : il a fallu 20 ans pour que 20% des couples mariés en 1970 divorcent, ce résultat a été obtenu en 10 ans seulement pour les couples mariés en 2000.
Ce n’est donc pas vraiment l’ouverture du mariage aux homosexuels qui menace cette institution : celle ci a déjà reçu de nombreux coups de boutoirs du fait du corps social lui même, à la suite de dizaines de millions de décisions individuelles (ou plutôt de couples). Comme le chantait déjà Jean Ferrat dans le courant des années 60, mis à part les curés, personne ne veut se marier.
Le développement du divorce a reçu un coup de pouce de la part de Valéry Giscard d’Estaing en 1975, avec une loi qui introduisait le divorce par consentement mutuel (depuis le début de la troisième République, le divorce était possible sur faute de l’un des conjoints, une procédure qui a nourri des générations de détectives privés et d’auteurs de comédies de boulevards). Cette mesure, qui paraît du bon sens aujourd’hui, reconnaissait aussi que le mariage concernait le couple avant une société soucieuse jusque là de favoriser une institution qu’elle supposait bénéfique pour les enfants mais aussi pour la stabilité de la société.
Plus curieusement, dès les années 70 (quelle date ?), l’Etat a encouragé de fait fiscalement le concubinage pour les parents, ceux ci bénéficiant, s’ils n’étaient pas mariés, avaient au moins un enfant et faisaient deux déclarations séparées, d’une demi part supplémentaire, un avantage crée au départ pour protéger les mères célibataires et donc détourné de son objectif initial.
Il est vrai que l’opinion qui s’est répandue à partir de cette époque au point de devenir majoritaire, était que la question du couple ne regardait pas l’Etat, un des arguments étant que le divorce était compliqué et long(les jeunes qui en parlaient sous estimant probablement gravement la difficulté de traiter seuls les deux grandes questions de toute séparation que sont le partage des biens communs et la gestion des enfants du couple).
Au delà des éléments culturels ou juridiques qui ont pu accélérer ou ralentir cette profonde évolution du mariage en France par rapport à tel ou tel de ses voisins, il me semble que deux éléments majeurs, l’un technique, l’autre économique, expliquent en grande part ces changements.
Le premier est le développement, avec la pilule ou le stérilet, de moyens de contraception efficaces, sûrs et bon marché. Cette contraception permet à de jeunes adultes de cohabiter et d’avoir des relations sexuelles sans risque de voir survenir un enfant, et donc sans avoir envisagé ou décidé de passer le reste de leur vie ensemble. Hier, le mariage était de fait la condition pour habiter ensemble et même pour avoir des relations sexuelles (même si certains ignoraient évidemment ce second point). Aujourd’hui, la cohabitation juvénile paraît une évidence et le passage au mariage cesse d’être naturel.
Le second est l’augmentation extraordinaire du niveau de vie qui rend moins nécessaire pour la survie les économies d’échelles permises par la mise en couple (ou qui rend possible de financer aux enfants du divorce deux chambres, une chez chacun de leurs parents). Ces derniers temps, on observe même une diminution de la vie en couple chez les 30/60 ans, certains préférant vivre seuls, même s’ils ont un partenaire attitré.
Dans le cadre du mariage, la loi fixe de manière claire les droits des parties, avec notamment la règle standard (donc en cas d’absence de contrat de mariage) de communauté réduite aux acquêts, et l’application mécanique au mari de la paternité des enfants de la femme nés pendant la durée du mariage.
Ceux qui refusent de passer devant le maire mais ont des enfants ou font l’achat de biens durables (en particulier le logement) se voient donc contraints d’engager des procédures compliquées pour la reconnaissance du père de l’enfant ou pour enregistrer à qui appartiennent les biens durables achetés.
Un couple m’expliquait ainsi récemment avoir fait noter par le notaire dans le contrat d’achat de leur logement la valeur correspondant aux apports initiaux de chacun puis celles qui seraient prévisibles chaque année, au fur et à mesure du remboursement de l’emprunt contacté par le couple à cette occasion. S’il avait été marié la règle aurait été simple : au delà des apports initiaux, qui peuvent justifier un contrat de mariage s’ils ont importants et d’éventuels héritages ensuite, tous les biens sont réputés appartenir à part égale à chacun, indépendamment de la manière dont ils ont été générés (en fonction des salaires de l’un ou de l’autre par exemple).
