Les commentateurs l’ont dit de manière péremptoire : le programme économique de la présidente du Front National est nul. Certains ont rajouté que les principales victimes en seraient les classes les plus populaires, celles justement où Marine Le Pen fait les meilleurs scores. Le sujet ne mérite t-il pas d’être creusé un peu plus ?
A l’origine, le programme économique du Front National était orienté vers les travailleurs indépendants, peut être un souvenir du temps où Jean Marie Le Pen était le plus jeune élu du mouvement poujadiste. De toutes manières, ce n’était pas la préoccupation majeure du Front National que de mettre à jour cette partie de son programme.
Le Pen avait réagi au projet de Maastricht en bon nationaliste, refusant de renoncer au pouvoir de battre monnaie au profit d’une instance supra nationale abhorrée. Et depuis, il proposait régulièrement de sortir de l’euro. Mais tout cela évidemment ne fait pas un programme économique.
La nouvelle présidente est semble t-il allée plus loin, bien que les médias n’aient pas gardé d’autres idées que celle de la sortie de l’euro et de la dévaluation de 20 à 25 % . Il faut sans doute rajouter à tout cela une bonne dose de protectionnisme et évidemment une diminution voire une suppression des dépenses destinées aux étrangers, solution miracle mise en avant par le Front National depuis trente ans.
On voit bien les arguments qui peuvent être développés autour de ces idées, imaginées par un conseiller qui n’aurait pas digéré tous ses cours de 1ère ES et à destination de classes populaires qui ont compris que leurs emplois partaient en Chine ou en Europe de l’Est parce que ces pays trichent, et qui craignent de subir demain le sort de la Grèce, du Portugal ou de l’Irlande.
Après tout, dévaluer pour relancer les exportations et redresser la balance commerciale ou la balance des paiements, on l’a fait pendant toute la 4ème République et la première partie de la 5ème, et on n’a pas dit pour autant que Coty, Auriol, De Gaule, Pompidou, Giscard ou Mitterrand avaient un programme économique nul ! Il est vrai que la dévaluation était rarement au programme : elle était subie tout simplement ! Et que la dette du pays était relativement faible car régumièrement mangée par l'inflation.
D’aucuns pensent d’ailleurs que l’euro va exploser tout seul, que le différentiel d’inflation entre les différents pays de la zone est trop important pour être supportable, d’autant plus que l’Allemagne, qui a vu ses coûts augmenter nettement moins vite que les autres depuis 10 ans, ne veut pas entendre parler d’inflation, ce qui ne laisse aux autres que la baisse des salaires pour se remettre à son niveau et regagner les 15, 25, 35% perdus depuis 10 ans !
Cependant, si la Grèce ou le Portugal refusent pour eux la solution proposée par Marine le Pen pour la France, et préfèrent supporter des plans de rigueur particulièrement douloureux, c’est qu’elle doit bien avoir quelques inconvénients ! Dans leur cas, ils sont coincés entre une dette étrangère très importante qui serait mécaniquement augmentée par une dévaluation et des taux d’intérêt très importants (reflétant le fait que nul ne veut leur prêter) qui accroissent leur déficit, la seule échappatoire étant le défaut de paiement, qui s’apparente à l’arme atomique.
Imaginons donc un instant que le prochain gouvernement choisisse la solution préconisée par Marine Le Pen. Que se passerait il ?
Si l’on reprend ce qui se passait dans les débuts de la cinquième République, on avait ce que les économistes appelaient la courbe en « J ». Dans un premier temps, le prix des importations augmentait, aggravant le déficit commercial qui avait en partie provoqué la dévaluation. Dans un deuxième temps, les exportations, bénéficiant d’une meilleur compétitivité prix se mettaient à augmenter en volume. Les importations diminuaient en faveur des productions nationales. Et le déficit commercial se réduisait.
On voit bien que c’est un processus d’une telle nature que recherchent ceux qui proposent la dévaluation comme solution miracle. Dans leur esprit, il s’agit aussi de donner un coup d’arrêt aux délocalisations dans les pays d’Europe de l’Est ou en Asie, voire de rapatrier les productions parties là bas.
Ce raisonnement apparemment attrayant pêche comme d’habitude par tout ce qu’il omet de prendre en compte.
D’abord, l’écart des salaires qui pousse les industriels à produire dans les pays à faibles coûts la grande distribution à s’y approvisionner et les consommateurs à privilégier les produits correspondants dans leur achat, cet écart est largement supérieur aux 20 ou 25% évoqués.
