La crise de trésorerie est le cauchemar des directions financières dans les entreprises, mais elles peuvent aussi frapper les Etats impécunieux, comme nous le montre la Grèce depuis quelques années. Les raisons de ces crises tiennent à la fois de l’objectif et du jugement porté sur la situation, ce qui ne facilite pas leur prévention ou leur traitement.
Dès que le rythme des dépenses et celui des recettes sont déconnectés, il y a besoin de gérer sa trésorerie. C’est souvent une découverte des jeunes lors de leur premier emploi : alors qu’ils ont l’impression de gérer sagement leurs revenus en alignant leurs dépenses sur leurs gains, ils constatent l’année qui suit leur embauche qu’ils n’avaient pas provisionné ce qu’allait leur demander le trésor public et se retrouvent en rouge à la banque.
Une entreprise de chocolaterie qui fabriquerait uniquement des produits pour Pâques, se trouverait en besoin de financement en augmentation constante pendant toute la période de production (pour payer ses salariés et ses fournisseurs) ce besoin baissant d’un seul coût au moment des ventes.
Le rythme des dépenses d’une entreprise est souvent irrégulier, par exemple avec le paiement trimestriel des loyers ou des charges fiscales et sociales, ou avec des dépenses salariales annuelles (prime de vacances ou treizième mois). Sa ligne de crédit à la banque lui permet normalement de faire face à cette variation.
Si l’entreprise grossit, elle va avoir besoin d’une plus grosse ligne de crédit, et la négocier avec sa banque. Mais elle peut avoir besoin d’emprunter à long terme pour financer un investissement.
Selon son activité, une entreprise peut consommer ou générer de la trésorerie (on peut dire du cash puisque le monde de l’entreprise est envahi par le vocabulaire anglo-saxon). Par exemple, la construction d’une centrale nucléaire, d’un barrage hydro électrique ou d’une éolienne représente un investissement initial important qui va générer ensuite des rentrées d’argent sur la durée.
Dans cet exemple, l’entreprise aura fait un emprunt de longue durée pour financer une partie de son investissement (les banques répugnent à financer 100% de celui-ci), et elle devra sur cet emprunt payer des intérêts et rembourser le capital, à échéance ou par parties (par exemple tous les mois ou tous les ans). Le particulier qui a acheté à crédit est dans la même situation.
En pratique, il va donc y avoir des échéances, souvent mensuelles, trimestrielles ou annuelles, qui vont donc affecter la gestion de la trésorerie.
Un Etat est dans la même situation. Généralement, il ne rembourse pas progressivement, mais à échéance, celle-ci pouvant être très courte (quelques mois), courte (deux à cinq ans) longue (dix ans) voire très longue (30, 50 ou 99 ans, voire éternelle), l’emprunt à dix ans servant souvent de référence.
Au moment de faire son budget, un Etat endetté comme la France, va devoir faire une prévision de ce qu’il devra emprunter dans l’année, en ayant généralement la possibilité d’adapter ses appels au marché (volume et durée) en fonction de la conjoncture, par exemple en empruntant à très court terme s’il pense que les taux longs vont baisser dans les mois à venir.
L’appel au marché va devoir couvrir à la fois le déficit prévu et le remboursement des emprunts arrivant à échéance. Par exemple, pour un pays comme la France dont la dette publique représente environ 1600 milliards et le déficit annuel 90 milliards (en 2011), il a fallu emprunter, en plus des 90 milliards destinés à couvrir le déficit, la part des 1600 milliards arrivant à échéance dans l’année soit mettons 250 milliards, ce qui fait un total de 340 milliards. Avec une telle somme, la pratique du trésor est de faire souvent appel au marché, pour des sommes de 5, 10 ou 20 milliards à chaque fois.
A noter que la charge des intérêts de la dette, qui se situe autour de 48 milliards en France pour 2012, est comprise dans le déficit de 90 milliards (sur des recettes nettes de 266 milliards, soit un tiers de celles-ci !). Ce que l’on appelle le solde primaire, sans prendre en compte les intérêts, était donc négatif de 42 milliards environ.
La Grèce, pays endetté avec un déficit, se trouve dans la même situation de devoir faire appel aux marchés pour financer son déficit et le remboursement des emprunts précédents arrivant à échéance. Les investisseurs ont au début des années 2000 accepté de souscrire à ces emprunts à des taux très proches de ceux accordés aux meilleurs élèves de la zone (Allemagne ou Finlande par exemple). Et puis, à la fin de la décennie, le montant de la dette et des déficits ont commencé à inquiéter les investisseurs.
Comme souvent, en raison du caractère moutonnier des marchés, le changement a commencé en douceur puis s’est soudainement accéléré, la méfiance gagnant la plupart des investisseurs.
