La France est un des pays développés qui a le mieux résisté à la crise de 2008. Cela a atténué les critiques de son modèle économique, très fortes outre-Atlantique. Ce qui paraissaient hier des points faibles peut il être considéré aujourd’hui comme des points forts ? Le regard d’un économiste français travaillant aux USA permet d’y réfléchir.
Eloi Laurent, enseignant à l’IEP Paris mais aussi à Stanford, est économiste à l’OFCE et a co écrit récemment un livre avec Jean Paul Fitoussi. Autant dire qu’il fait plus partie des adeptes des politiques de relance budgétaire que des libéraux à tout crin. Ce qui n’empêche manifestement pas les américains de lui demander d’enseigner.
Le dernier numéro des dossiers de la revue Sciences Humaines lui donne la parole sous le titre « le retour en grâce du modèle français.
L’auteur relève quatre forces de notre pays, ce qu’il appelle le carré magique du modèle français : une démographie dynamique, un système de santé classé au premier rang mondial par l’OMS, un faible niveau d’inégalités, une émission de gaz à effet de serre par unité de PIB la plus faible du monde développé.
Après avoir attaqué le discours politique en ciblant le débat sur l’identité nationale, il reproche au gouvernement actuel d’accroître les inégalités et d’abandonner progressivement les suites du Grenelle de l’environnement, alors que le développement durable lui paraît ouvrir de grandes perspectives d’avenir, notamment en matière d’emploi.
Reprenons tout cela.
Il est un fait que la France est un des rares pays d’Europe a avoir encore une fécondité de l’ordre de 2 enfants par femme. Il est probable que c’est en partie le fruit des politiques natalistes menées depuis la libération. Cela tient aussi sans doute à des facteurs culturels difficiles à identifier (une de mes collègues me parlait ce midi de la pression pour être une femme « naturelle dans d’autres pays).
Il semble aussi évident que ceux de nos voisins qui ont de manière durable une fécondité inférieure à 1,5 enfants par femme (l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne notamment) se préparent un avenir qui sera difficile à gérer. Une forte immigration permet certes de compenser en partie les difficultés économiques mais en crée d’autres parfois aussi difficiles.
Je ne retiendrais pas pour autant l’argument avancé par l’auteur, que cette fécondité est très favorable à la gestion du système de retraite par répartition. D’abord parce la fécondité est certes une des meilleures d’Europe, mais elle assure à peine le renouvellement des générations. Ensuite parce qu’un système par capitalisation souffrirait tout autant qu’un système par répartition d’une faible fécondité. Ce n’est pas un hasard si on parle de retraite à 67 ans en Espagne et en Allemagne : quelque soit le système, ce sont toujours les actifs qui financent les retraités !
Retenons cependant que la fécondité de la France est plutôt un atout pour notre pays.
Sur le système de santé, on ne peut que se réjouir de voir la première place attribué à la France. Mais dans ce domaine, c’est toute l’Europe, terre de la social démocratie, qui est bien placée, comme le montrent les espérances de vie des différents pays.
L’auteur critique le système américain, effectivement à la fois très coûteux et fortement inégalitaire (attendons maintenant le résultat de la réforme d’Obama). On notera cependant qu’une des principales raisons du coût du système américain tient aux salaires des professionnels de santé et que l’espérance de vie américaine, plus faible d’environ deux ans à celle qui existe en Europe, progresse curieusement plus vite que la notre.
Eloi Laurent pointe les risques à long terme d’épidémie de diabète aux USA, sans doute en raison de la montée de l’obésité. Notons que notre pays risque de manquer de médecins dans les années 2010 / 2020, après en avoir eu trop dans les années 80.
L’auteur cite ensuite les inégalités parce que c’est dans notre pays que la concentration des revenus (mesurées par l’indice de Gini) a le plus diminué depuis 30 ans. Je n’ai pas les chiffres sous la main, mais j’avais souvenir que la France est le seul pays de l’OCDE où le rapport inter décile n’a pas augmenté depuis 30 ans. Pour autant, ce rapport reste plus faible dans certains pays scandinaves. Il est probable que le rapport inter centile a augmenté avec les revenus de cette petite minorité qui fait la une des journaux : grands patrons, traders, stars du sport et des spectacles.
Malheureusement pour nos concitoyens, ces inégalités globalement limitées cachent un système très pernicieux pour la cohésion sociale : la relation à l’emploi est très différente selon que l’on est fonctionnaire, CDI dans une grande entreprise ou saisonnier dans une PME. J’ai présenté ici le livre d’Eric Maurin qui en présente les conséquences néfastes, « la peur du déclassement ». Le caractère à la fois corporatiste et étatiste de la protection sociale a abouti à cette société de défiance dépeinte par Algan et Cahuc. Tout cela bride l’évolution sereine de notre société.
Je rejoins complètement le dernier point souligné par E Laurent : la production de CO2 par unité de PIB est plus faible en France qu’ailleurs, grâce à la place du nucléaire. De mémoire, je crois qu’il y a un rapport de 1 à 2 avec l’Allemagne dans ce domaine..
Les propos de l’auteur sur le gouvernement sont moins intéressants, tant ils se ciblent sur des éléments conjoncturels, quand ce qui précède était au contraire marqué par une vue plus structurelle.
Pour conclure, l’évaluation des caractéristiques françaises ne donne pas le même résultat si on les compare à ce qui existe outre atlantique ou à ce qui existe en Europe.
Cette évaluation ne doit pas nous amener à pousser un cocorico ou à verser des larmes de crocodile, mais à pointer nos lignes de forces et de faiblesses et les points sur lesquels il faut progresser.
A cette aune, notre fécondité est effectivement une chance. Notre système de santé doit évoluer, tout simplement parce que la science bouge et que la structure démographique change Notre système social doit évoluer pour recréer la confiance. La maîtrise de nos dépenses d’énergie ne pourra faire l’économie du nucléaire.
Le livre : La Nouvelle Écologie politique de Éloi Laurent et Jean Paul Fitoussi Seuil 2008
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