La dette publique grecque est devenue trop importante pour qu’on puisse espérer qu’elle soit remboursée un jour, en tous les cas dans sa totalité. Les conditions pour que cette situation soit reconnue officiellement sous la forme d’une restructuration seront bientôt remplies.
Avant d’aller plus loin, il faut poser une petite définition concernant une expression qui sera ensuite souvent employée. Le terme de déficit (ou d’excédent ou de solde) primaire, désigne la situation d’un budget obtenue en n’intégrant pas le paiement des intérêts de la dette. On peut exprimer cela autrement : un pays en déficit primaire demande plus à l’ensemble de ces créanciers (anciens et nouveaux) qu’il ne leur donne (capital et intérêt), c’est le contraire si le solde primaire est un excédent.
En cherchant sur Google des informations sur le déficit primaire grec, on trouve un article du LCL datant de 2010, qui présente sur un tableau les soldes primaires et totaux de la Grèce depuis 1988.
Dans les années 88 à 93, le solde budgétaire de la Grèce est particulièrement mauvais, puisqu’il atteint ou dépasse les 10% du PIB. Cette situation s’accompagne les trois premières années d’un solde primaire nettement négatif, alors qu’il approche l’équilibre les trois suivantes. On notera ici que l’accumulation des déficits à accru la charge des intérêts, en 1993, ils représentent plus de 10% du PIB ! Au passage, il y a probablement eu une dévaluation, qui a renchéri la part de la dette libellée en devises étrangères.
L’État grec étant déjà fortement endetté, il ne peut trouver des prêteurs qu’en offrant des taux d’intérêts élevés (pour compenser le risque de non remboursement) et/ ou en empruntant dans une autre monnaie (pour éviter le risque lié à la dévaluation) . Dans les deux cas, cela lui coûte cher, ce qui se traduit dans cette augmentation du poids des intérêts.
La dévaluation que la Grèce a probablement faite en même temps que d’autres pays au sein du SME en 1992, les mesures probablement prises en parallèle, améliorent progressivement la situation. A partir de 1994 et jusqu’à l’entrée de la Grèce dans l’euro en 2002, le solde primaire est positif. La charge des intérêts, qui a atteint le montant énorme de 13% du PIB en 1994, va progressivement décroître pour passer sous les 5% en 2003.
Le solde budgétaire reste négatif et ne respecte le critère de 3% de Maastricht qu’en 1999, à la faveur d’une nouvelle dévaluation d’une part, de 13.8% en mars 1998, de la période de forte croissance que connaît l’Europe d’autre part.
Mais pour les créanciers, le solde primaire positif est rassurant. Il laisse penser que l’endettement diminue (ce qui est probablement le cas si on raisonne en % du PIB, celui-ci étant en croissance). Pour rassurer les investisseurs, la Grèce va jusqu’à réévaluer la valeur de son PIB, pour tenir compte de son secteur parallèle (lequel pourtant ne produit guère d’impôts !).
A partir de l’entrée dans l’euro en 2002, la Grèce va profiter de taux très peu élevés, guère plus que ceux de l’Allemagne, ce qui bien sûr devrait diminuer d’autant les intérêts à verser par la suite. En 2009, l’écart avec les taux allemands n’est encore que de un peu plus de 1%. Malheureusement, au lieu de profiter de l’opportunité pour se désendetter progressivement, la Grèce laisse filer les déficits publics : partis de 3.7% en 2000, ils sont à 5.6% en 2003, 7.5% en 2004. Ils reviennent à 5.2% en 2005, mais c’est pour mieux repartir à la hausse. Ils sont à 6.4% en 2007, à la veille de la crise financière mondiale qui les pousse à 9.8% en 2008 et 15.4% en 2009, avant de revenir à 1.4% en 2010, grâce aux mesures prises sous la pression de l’UE et du FMI.
La dette totale passe en dessous des 100% d’un PIB en croissance en 2003 et 2004, mais c’est pour re passer au-dessus de 100% en 2005 et déraper complètement en 2009/ 2010, sous l’effet conjugué d’un déficit abyssal et d’un recul du PIB.
Certes la crise financière a été particulièrement brutale, mais elle l’a été pour tout le monde. Or, entre 2007 et 2009, l’Allemagne (pourtant particulièrement touchée en raison de l’importance de l’industrie) voit son déficit se creuser de 2.7% du PIB, la France de 4.8% et la Grèce de 9%.
C’est que la Grèce a fabriqué sa croissance forte des années 2000 à crédit, et en particulier a laissé filer son inflation comme le notait Claire Gatinois dans le Monde : « Ainsi, de 1999 à 2009, selon Natixis, le coût salarial unitaire à Athènes a bondi de plus de 50 % quand celui de l'Allemagne progressait péniblement de 10 %. » (il faut cependant préciser que l’évolution des coûts a été également forte dans beaucoup de pays de la zone).
