38% des électeurs seraient encore indécis à moins de 48 heures du vote du premier tour. Comment se fait le choix du vote ? La revue Sciences Humaines s’est posé la question dans son numéro d’avril et le Monde revenait sur le sujet dans son numéro du 17 avril à partir de 6 mois d’enquêtes, en constatant que sur la période un électeur sur deux avait changé d’intention de vote !
La revue Sciences Humaines balaie différentes théories qui expliquent le vote, avec des entrées assez diverses que je qualifierais selon le cas de sociologiques ou psychologiques
Le premier article sociologique a pour titre « dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui tu votes" et distingues quatre grands modèles d’explication du comportement électoral, à partir du lieu d’habitation, de la place dans la société, du vote paternel et des valeurs essentiels. La première explication se déduit facilement de la permanence des cartes électorales sur des durées très longues.
Un deuxième article analyse l’évolution des votes des différentes classes sociales : celui des classes populaires, reste majoritairement à gauche, malgré l’émergence d’un vote frontiste...et la réalité très ancienne d’un vote gaulliste. Le vote des classes moyennes se porte lui aussi toujours à gauche mais se disperse comme on l’a vu en 2002 aux présidentielles ou dans l’émergence d’un vote Bayrou en 2007 ou d’un vote écologiste en 2009.
Les classes supérieures ne votent pas forcément à droite puisque 52% seulement des cadres supérieurs l’ont fait en 2002. C’est le patrimoine qui fait le vote : plus vous possédez un patrimoine risqué, comme des actions par exemple, plus vous votez à droite !
Mais il n’y a pas que la classe sociale : l’article aborde le vote des jeunes qui votent moins, sont moins fermes dans leur choix et votent moins à droite que les seniors. Les femmes sont moins extrémistes que les hommes …et votent plus facilement pour leur semblable ! Enfin, la religion est un indicateur fort du vote, les catholiques votent à droite et les musulmans à gauche.
L’article « l’énigme du vote » a une approche plus psychologique (ou individuelle ?) sur ce qui amène à choisir, et en particulier fait basculer les indécis. A la suite des deux auteurs Anne Muxel et Bruno Cautrès, il distingue trois temps de la dynamique du vote, le temps long de l’enracinement des croyances politiques, le temps court de la campagne électorale et le moment de la décision finale.
Dans le temps long, les idées politiques sont irriguées de multiples influences, familiales d’abord (les héritiers seraient 66% si l’on compte ceux qui ont hérité de l’absence de choix) puis faites aux hasards de la vie, avec un enseignant, un ami, le conjoint…
Les phénomènes d’indécision et de volatilité que l’on constate de plus en plus ont conduit à un nouvel intérêt pour la manière dont se bâtissent les choix à l’occasion d’une campagne (on y reviendra avec l’article du Monde).
La campagne électorale va donner de l’importance à tel ou tel sujet (par exemple la sécurité en 2002) et l’électeur va se déterminer pour le candidat qui aura su se montrer le plus convaincant sur ces sujets saillants.
Ceci suppose que l’électeur est parfaitement cartésien. Or de nombreuses expériences montrent qu’il réagit beaucoup (si ce n’est pas essentiellement) avec ses émotions, celles qui ont fait le rejet de Ségolène Royal hier ou de Eva Joly aujourd’hui (c’est moi qui rajoute ces exemples) sans qu’on soit capable d’expliquer pourquoi de manière vraiment cartésienne.
Enfin, pour les ultimes indécis (et on comprend qu’ils sont de plus en plus nombreux, le choix final se fait probablement sur l’impulsion du moment, mais là aussi avec plusieurs variantes : on revient à sa famille d’origine car c’est plus rassurant, on choisit le vote sanction ou on s’attache à une personnalité que l’on juge plus grand que soi.
On comprend que malgré les travaux de nombreux chercheurs, on ne sait pas trop comment chacun décide, justement peut-être parce qu’il n’y a pas une logique unique à l’œuvre…
Sur un thème semblable, le Monde du 17 avril revenait sur l’enquête Présidoscopie, réalisée auprès d’un même échantillon de 4354 personnes interrogées 7 fois sur 6 mois, des entretiens individuels ayant été menés auprès de certains ‘entre elles pour se faire expliquer leur position du moment.
Il apparait que sur la période de 6 mois, 52% des sondés ont gardé le même choix qu’au début, et 48% en ont changé au moins une fois. Ceux qui ont le plus changé sont ceux qui se situent ni à droite ni à gauche (à 65%), ou au centre (à 59%), les agriculteurs (à 57%), les 18/24 ans (à 56%). Ont au contraire peu changé ceux qui se situent très à droite (22% !), ceux qui se situent à droite (39%) et les 60 ans et plus (39% aussi).
Brice Teinturier note que les mouvements incessants pendant la campagne se concentrent surtout à l’intérieur des blocs politiques, avec d’une part des électeurs qui changent leur choix de candidat et d’autres qui changent de décision sur voter ou non.
Dominique Reynié fait l’analyse qui m’a paru la plus intéressante. Il constate d’abord que les Français sont très préoccupés par la crise économique et financière et que dans le même temps ils prêtent à Nicolas Sarkozy de solides qualités pour affronter ces enjeux, prendre des décisions et pourtant le chef de l’Etat n’en tire aucun bénéfice dans les intentions de vote.
A partir de cet exemple, il développe sa pensée. Selon lui, il y a deux champs de l’expression électorale : celui de la décision et celui de la protestation, le premier champ représentant 55% du corps électoral et celui de la protestation 35% (apparemment il en reste 10% les abstentionnistes ?). Gilles Finchelstein apporte de l’eau à son moulin en notant que pour certains électeurs, la motivation déterminante est l’expression d’un mécontentement. C’est Marine Le Pen qui a le plus de ce genre d’électeur (48%) devant JL Mélenchon et Nicolas Sarkozy qui en a le moins (2%).
Bon, ce n’est pas tout ça, pour qui vais-je bien pouvoir voter dans quinze jours ?
Les commentaires récents