Si l’Etat était au conseil d’administration des banques, il pourrait leur imposer un comportement conforme à l’intérêt général, à condition de pouvoir définir celui-ci. Quelques exemples récents montrent que c’est loin d’être évident. Par exemple quand les banques se débarrassent de leur dette publique, c’est bien, ou c’est mal ?
Mon journal favori expliquait il y a quelques jours que les bilans trimestriels des banques françaises vont bientôt montrer qu’elles sont moins exposées aux risques liés à la dette des pays du sud de la zone euro qu’elles ne l’étaient au 30 juin. A titre d’exemple, il citait BNP Paribas, qui a vendu plus de 10 milliards de ce type d’avoir, dont plus de 8 milliards de dette publique italienne.
Avec ces ventes, les banques françaises diminuent le risque que les marchés leur reprochent, et se mettent en position de pouvoir se passer d’une recapitalisation difficile à réaliser, et dont l’obligation était liée au risque de pertes massives sur les pays comme la Grèce et l’Italie. Par cette action, elles ont donc contribué à éloigner le risque d’une récession dans notre pays, récession liée au « crédit crunch »,au fait que les banques ayant vu fortement réduire leurs fonds propres doivent à leur tour réduire les prêts qu’elles font aux ménages ou aux entreprises, prêts indispensables au fonctionnement de l’économie.
Une action qui semble donc aller dans le bon sens, mais qui a contribué à augmenter les taux d’intérêts italiens, et donc à rendre plus plausible la menace d’une défaillance italienne. C’est la hausse des taux notamment italiens qui oblige les pays de la zone euro à pratiquer une rigueur budgétaire accrue, rigueur qui contribue à alimenter le risque de récession. A son tour, le risque de récession, parce qu’il menace la valeur du PIB et donc le ratio dette/ PIB, conduit à l’inquiétude sur la capacité du PIB à honorer ses créances…
La décision de vente de BNP Paribas n’est pas le résultat d’une manœuvre spéculative pour augmenter ses profits. Au contraire, elle a eu probablement pour effet de baisser les résultats 2011 de la banque, puisqu’elle s’est très certainement faite à perte, en raison de la situation du marché. En mettant sur le marché une quantité de créances aussi importante, la BNP fait baisser leur prix à son propre détriment.
La perte enregistrée par la banque dans ces opérations n’est pas connue. Elle ne peut non plus être calculée avec les données fournies par le journal, puisqu’elle dépend des moments où les ventes ont été effectuées et de l’échéance des créances vendues. Cette perte peut être considérable, par exemple 10% des milliards de dettes vendus. Cette perte certaine a été jugée par les dirigeants de la banque préférable à un risque de perte incertain mais plus élevé d’autre part, et au risque que faisait peser sur le coût des emprunts de la banque le jugement porté par les prêteurs (et d’abord par les agences de notation) au regard de l’importance de la dette publique italienne dans le bilan de la banque.
Qu’auraient dit des représentants de l’Etat français éventuellement membres du conseil d’administration de cette banque ? Qu’il fallait vendre pour conforter la capacité de prêt de la banque ou au contraire ne pas le faire pour ne pas menacer un pays de la zone euro ? Et demain, ces mêmes administrateurs potentiels devraient ils se mettre du coté des marchés qui refusent de prêter à l’Italie à moins de 7%, ne pas prendre le risque d’acheter, quel que soit le prix, ou acheter à des taux comparables à ceux qui sont faits à l’Etat français pour marquer une solidarité européenne ?
On notera qu’il s’est trouvé des acheteurs face aux ordres de vente de la banque et des autres vendeurs, des acheteurs qui ont considéré qu’au prix offert, ils avaient des chances raisonnables de faire une bonne opération, considération qui est de la pure spéculation, dans le sens d’une anticipation de l’avenir couplée à une analyse froide des risques. Des acheteurs qui ont tout simplement fait leur métier.
Parmi ces acheteurs figurait probablement la Banque centrale européenne, à qui il est demandé d’acheter de la dette publique des pays de la zone, pour éviter la monter des taux que doivent payer ces pays sur leurs nouveaux emprunts. Si tout se passe normalement, c’est-à-dire si les pays de la zone euro honorent leur dette, la BCE fera des bénéfices importants, aussi important en fait que la perte enregistrée aujourd’hui par les vendeurs.
A travers les deux exemples d’intervenants sur les marchés que sont la BCE et la BNP, on comprend que ces marchés qui sont présentés d’une manière telle qu’on imagine quelques décideurs tapis dans l’ombre et décidés à faire la peau aux européens, ces marchés donc sont en fait composés d’une multitude de décideurs qui prennent les décisions d’achat ou de vente pour des raisons qui leurs sont à chacun particulière, et qui varient dans le temps, en fonction du contexte général.
Cela n’empêche pas de nombreux citoyens de se méfier des banques et du rôle qu’elles jouent dans la crise actuelle, à l’image de cette auditrice sur l’antenne de France Inter il y a quelques semaines, qui parlait de ces banques « qui ont spéculé avec l’argent du contribuable ».
Non, ce n’est pas avec l’argent du contribuable que les banques interviennent sur les marchés. C’est avec le leur et celui qui leur est prêté, le dépôt par un client étant considéré comme un prêt. Si elles perdent de l’argent dans ces interventions, c’est avant tout le leur et celui de leurs actionnaires : ce sont leurs bénéfices et éventuellement leurs fonds propres qui sont affectés par ces pertes. Quant à savoir si elles spéculent, tout dépend ce qu’on entend par ce terme. Elles font leur travail, c’est-à-dire qu’elles prêtent à un taux incluant une prime de risque, pour couvrir les pertes subies sur les quelques pour cent d’emprunteurs qui ne pourront pas tout rembourser, pour des causes diverses. Leur métier est d’évaluer correctement ce risque. Il se trouve que prêter aux Etats européens à jusqu’à présent été considéré comme une opération très peu risquée, ce qui fait que les Etats bénéficient de conditions de taux privilégiés.
Reprocher aux banques d’avoir spéculé parce qu’elles ont souscrits aux emprunts des pays européens est un non sens. Et ce ne sont certes pas les représentants de l'Etat qui les auraient empêché de le faire.
Les commentaires récents