Un adolescent viole et tue une adolescente, et cela se passe dans la seul commune française reconnue « Juste parmi les nations » pour son comportement exemplaire pendant la guerre. Plutôt que de proposer une énième loi sur le sujet, ne faut-il pas réfléchir à la manière dont la Justice contribue ou non à la paix dans notre société ?
Je consulte souvent Google actualités et je suis frappé par l’importance prise par les faits divers dans ce que Google nous renvoie de l’actualité, peut-être parce que mon journal habituel s’intéresse peu aux faits divers, ou en tous les cas leur accorde une place limitée.
Pas une semaine qu’il n’y ait un enfant qui disparaisse, un adolescent qui se fasse tuer ou au moins menacer, une promeneuse qui se fasse violer ou un père de famille qui tue ses propres enfants. A lire ces nouvelles et leurs rebondissements, on a le sentiment que l’insécurité ne cesse de grandir dans notre pays.
De toute bonne foi, bien des gens pensent que notre système est laxiste envers les délinquants sexuels. Comme il s’agit de comparaison avec leur propre norme en la matière, il est difficile de leur prouver le contraire. On peut cependant observer que le niveau de tolérance de la Justice comme de la société a beaucoup évolué depuis trente ans en la matière, et que cette évolution ne s’est absolument pas faite dans le sens de plus de laxisme.
Pour avoir discuté avec deux de mes collègues qui ont été jurées d’assises ces dernières années, je fais le constat, d’une part que beaucoup des crimes qui y sont jugés sont des crimes sexuels, d’autre part que les jurys populaires comme les juges professionnels ne semblent pas particulièrement laxistes.
L’adolescent qui semble avoir reconnu le meurtre dans le dernier cas d’actualité avait déjà commis un viol, pour lequel il avait fait déjà 4 mois de préventive, son procès étant prévu en 2012. On peut trouver qu’il n’aurait pas dû être libéré, ou au contraire pas dû être emprisonné sans avoir été jugé, ou alors qu’il s’agit d’un mineur. Il n’y a pas dans ce domaine de solution idéale : il est bon que la justice ne soit pas trop rapide, mais par ailleurs, des jeunes qui sont souvent dans l’instant, ont besoin qu’il n’y ait pas un temps trop long entre l’acte et sa condamnation, sous peine qu’ils acquièrent un faux sentiment d’impunité.
Il y a probablement eu dans les années 70 une tendance à vouloir trop excuser les délinquants, de la même manière que je vois aujourd’hui des syndicalistes répugner à ce que l’on sanctionne des salariés qui ont allégué de fausses maladies pour être absents de leur travail. Mais les temps ont changé. La question n’est donc pas de savoir s’il faut sanctionner mais à quel niveau.
On peut constater que le nombre d’homicides est au plus bas dans notre pays. Ce résultat ne peut être attribué à la sévérité de la répression contre le crime, notre pays étant beaucoup moins sévère que d’autres (notamment ceux qui pratiquent encore la peine de mort) qui ont pourtant beaucoup plus d’homicides par habitant.
En réalité, ce sont les mêmes raisons qui font que nous essayons de pratiquer une justice raisonnée et qui font que nous avons peu d’homicides : nous sommes une société apaisée, dans laquelle chacun (du moins une grande partie d’entre nous) éprouve du respect pour les autres. Des siècles d’expérience nous ont amené à penser une Justice équilibrée, capable de se donner le temps de la réflexion et de la raison pour ne pas céder à l'émotion du moment.
C’est là qu’il faut revenir à Chambon sur Lignon. Dans ce bourg de quelques milliers d’habitants, un pasteur protestant, André Trocmé, imprégné de culture non violente, a incité ses concitoyens à cacher des juifs pendant la guerre. On considère que le bourg a sauvé environ 5000 juifs.
C’est dans le collège lycée Cévenol international dont le pasteur fut un des fondateurs, que les deux adolescents, la future victime et le futur bourreau, avaient été admis comme interne. La direction du collège savait que le jeune garçon avait fait de la prison préventive, mais en ignorait la raison. De toutes manières, l’accueil de jeunes en difficulté était sa raison d’être. On peut cependant imaginer que si la direction avait connu le passé du jeune homme, elle aurait pu être plus vigilante dans son suivi.
Essayer de tirer des leçons de cet événement est toujours utile. Mais le comportement humain n’est pas assimilable à une centrale nucléaire. On peut étudier comment diminuer les risques d’accidents techniques et mettre en œuvre des solutions efficaces, il est beaucoup plus difficile de faire évoluer les comportements humains.
Comme le fait remarquer un expert psychiatre dans le Monde de ce soir, «on ne peut pas affirmer que demain ou après-demain, on saura prédire l’avenir de chaque délinquant potentiel ». Le cas des adolescents, en pleine période de changement, est particulièrement complexe à analyser.
Il est probable que pour éviter un meurtre de ce genre par an, certains seraient prêts à laisser en prison toute leur vie des dizaines de milliers de délinquants sexuels. Mais justement, l’exemple historique du village de Chambon sur Lignon pendant la dernière guerre nous montre qu’il y a un lien entre une attitude globale et des résultats très concrets. Si une attitude générale de non violence et de pacifisme a débouché sur le sauvetage de milliers de juifs, on peut imaginer qu’une attitude d’exclusion générale pourrait se traduire par une augmentation de la violence dans nos sociétés, c’est-à-dire le contraire du résultat recherché.
Après la tuerie d’Utoeya cet été les travaillistes norvégiens ont voulu préserver leur modèle de société et ne pas céder à la pression exercée par l’extrémiste Andréa Breivik. Nous devons aussi préserver l’héritage de ceux qui ont été des Justes au moment où les choix étaient ceux de la vie ou de la mort.
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