Cette méfiance se manifeste de deux manières : d’une part, il n’y a plus de souscripteurs pour les nouveaux emprunts, d’autre part, sur ce qu’on appelle le marché secondaire où s’échangent les emprunts anciens, les prix baissent, reflétant la crainte que l’obligation ne puisse être remboursée. Cette baisse des valeurs est équivalente à une hausse des taux, et dans le cas de la Grèce, la baisse a été telle que cela représentait une hausse vertigineuse des taux, au-delà de 20 % par an.
Pour une direction du trésor, une hausse des taux sur le marché secondaire ne signifie pas qu’il doit verser des intérêts plus importants sur les anciens emprunts, cela signifie qu’il va devoir promettre des intérêts plus élevés pour ses nouveaux emprunts. Mais dans le cas d’un pays comme la Grèce, la hausse des taux est telle que la conséquence est qu’il n’y a plus personne qui veut souscrire aux nouveaux emprunts.
Cette situation est d’ailleurs la même pour un ménage ou une entreprise, à un moment, ils ne trouvent plus personne pour leur prêter. Ce moment est lié à leur situation objective, mais dépend aussi d’autres facteurs. Par exemple, quand les banques se trouvent elles-mêmes en difficulté comme c’est le cas depuis trois ans, elles deviennent plus regardantes sur les risques qu’elles prennent et peuvent refuser ce qu’elles acceptaient auparavant.
Confronté à ce refus des investisseurs de souscrire à de nouveaux emprunts, le pays endetté et en déficit se trouve confronté à une grande difficulté, puisqu’il ne peut plus financer ni le remboursement des prêts arrivés à échéance, ni ses déficits. Au pire, l’Etat concerné se retrouvera en cessation de paiement de ses remboursements d’emprunts et des intérêts. Mais il devra aussi ajuster ses dépenses à ses recettes. Il devra au moins avoir un équilibre primaire de ses comptes (les recettes doivent couvrir les dépenses hors charges de la dette).
En prêtant quand plus aucun investisseur ne veut plus le faire, le FMI donne aux pays très endettés le temps de l’ajustement et du retour à l’équilibre. Mais il ne lui donne pas les moyens de continuer à dépenses au-delà de ses recettes. L’ajustement peut ne pas être brutal, mais il doit se faire.
Dans le cas de la Grèce, l’UE s’est jointe au FMI pour prêter au trésor grec. Et elle ne l’a pas fait en jouant petit, puisqu’elle se trouve aujourd’hui posséder les trois quarts de la dette grecque (il est vrai après une restructuration de la dette privée qui a fait perdre aux investisseurs plus de la moitié de leurs créances).
Elle exige aujourd’hui, à travers ce qu’on a appelé le mémorandum, que le pays prenne des mesures pour ramener à zéro son déficit primaire, dans un délai court.
Imaginons qu’à la suite de prochaines élections, arrive au pouvoir en Grèce un pays qui refuse ce mémorandum. L’UE aura en théorie trois solutions
- Elle renégocie pour donner plus de temps à l’ajustement et elle accepte en attendant de faire les fins de mois, en sachant qu’une partie de ses créances ne sera jamais remboursée
- Elle accepte de subventionner durablement la Grèce et de viser (en plus de l’abandon de créance), non pas un équilibre primaire, mais un déficit limité
- Elle refuse de céder, ce qui conduit à la sortie de la Grèce de l’euro, solution qui a des inconvénients majeurs pour la Grèce, mais aussi pour l’UE, les autres pays du sud étant menacés à leur tour.
La demande des électeurs grecs correspond en réalité à la deuxième solution, qui paraitra difficilement légitime aux contribuables des autres pays et qu’il faudra donc habiller habilement !
Si on arrive à la troisième solution, la Grèce n’échappera pas à l’ajustement demandé. N’ayant plus personne pour lui prêter, elle devra procéder à une réduction drastique de ses dépenses, non pas progressivement, mais de manière immédiate. Comme elle n’y arrivera probablement pas, il ne lui restera plus qu’à faire marcher la planche à billets ou à payer son personnel ou ses fournisseurs avec retard.
Mais la Grèce a aussi un problème d’équilibre de ses comptes extérieurs, avec des importations bien supérieures à ses exportations, déséquilibre commercial que ne compense pas une balance des services positive (avec le tourisme et les services maritimes). Une dévaluation de sa monnaie (qu’elle ne peut faire dans le cadre de l’euro) lui permettra d’avoir les mêmes résultats vis à vis de l’extérieur que la baisse des salaires. On parle d’une dévaluation de 50 %, ce qui est objectivement sur estimé, mais qui se produira probablement dans un premier temps, le temps que la situation des comptes se rééquilibre (c’est à dire pendant quelques années).
Si la Grèce arrive à supprimer son déficit primaire de manière durable, elle retrouvera des investisseurs prêts à souscrire à ses emprunts.
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