Ensuite, la division internationale du travail a fait son œuvre depuis déjà un bon moment. Dans de nombreux domaines, il n’existe plus de champion français produisant localement qui pourrait profiter d’un différentiel de prix plus favorable. La situation est comparable pour les produits pétroliers importés pour des sommes très importantes de l’extérieur. Dans ces conditions, le rétablissement de la balance commerciale risque d’être fort long !
Ce que les économistes de café du commerce et les partisans d’un protectionnisme systématique ne voient pas, c’est l’effet général de la mondialisation : dès qu’il y a des économies d’échelle importantes, un producteur qui s’adresse à 7 milliards de consommateurs est beaucoup moins cher que celui qui s’adresse à 60 millions. Par ailleurs, la mondialisation (et dans un premier temps la concurrence au sein de l’Union Européenne) met les anciens champions nationaux (souvent en position d’oligopoles voire de monopoles de fait) dans l’obligation de faire progresser leur organisation pour proposer des produits moins chers et de meilleurs qualités et/ ou plus innovants.
Se replier dans une logique protectionniste, c’est en fait renoncer au progrès économique. A cet égard, il suffit de voir la différence de résultats entre les pays émergents qui ont choisi de s’intégrer dans le commerce mondial et ceux qui ont joué la carte de la production nationale, ou de voir comment la croissance de la Chine puis de l’Inde ont été boostée quand ces pays sont passé du second au premier modèle.
Il ne faut pas non plus oublier les politiques de rigueur qui accompagnaient inévitablement les dévaluations. Le risque en effet d’une dévaluation est de se traduire par de l’inflation. Comme les restaurateurs qui n’ont guère baissé leurs prix avec la baisse de la TVA, les entreprises internes favorisées par l’affaiblissement de la concurrence étrangère en cas de dévaluation ont tendance à augmenter leur prix. Les entreprises importatrices faisant de même, l’inflation augmente, entraînant une hausse des salaires, le tout finissant au bout de quelques temps par annuler les effets positifs de la dévaluation et il n’y a plus qu’à recommencer…
La politique de rigueur nécessaire va évidemment pénaliser les salariés et en particulier ceux dont la rémunération est la plus faible, ou ceux qui se chauffent au fuel et font de nombreux kilomètres pour se rendre à leur travail.
Autre conséquence d’une politique de dévaluation et donc d’inflation plus importante, les taux d’intérêt nominaux augmentent, d’une part pour tenir compte de l’inflation, d’autre part parce que la dévaluation a créé de la méfiance chez les préteurs, qui demandent donc une prime de risque (le différentiel de taux d’intérêt entre la France te l’Allemagne a été long à se résorber, même après la création de l’Euro).
Les taux d’intérêt élevés sont défavorables aux créanciers, au premier rang l’Etat et les collectivités locales (qui plus est débiteurs en partie en monnaie étrangère) et à tous eux qui veulent investir.
Il y aurait cependant des gagnants (ou des partiellement gagnants). Outre les entreprises fortement exportatrices, il y a les propriétaires de leurs logement. Ceux qui ont un crédit en cours pourraient voir leur revenus augmenter normalement du fait de l’inflation alors que leur crédit ne bougerait pas, du moins s’il est à taux fixe. Les nouveaux accédants subiraient au contraire l’envolée des prix et celui des taux d’intérêts.
Comme on le voit, les ouvriers qui voteraient pour le Front National choisiraient de fait d’échanger des pertes économiques sures (inflation et hausse des taux) contre les gains recherchés (fin des délocalisations voire re localisations) en réalité très aléatoires.
Mais tout ce qui précède ignore une évidence : la sortie de la France de l’Euro ne serait pas sans conséquence sur les autres pays. Qu’ils le veuillent ou non, les pays du Sud, la Grèce, l’Espagne et le Portugal bien sur, mais sans doute aussi l’Italie, seraient condamnés au même choix que la France, avec probablement une dévaluation d’un montant plus élevé que la dévaluation française. Il s’ensuivrait inévitablement une hausse des taux d’intérêt et une forte récession sur toute la zone, et le bénéfice supposé de la dévaluation française serait diminué par les réactions de ses voisins les plus proches. En fait le seul bénéfice théorique se ferait au détriment de l’Allemagne, dont il n’apparaît pas vraiment que ce soit le pays vers laquelle notre pays délocalise…
PS : je m’aperçois que par erreur j’ai publié à 15 jours d’intervalle le même article (en fait un peu mis à jour) sur le pouvoir d’achat ; je m’en excuse auprès de mes lecteurs. J’ai en fait plusieurs articles écrits pendant mes vacances à faire paraître ce qui explique ma confusion.
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