René Girard n’est pas un homme ordinaire : il prétend tout simplement, avec sa théorie du mécanisme mimétique et du bouc émissaire, expliquer non seulement l’ensemble des religions mais aussi la domestication des animaux et la découverte de l’agriculture sans compter l’apparition des concepts symboliques. Tout cela à partir de l’étude de la littérature !
Dans « Les origines de la culture », paru en France en 2004, René Girard s’appuie sur les questions de deux interlocuteurs pour revenir sur les théories qu’il a développées dans d’autres ouvrages (notamment « La violence et le sacré » que j’ai déjà commenté). Les différents chapitres sont ainsi consacrés à son parcours, à la théorie du mécanisme mimétique, à ce qu’il appelle le « scandale du christianisme, au développement de la culture humaine, puis à différents points de sa méthode et de leurs critiques
L’ouvrage permet de comprendre comment René Girard a développé sa théorie : il a commencé par étudier les textes littéraires et découvert que de Shakespeare à Proust et de Sophocle à Dostoïevski, on retrouvait toujours les mêmes thèmes de violence, de la violence mimétique. Il a développé cette idée dans « Mensonge romantique et vérité romanesque ». Il a ensuite élargi sa réflexion à l’étude des mythes dans les religions archaïques puis au final dans la Bible et les Evangiles, ce qui l’a mené dans « La Violence et le sacré » à montrer que la rivalité mimétique débouche sur une violence réciproque qui ne peut être résolue que quand la foule se retourne contre un bouc émissaire. Pour éviter de renouveler cette crise, les groupes humains inventent un rituel qui la rappelle, débouchant ainsi sur le religieux.
René Girard observe que le monde des anthropologues a refusé sa théorie notamment car il trouve à travers la Bible et les Evangiles une religion qui a dénoncé cette violence réciproque en montrant que la victime est innocente, affirmation inacceptable pour une discipline dont les chercheurs se veulent anti religieux. Je reviendrais probablement une autre fois sur le discours passionnant de Girard sur la Bible et les évangiles, mais j’avoue ne pas comprendre la position anthropologique, du moins tel que présentée par René Girard : après tout, penser que la Bible a fait la lumière sur ce point ou que les religions ne sont pas de simples constructions fallacieuses sans intérêt n’oblige pas à croire en Dieu ! D’ailleurs, certains théologiens chrétiens semblent ne pas apprécier cette lecture des Evangiles purement scientifique.
L’auteur note aussi que si les chercheurs du 19ème siècle méprisaient les « peuples sauvages » et les cultures qu’ils étudiaient, ceux d’aujourd’hui refusent d’admettre la réalité du cannibalisme et des sacrifices humains, dans une idéologie qui ferait du monde occidental le seul porteur de la violence. J’avais noté une tentation semblable dans l’expression « racisme à l’envers ». Comme quoi, même pour des praticiens d’une discipline basée sur l’observation et l’écoute, il est difficile de ne pas être prisonnier de ses « a priori » !
Pour René Girard, la domestication des animaux est la conséquence de la recherche d’une alternative au sacrifice humain. Pour que le rituel de sacrifice soit efficace, pour que la victime emporte avec elle la violence de la communauté (plus tard d’autres parleront du péché collectif), il faut qu’elle lui appartienne. Certaines peuplades utilisent des prisonniers d’autres tribus, mais les font vivre quelques temps avec eux (y compris en prenant femme au sein de la tribu) avant de les sacrifier (et de les manger). René Girard extrapole cette observation factuelle pour son hypothèse d’une domestication réalisée sans imaginer d’autres avantages que la possibilité du sacrifice rituel. Il rapporte des essais faits par une tribu japonaise avec des ours polaires (qui ne se révèlent pas domesticables) toujours selon lui pour que l’insertion dans la tribu rende le sacrifice ultérieur efficace.
Il donne une explication du même ordre pour l’agriculture : les efforts faits pour cultiver lui apparaissent beaucoup trop important au regard d’un gain très aléatoire au départ. « Qu’est ce qui a pu donner aux hommes l’idée de mettre des graines dans le sol ? Ils les ont enterrées en espérant qu’elles ressusciteraient, comme la communauté par l’effet du sacrifice : et ils n’avaient pas tort ».
Il faut reconnaître que sa théorie est assez osée, et que nous n’avons pas les moyens de la vérifier. Vraie ou pas, elle montre que René Girard considére que les rituels visant à renouveler la crise ont une très grande importance dans la vie de la tribu.
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