Le cumul emploi retraite, qui a longtemps été freiné par une classe politique qui pensait ainsi lutter contre le chômage, connait un fort développement depuis 2004. Un récent rapport de l’IGAS estime le nombre des français concernés à environ 500 000, pour la plupart travaillant à temps partiel. Le Monde part du rapport dans son numéro daté du 28 août pour développer des idées en contradiction flagrante avec celui-ci.
Le rapport de l’IGAS explique d’abord que la notion recouvre trois situations différentes :
- Celle de personnes touchant des pensions d’un régime et exerçant une activité relevant d’un autre régime. Cette forme de cumul n’est pas réglementée et est donc mal connue
- Celle du cumul emploi retraite intra régime intégral, concernant des personnes ayant atteint l’âge légal et liquidé leur retraite à taux plein : il n’y a pas de limites aux revenus d’activité
- Celle du cumul intra régime plafonné, pour ceux qui ne sont pas dans la situation précédente.
Le rapport prône d’ailleurs une simplification des règles, pour aider les retraités à s’y retrouver et faciliter une nouvelle augmentation des personnes concernées : il affirme en effet que le cumul est profitable pour les caisses de retraite.
Le rapport rappelle que le cumul intra régime a été restreint en 1982 puis élargi bien que plafonné en 2003 puis libéralisé en 2009. Les rapporteurs ne partagent manifestement pas l’analyse de ceux qui pensaient limiter le chômage en restreignant le cumul emploi retraite (selon la logique malthusienne qui voit dans l’emploi un gâteau limité et en réduction-ce qui est faux sur 30 ans- à partager), mais ils ne s’étendent pas sur le sujet.
Le tableau 20, page 40, montre que le revenu perçu par ces retraités pour leur activité est assez faible : 6203 € par an en moyenne pour les hommes et 5008 pour les femmes. 20% des retraités actifs ont un salaire mensuel inférieur à 50 €. Le tableau 19 (qui concerne les salariés du régime général, les plus nombreux) confirme que l’activité du retraité est le plus souvent à temps partiel : la première année du cumul, les hommes gagnent en moyenne 32.3% de leur ancien salaire et les femmes 39.1%.
Enfin, le tableau 17 page 38 montre que ce sont les retraités qui ont les revenus les plus élevés qui continuent à travailler : 13.1% des retraités actifs sont dans le quartile le plus bas dans l’échelle des niveaux de vie mais 25.4% dans le plus haut. Ce pont est d’ailleurs souligné fortement par le rapport.
Cela n’a semble-t-il pas gêné le Monde, dans son édition datée du 28 août titre sur « ces retraités contraints de reprendre un emploi ». Dans le corps du texte, la journaliste reconnait que d’après l’IGAS, le profil type du retraité actif renvoie à des revenus plus élevé que la moyenne. Mais d’après elle, cette situation « se cache une réalité plus sombre » révélée notamment par l’explosion des sites Internet spécialisés dans les offres d’emploi pour senior.
Car, le Monde en a la conviction, la montée du cumul est due en partie aux évolutions légales mais en partie aussi à la crise « qui pousse de plus en plus de seniors à travailler par nécessité ». Il est vrai que si ces seniors pauvres travaillent au noir, leur activité échappe aux analyses de l’IGAS !
Au lieu de s’inquiéter de ce que ce travail au noir signifie de pertes de recettes pour les comptes publics, le Monde appui sa démonstration sur des exemples chargés de tirer des larmes aux lecteurs. Ce sont notamment des retraitées seules, mais en charge de famille, qui sont citées. Pas de surprise : on sait que toutes les générations confondues, ces femmes sont à 30% en dessous du seuil de pauvreté.
Et pourtant, ce ne sont pas les retraités qui subissent de plein fouet la crise, mais bien les jeunes d’abord, une partie des quinquagénaires ensuite. Le montant des pensions est au contraire à peine touché par la crise.
La conclusion de l’article situe l’idée de base : « La paupérisation annoncée d’une partie des retraités…correspondant à des générations qui auront davantage connu des aléas de carrière comme le chômage ou le temps partiel…périodes où on cotisent moins pour ses vieux jours »
Dans le même numéro du Monde, on trouve une tribune de deux sociologues à propos des retraités pauvres. L’article note que 65% des retraités sont issus des classes populaires et laisse entendre que leur revenu des futurs nouveaux retraités. Les auteurs eux aussi citent comme raison la précarité croissante et y ajoutent les différentes réformes depuis 1993.
« Le niveau médian des pensions, pour les nouveaux retraités se situe à moins de 850 euros par mois. Bien en dessous du seuil de pauvreté. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’aucune étude ne semble avoir estimé les revenus réels des nouveaux retraités ».
On se demande comment nos auteurs peuvent citer le nombre de 850 euros s’il n’y a aucune étude, mais ils n’ont pas dû chercher bien loin : quelques secondes sur Internet et on trouve un article de l’INSEE sur le montant des retraites qui précise que :
- le nombre d’allocataires du minimum vieillesse est en baisse en 2008 comme depuis 50 ans, du fait de l’amélioration du montant des retraites
- le montant moyen de la pension de droit direct s’établissait fin 2008 à 1132 euros
- ce montant augmentait en moyenne depuis 2003 de 2.3% en euros courants et de 0.6% hors inflation
- Cette évolution est essentiellement portée par l'effet de noria, c'est-à-dire le remplacement des retraités plus âgés par des nouveaux retraités, disposant généralement de carrières plus favorables
En se focalisant sur la question de la précarité, nos sociologues et la journaliste de Monde omettent des phénomènes qui viennent au contraire augmenter le montant des pensions :
- Le niveau de formation en pleine ascension dans les années 70 par rapport aux 2/3 des classes d’âge sortant de formation initiale sans diplôme au début des années 60, ce qui s’est traduit par une augmentation notable de la proportion de cadres
- Pour les salariés les moins bien payés, l’augmentation du ratio entre le SMIC et le salaire moyen se traduit par une retraite plus proche de la retraite moyenne
- Les femmes ont vu leur taux d’activité et donc de nombre de trimestre cotisés augmenter fortement depuis 50 ans pour approcher aujourd’hui celui des hommes
En fait ce sont plutôt les cadres qui voient leur niveau de pension menacée, les retraites complémentaires étant affectées fortement par la hausse du nombre de bénéficiaires, et le traduisant par une hausse du coût pour acheter des points et par une hausse très limitée du prix du point. Ce qui pourrait expliquer qu’ils soient plus nombreux à rester actif après la retraite mais en fait leur motivation est souvent autre : ils travaillent d’abord pour avoir une activité et partager leurs compétences (voir page 42).
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