Ces évolutions vont donc dans le sens d’une plus grande liberté des individus dans la manière dont ils vivent leur couple : hier le consentement mutuel était la règle de base de la formation d’un couple, il l’est devenu en 1975 du divorce. Demain les couples homosexuels pourront se marier et se posera très vite la question de savoir s’ils pourront adopter ou si la société acceptera de financer l’insémination artificielle d’une femme capable d’avoir des enfants mais lesbienne. La monogamie reste obligatoire, mais pour combien de temps ? Il existe déjà des personnes (et je ne pense pas ici à des personnes issues d’autres cultures ou religions) ayant de fait et de manière connue deux femmes en même temps…
On constate d’ailleurs un très fort développement du PACS, créé en 1999 théoriquement pour les couples homosexuels mais très utilisés de fait par tous les couples. En 2010, plus de 200 000 couples se sont pacsés (soit deux fois plus qu’en 2007). 35000 pacs ont été annulés la même année, dans 38% des cas parce que le couple concerné s’est marié. Peut-être le PACS fonctionne-t-il pour certains comme les fiançailles hier et faut-il voir dans cette période probatoire une des raisons de la très légère baisse du taux de divorce des couples mariés depuis 2005 (9,6% des couples mariés en 2005 étaient divorcés au bout de 5 ans contre 11,1% pour ceux de 2002 mais 7,5% pour ceux de 1996, autre point bas).
Les 35000 dissolutions de PACS en 2010 (21 000 si on enlève ceux qui se sont mariés) au regard de plus de 200 000 nouveaux PACS paraissent faibles quand on les compare au ratio divorces/ mariage qui dépasse 50%. Mais comme le fait remarquer ma femme, ces dissolutions sont à mettre au regard du nombre de PACS totaux. En prenant le nombre de PACS conclus chaque année depuis 1999 et en leur applcant le taux de divorces observés en 2010 pour les mariages conclus ces années là, on trouve un total de 12 000 environ. Conclusion, les PACS se détruisent plus facilement que les mariages, mais la différence est relativement limitée (un rapport de 1 à 1.75)
Plus de liberté pour les individus donc, mais la société y perd-elle ?
Je crains en fait que ces évolutions sociales se soient faites en partie au détriment d’une partie des femmes et des enfants
Certes, on constate que le divorce est demandé dans 80% des cas par la femme. Il permet à celle-ci (et à ses enfants éventuels) d’échapper à des situations difficiles, par exemple de violence du conjoint(mais on peut espérer qu’il n’y a pas 25ou 30% de maris violents !). Ce n’est d’ailleurs pas le divorce qui est le plus en cause : l’intervention de la justice permet de définir des règles matérielles et de responsabilité des enfants qui évitent que cela se passe trop mal.
La cohabitation et le concubinage permettent par contre souvent aux hommes de se défausser de leur responsabilité, ce qui peut d’autant plus être un problème que la femme est peu qualifiée. Aujourd’hui 30% des mères seules avec enfants se retrouvent sous le seuil de pauvreté. En l’absence de mariage, quelle garantie pour le plus faible financièrement (souvent la femme) d’être traité équitablement en cas de séparation ?
Il est probable que dans une partie non négligeable des situations, la solitude de la mère se fasse au détriment des enfants et de leur apprentissage de la nécessité de règles de vie collective à respecter. A l’heure de l’augmentation de la petite délinquance, on a clairement là un vrai problème de société.
Autre sujet de préoccupation, on ne voit pas bien aujourd’hui en quoi se transforme de fait le mariage. Le modèle d’hier est manifestement dépassé, au moins comme modèle s’imposant à tous. On pourrait se réjouir de l’idée que chacun se choisisse son modèle. On peut pourtant craindre qu’on soit surtout dans une situation de flou complet et d’absence de repères clairs sur le sujet.
L’affaire de l’annulation d’un mariage à Lille, et la manière dont il a été traité par les médias et les politiques me semble révélatrice à ce sujet. Alors que la décision prise semblait respecter le consentement mutuel des intéressés, de nombreuses bonnes âmes se sont offusquées que les raisons à la base de ce contentement mutuel ne soient pas conformes à leurs principes, ce qui les amenaient à une position aberrante de vouloir obliger les deux parties à passer par une case divorce longue et compliquée plutôt que par une case annulation de fait beaucoup plus rapide.
La demande sociale adressée à l’Etat n’est pas claire sur ce sujet du mariage : on voudrait à la fois la liberté de faire ce que l’on veut, une reconnaissance officielle dans certains cas mais aussi pouvoir être protégé si les choses se passent mal. Il est vrai que ce n’est pas que dans ce domaine du mariage que les citoyens souhaitent avoir le beurre et l’argent du beurre !
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