La finance, « qui a pris le contrôle sur l’économie, la société et même nos vies », est, avec la politique menée par la droite depuis 10 ans, la principale responsable de la crise qui « se fait durement sentir ». C’est du moins ce qu’affirme François Hollande en introduction de ses 60 engagements.
Après une telle introduction, le candidat socialiste se devait de proposer des mesures pour maîtriser ce pouvoir financier. On trouve effectivement des éléments de réponse dans les engagements 7 et 8, qui constituent le sous chapitre intitulé « je veux mettre les banques au service de l’économie ».
L’engagement 7 propose pêle-mêle de séparer les activités utiles (à l’emploi et l’investissement) des activités spéculatives, d’interdire aux banques d’exercer dans les paradis fiscaux, de mettre fin aux produits financiers toxiques, de supprimer les stocks options (sauf pour les entreprises naissantes), d’encadrer les bonus, de surtaxer de 15% le bénéfice des banques, de créer une taxe sur les transactions financières et de crééer une agence européenne de notation.
L’engagement 8 prévoit pour le livret A une rémunération supérieure à l’inflation, un plafonnement par la loi du coût des services facturés par les banques et encadrement du crédit à la consommation pour éviter le surendettement.
Au delà du caractère très discutable (au moins pour le libéral que je suis) des mesures proposées, sont elles de nature à empêcher que la finance « ait le contrôle de la société et même de nos vies" ?
En tous les cas, JL Mélenchon, s’il part d’un diagnostic assez proche, mais formulé de manière nettement plus violente et détaillée, n’en tire pas forcément les mêmes conclusions. Pour lui aussi, « la domination sans partage du capitalisme financier sur le monde » est la cause « de la catastrophe écologique, de l’explosion des inégalités, de la pauvreté et de la précarité ». Le candidat met en cause « la tyrannie des marchés financiers", et la règle d’or proposée par Sarkozy », qui « permettraient que les prétentions des détenteurs de la dette s’imposent aux représentants élus ».
Les mesures sont également vigoureuses : puisque la domination du capitalisme financier a conduit à la crise, il faut revoir en profondeur tous les mécanismes financiers (et au passage le programme souligne que le PS a participé à la mise en place des règles actuelles et que des socialistes ont participé à la direction des institutions concernées, sans toutefois citer DSK ou François Lamy).
Donc plutôt que de faire appel aux marchés pour financer la dette, le candidat propose de donner les moyens à la Banque de France et à la BCE de faire marcher massivement la planche à billets. Il propose aussi de constituer un pôle financer public, à partir de ce qui existe déjà, en lien avec les banques mutualistes et en nationalisant des banques et des assurances (les banques non nationalisées étant menacées de l’être si elles n’appliquent pas la politique décidée).
Il est même prévu que ce pôle public puisse « soutenir localement les luttes sociales, appuyée sur de nouveaux droits des salariés et des citoyens…qui disposeront d’un droit de saisine de ce réseau »
Dans une économie classique, un ménage, une entreprise ou un Etat ne peut durablement avoir des dépenses supérieures à ses recettes que s’il puise dans ses réserves ou qu’il trouve des créanciers pour lui prêter (c’est de cette manière probablement que « la finance a pris le contrôle de nos vies »). Le cas de la Grèce comme celui des ménages en surendettement montre qu’il y a des limites à ce que les créanciers sont prêts à accepter.
Il est vrai que les Etats ont la solution de faire marcher la planche à billets (ou de rogner les pièces d’or comme le fit Philippe le Bel) : il s’agit d’un moyen détourné de faire payer les épargnants en diminuant la valeur de leurs réserves. Ce moyen a été utilisé en grand pendant les périodes de guerre (notamment la première guerre mondiale qui a ruiné les rentiers). Dans les années 70 (et jusque vers le milieu des années 80), où le taux du livret A était nettement inférieur à l’inflation, c’étaient notamment les petits épargnants qui étaient lésés, d’où l’engagement 8 de François Hollande.
JL Mélenchon, qui est prêt à faire exploser les dépenses en faisant des promesses quasiment sans limites (le droit de saisine des salariés pour sauver leur emploi est pas mal dans le genre, mais on peut aussi lire le chapitre sur le ferroutage avec des mesures « dont le financement sera garanti par l’Etat et les banques »), est donc confronté à la nécessité de financer un déficit qui, même avec une forte augmentation des impôts, s’annonce monstrueux. Pour ne pas être dans les mains des marchés financiers, il propose donc de faire appel à la planche à billet et de ruiner les épargnants.
Il y a cependant un biais massif dans son programme : il s’appelle déficit extérieur. Si les épargnants français, qu’ils soient modestes ou riches, ne peuvent empêcher de se voir privés de leur épargne située en France (on laisse imaginer la fuite des capitaux à laquelle on assisterait si Mélenchon était élu ou même risquait d’être élu), les fournisseurs de la France ne sont pas obligés d’avoir la même attitude.
En cas de méfiance (et elle viendrait extrêmement vite), ces fournisseurs exigeront d’être payés avant de livrer. Or il se trouve que notre pays est déjà dans une situation peu saine du point de vue de l’équilibre commercial, avec un déficit mensuel de l’ordre de 6 milliards d’euros. La hausse massive des couts des entreprises (par exemple avec le SMIC mensuel à 1700 euros) et l’inflation qui viendra très vite ne vont évidemment pas faire augmenter nos ventes à l’étranger.
On a déjà appliqué une partie du programme de JL Mélenchon (une partie seulement) en 1981 avec des nationalisations massives, l’augmentation du SMIC ou la retraite à 60 ans. Il s’en est suivi trois dévaluations en deux ans, une hausse massive du chômage puis le plan de rigueur Delors Mauroy.
Mais les choses ont bougé depuis trente ans avec notamment une intégration de plus en plus poussée des économies : la dépendance extérieure est plus forte qu’en 1981.
La conséquence de la politique proposée par le Front de gauche, ce serait certes une forte inflation, la sortie de l’euro, des dévaluations en cascade et la ruine plus ou moins rapide des épargnants. Mais ce serait aussi très vite une situation de pénurie sur tous les produits importés, en commençant par le pétrole mais aussi par exemple par tous les médicaments que nous ne produisons pas (et il y en a forcément une proportion importante).
On peut évidemment rétorquer qu’il « suffira » de les produire nous-mêmes. Sauf que la vitesse à laquelle se produira la pénurie sera beaucoup plus rapide que celle nécessaire pour construire une production de remplacement, qui plus est dans un pays qui aura découragé ses entrepreneurs. Les ménages auront de l’argent grâce à la hausse des salaires mais il n’y aura pas de produits à acheter. Nous pourrons alors expérimenter en grand une des plus belles réalisations du communisme triomphant : la file d’attente !
C’est le moment de revenir à François Hollande : si l’on veut rester dans une économie de marché et ne pas devoir obéir aux « puissances financières », il n’y a qu’un moyen pour un Etat comme la France : il faut réduire la dette, et dans un premier temps le déficit. C’est ce que promet le candidat socialiste, sans trop dire comment il y arrive ...
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