Les articles consacrés à l’émission « le jeu de la mort » sont assez critiques sur les dérives de l’émission. Pourtant cela vaut le coup de creuser les mécanismes en jeu dans les situations mises en place.
J’avoue ne pas avoir trouvé très convaincant la critique de Philippe Delacotte dans le Monde, signalée par XS dans un commentaire sur l’article précédent : il reproche un biais de sélection, mais son reproche est bâti sur des a priori et ne tient pas compte de la méthode de sélection employée, sur laquelle l’auteur semble ne s’être guère renseigné.
L’article de mon ami Pikipoki a aussi un biais affiché puisqu’il n’a vu qu’une petite partie de l’émission. Mais je partage son point de vue : il est vraiment dommage que l’émission ait débouché sur le rôle de la télévision. Une fois de plus, cela permet d’éviter de s’interroger sur soi même, sur ce qu’est l’homme, pour accuser un bouc émissaire d’autant meilleur bouc émissaire qu’il a toujours été regardé de haut par une partie des « intellectuels »
Un des
commentateurs du Monde va jusqu’à écrire : « L'absence de tout
individu de CSP + (catégorie socioprofessionnelle plus élevée) m'avait
d'ailleurs gêné. En ne montrant que des beaufs, on ne pouvait pas avoir des
résultats autres que bofs !! ». Heureusement, un autre souligne l’un des
résultats mis en avant par Milgram : les réactions ne dépendent pas du
niveau d’éducation.
Denis Colombi souligne lui aussi
qu’en centrant son propos sur le rôle de la télévision, le documentaire a raté
une grande partie de ce qu’il aurait pu faire.
Un article de "20 minutes" cite
plusieurs articles de blog : ceux
qui veulent en savoir plus pourront s’y reporter.
Le magazine
« Philosophie » consacre une partie importante de son numéro à
l’émission, mais en la centrant malheureusement aussi sur le pouvoir de la
télé. Un intervenant se montre cependant dubitatif sur le pouvoir de la télé en
soulignant qu’il n’y a plus de chaîne dominante et que les téléspectateurs
choisissent de plus en plus dans une offre surabondante.
Son rédacteur en chef a cependant
eu le mérite de montrer comment l’animateur du débat avait abusé du pouvoir
qu’il était en train de dénoncer :
« le débat commence sur l’interview d’un candidat «obéissant» qui est allé jusqu’à infliger 460 volts à son partenaire. Sur ce constat Christophe Hondelatte souhaite donner une information – importante? – le concernant, mais l’interviewé ne souhaite pas la délivrer publiquement. Le présentateur finit tout de même par étaler l’homosexualité du participant. »
Cela a entraîné une prise de bec qui sera coupée lors de la diffusion, mais ce n’est vraiment pas à la gloire de France 2. ..
J’ai déjà dit que l’explication
du processus par la seule obéissance ne me paraissait pas rendre compte de la
diversité des réactions. Un des articles de "Philosophie" (je l’ai feuilleté sans
l’acheter) signale le phénomène de l’amorçage : le premier
« oui » (ici à la proposition
de participation) entraîne tous les autres ; Une fois que l’on s’est
engagé, il est difficile de revenir en arrière. Il me semble qu’on va là plus loin que le simple discours très
moralisant sur l’obéissance. Ceux que cela intéresse pourront lire le toujours
d’actualité livre de Robert Vincent Joule, « petit traité de manipulation
à l’usage des honnêtes gens » qui montre comment fonctionne ce mécanisme.
Un de mes collègues m’a donné une
autre interprétation : dans l’expérience de Milgram comme dans celle de
France 2, les personnes testées se retrouvaient dans un monde impressionnant,
dont ils ignorent les règles et les codes. On voit en effet plusieurs candidats
demander s’ils ont le droit d’arrêter : ils sont ainsi à la fois dans le
respect de leur engagement et dans l’exploration de ce monde inconnu et de ses
règles. On notera qu’un des critères de sélection était effectivement de ne
jamais avoir participé à un jeu télévisé.
Plus généralement, ne faut il pas se dire que la nécessité de survie a depuis des millénaires favorisé les individus qui acceptaient les règles du groupe ?
Maslow, dans sa célèbre pyramide des besoins, met les besoins sociaux, en particulier le besoin d’appartenance dans les besoins les plus importants, juste après le besoin de survie et celui de sécurité. Maslow met ensuite dans les besoins celui de reconnaissance par les autres et celui d’estime de soi. Le besoin de se réaliser et de respecter une morale passe après.
Pour résister à la pression d’une
environnement social qui la pousse à obéir, la personne testée doit avoir à la
fois suffisamment confiance en elle-même et des principes moraux solides. Parmi
ceux qui ont été jusqu’au bout, certains donnaient l’impression d’avoir une
faible confiance en eux.
Encore une fois, je trouve qu’il est dommage de limiter l’interprétation de cette expérience à la puissance de la télé.
PS du 21 mars : je ne peux qu'inciter le lecteur à lire le texte proposé en commentaire par Jean Michel
On y trouvera notamment une explication de l'effet de groupe dans l'action (la fraternité des armes)
Mais je retiendrai en particulier l'exemple rapporté d'un lieutenant ayant eu un comportement exemplaire à Sarajevo et qui donnait comme explication de celui ci "je n'ai pas réfléchi" parce que son éducation et sa formation lui avaient donné le référentiel suffisant pour qu'instinctivement il fasse le bon choix et ne succombe pas à la tentation de la violence illégitime
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