Au moment où la crise de sa dette éclate fin 2009, la Grèce se retrouve donc avec une compétitivité très dégradée, un déficit primaire très important et des créanciers qui n’acceptent plus de lui prêter, sauf à des taux astronomiques. La solution habituelle consiste à dévaluer (et dans ce cas fortement). Mais la Grèce a rejoint la zone euro, le retour au drachme est beaucoup plus difficile à organiser qu’une simple dévaluation. La dette étant libellée en euro, une forte dévaluation accroîtrait d’autant la valeur du stock à rembourser. Enfin, le besoin de financement primaire ne permet pas de restructurer la dette, cette opération aboutissant évidemment à faire fuir tout nouveau préteur.
Les autres pays de l’UE vont accepter de prêter à un taux largement en dessous du marché, mais ne veulent pas d’une restructuration qui frapperait leurs banques. Ils imposent une purge drastique, notamment à coup de baisse des salaires et des pensions des fonctionnaires. La BCE rachète également une partie de la dette sur le marché secondaire (donc à un prix « bradé »).
Mais la situation de la Grèce est en train d’évoluer progressivement. Pas parce que le montant de sa dette diminue, il a au contraire augmenté du fait de la récession. Simplement, le temps et les mesures prises sont en train de produire (ce n’est pas encore fini) trois effets :
Les coûts diminuent, les baisses de salaires ont produit le même effet qu’une dévaluation
Le déficit primaire diminue et pourrait bientôt basculer dans un solde positif
Les créanciers ont commencé à enregistrer leurs pertes, soit par des provisions, soit en les vendant sur le marché
Quand le solde primaire sera devenu positif, le gouvernement grec sera en bien meilleure position pour imposer une restructuration : s’il n’a plus besoin d’emprunter en permanence pour couvrir le déficit primaire, il peut si nécessaire cesser de payer ses créanciers.
En pratique, il s’agira non pas de faire un trait sur l’ensemble de la dette mais de la réduire d’un pourcentage suffisant, la question majeure étant de savoir ce que signifie « suffisant ». Si la Grèce se retrouve avec une dette divisée par deux, à 70 ou 80% de son PIB, sa situation deviendra meilleure que ce qu’elle connaissait depuis quinze ans et le remboursement des emprunts devient possible. Surtout, le paiement des intérêts cesse d’être à un niveau insupportable pour l’économie grec…et pour les citoyens !
Du coté des banques créancières, la restructuration pourrait curieusement être une bonne nouvelle. En effet, la dette grecque mine aujourd’hui la confiance dont les banques ont besoin. Une restructuration qui remettrait les pendules à l’heure (donc suffisamment forte pour que ne se développe pas la crainte qu’il y en ait une nouvelle dans 6 mois ou deux ans) permettrait peut-être aux banques de montrer que leur bilan n’est pas autant affecté que ce que craignent les marchés, qu’entre les provisions déjà passées et le niveau de ce que le pays continuera de payer, la perte peut être couverte avec les bénéfices obtenus en 3, 6, 12 ou 24 mois.
Si la perte est trop importante, les banques se retrouveront avec une double menace : une menace de confiance au regard d’autres risque souverains, le Portugal ou l’Irlande, voire l’Italie ou l’Espagne et une menace sur sa capacité à garder un même volume de prêt, dans un contexte de fonds propres diminués et d’exigence de ratio augmenté dans le cadre des règles de Bâle 3. On voit la menace sur la croissance européenne : si les banques françaises ou allemandes doivent diminuer leur volume de prêt, c’est tout le financement des entreprises et de la consommation qui est menacé. On comprend pourquoi le FMI recommande de recapitaliser les banques !
Une partie de plus en plus importante de la dette grecque est détenue par l’Union Européenne ; Il faut ici distinguer les prêts faits dans le cadre de l’aide à des taux limités, aide qui n’a pas normalement vocation à être restructurée, et la dette rachetée par la BCE sur les marchés, à des prix cassés. Là aussi, selon le taux de la restructuration, la BCE peut perdre beaucoup d’argent …ou en gagner ! On imagine qu’elle posera pour un taux qui ne lui fait pas perdre d’argent !
Pour quand cette restructuration ? Si elle permet de restaurer la confiance le plus tôt possible ! Mais quelques mois de plus à attendre, c’est autant de rapprochement de la situation de solde primaire équilibrée et de bénéfices accumulés par les banques (et/ ou de provisions augmentées).
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