Le gouvernement invite les partenaires sociaux (cinq organisations côté salariés et trois côté employeurs) à échanger sur la méthode du dialogue social et sur sept sujets jugés prioritaires, qui feront l’objet d’autant de tables rondes. Entre un programme choisi par les électeurs et la volonté de privilégier la concertation, la voie a suivre est étroite.
Les décisions à caractère social doivent elles être prises par le pouvoir politique ou être le résultat de la négociation sociale ? Historiquement, la réponse à cette question n’a pas été la même dans tous les pays européens, ce qui se traduit par exemple par l’inexistence d’un SMIC dans un pays comme la Suède, les minima salariaux étant négociés par les partenaires sociaux par branche.
Dans la théorie léniniste, le syndicat est la courroie de transmission du parti : ceux qui fonctionnent dans cette culture n’ont aucun mal à attendre du législateur qu’il se saisisse des revendications sociales et à affirmer que les « conquêtes sociales » sont le résultat de choix politiques et de la victoire de la gauche en 1936, en 1945 ou en 1981.
Dans le système social démocrate pratiqué par les pays du nord de l’Europe (scandinaves ou anglo-saxons), le parti est crée par le syndicat qui ne souhaite donc pas que le pouvoir politique marche sur ses plates-bandes, et attend donc plutôt que le législatif le renforce.
En France, la gauche au pouvoir aura donc tendance à prendre unilatéralement des décisions dans le domaine social (le gouvernement vient de le faire à propos des retraites), ou à peser sur le dialogue social pour imposer à l’employeur des concessions que les syndicats de salariés n’arrivent pas à lui arracher. De son côté, la droite peut être tentée de mettre les partenaires sociaux devant leurs responsabilités, soit en espérant que le patronat saura imposer ses vues, soit en souhaitant ainsi renforcer les syndicats réformistes et affaiblir la CGT. L’objectif est d’avoir des syndicats à la fois fort et responsables, l’idée communément admise étant que les syndicats sont d’autant plus agressifs qu’ils sont faibles.
Au delà de la théorie, les pratiques gouvernementales françaises dépendent bien sût du camp au pouvoir, mais aussi de la situation conjoncturelle ou des enjeux du moment. Si toutes les décisions prises depuis 20 ans sur les retraites l’ont été par l’Etat, c’est aussi que les partenaires sociaux n’avaient pas vraiment envie d’assumer des choix, dont ils savaient pertinemment qu’ils ne pouvaient guère être populaires. La seule fois ou la CFDT s’y est risqué, en 2003, elle l’a payé au prix fort, avec l’arrêt de la dynamique de progrès d’effectif qu’elle vivait jusque là, et le départ de dizaines de milliers de militants, en partie vers les syndicat SUD. Et pourtant, l’orientation pour laquelle elle s’est battue (privilégier le nombre de trimestre cotisés plutôt que l’age dans le choix de la date de départ en retraite) est aujourd’hui très largement admise, et avec des durées qui se sont nettement allongées !
Pour ceux qui souhaitent privilégier la place des partenaires sociaux dans les décisions sociales plutôt que celle de l’Etat, cette stratégie est indispensable pour ne pas affaiblir (voire pour renforcer) le rôle des organisations syndicales. Le même Nicolas Sarkozy qui s’est laissé aller à des discours anti syndicaux pendant sa campagne, a pris pendant son quinquennat des décisions qui vont, sur le long terme, dans le sens d’un renforcement des partenaires sociaux.
La mesure la plus importante est celle sur la représentativité syndicale, qui a fait l’objet d’un accord entre partenaires sociaux avant que celui ci soit traduit dans une loi. On peut s’étonner que le législateur abdique une partie de son pouvoir au bénéfice des partenaires sociaux (dont certains sont très attentifs à ce que le législateur ne veuille faire évoluer, dans un sens ou dans un autre, le compromis laborieusement obtenu). On notera cependant que la pratique très habituelle de l’Etat est d’étendre des accords de branche, pour qu’ils s’imposent à toutes les entreprises du secteur, et non aux seuls adhérents des organisations syndicales signataires.
Une autre initiative, marquée par l’analyse économique libérale, a consisté à inciter les entreprises et les branches à négocier et mettre en œuvre des plans d’actions sur les trois thèmes des seniors, de l’égalité homme femme et de la pénibilité (thèmes mis en avant au moment de la réforme des retraites), l’absence d’accord ou à défaut de plan pouvant conduire à payer une taxe de 1% de la masse salariale (dans chacun des cas).
La gauche a hier eu souvent tendance à décider à la place des acteurs de l’entreprise. Le dernier exemple est bien sûr celui des 35 heures, où la gauche s’est heurtée au refus du patronat : après une première discussion avortée, elle a donc votée la première loi qui n’était qu’incitative (et qui contraignant les partenaires à négocier) puis la seconde plus autoritaire.
Attendons donc ce que fera ce nouveau gouvernement !
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