Alors que les physiciens, à la suite d’Albert Einstein, cherchent à unifier dans une même théorie les quatre forces d’interaction de la matière, les chercheurs en sciences humaines en sont encore à avancer dans leur domaine particulier, en ignorant celui du voisin, quand ils ne le couvrent pas de mépris.
Une réunion récente sur la question des risques psycho sociaux a ainsi été l’occasion d’illustrer les différences majeures entre psycho sociologues et comportementalistes.
Les premiers s’intéressent à l’impact des organisations sur les individus. On pourrait leur reprocher de nier la liberté de ceux-ci face aux individus. Ils peuvent répondre qu’indépendamment des variations individuelles, leur champ leur permet d’analyser comment on peut améliorer les situations individuelles en agissant sur le collectif.
Les seconds s’intéressent aux comportements individuels, aux réactions des individus face à diverses situations. On pourrait leur reprocher de croire que l’individu est totalement libre et qu’il est seul responsable de sa situation personnelle, indépendamment des systèmes dans lequel il est plongé. Ils pourraient objecter qu’ils lui apportent une aide concrète.
Dans le Monde du 2 janvier, le sociologue Michel Wievorka notait :
« Il y a, schématiquement, trois conceptions de notre place dans la vie de la Cité. Les uns se posent en experts. Ils sont au service d'un chef d'entreprise, d'un acteur politique, d'un syndicat, d'une ONG...
D'autres s'y refusent et se veulent exclusivement critiques, hypercritiques - une position radicale éloignée de toute attitude constructive, et dont les médias sont friands : ils aiment le soupçon, la dénonciation. Ces deux positionnements regroupent la majorité des points de vue. Mais une troisième conception, moins répandue et dans laquelle je me reconnais, plaide pour le fait que le chercheur produit des connaissances qui ont toujours une dimension critique, mais dont il admet qu'elles puissent être utiles. »
Schématiquement, les comportementalistes, particulièrement présents aux USA, sont souvent des pragmatiques adeptes de la première posture et les psycho sociologues plus européens tentés par la seconde. Bien entendu, tous les cas de figure existent.
Lors de la réunion dont je parlais plus haut, l’intervenant, un psychosociologue, balaya d’un geste les apports possibles des comportementalistes. Il illustra aussi sa posture en expliquant « quand j’ai une personne qui pleure en face de moi, je ne sais pas quoi faire, et je reviens au plus vite à mon sujet, le contenu du travail ».
Une personne plus proche des comportementalistes, remarqua en aparté : « moi je propose un mouchoir et un verre d’eau ».
Et en effet, entre le savoir faire du psychologue spécialisé dans l’écoute et l’attitude froide de l’expert d’un autre domaine, il y a une réaction simplement humaine, qui consiste à attendre que cela se passe en faisant preuve d’empathie, avant de revenir au sujet !
Cette histoire banale reflète cependant les excès auxquels peuvent mener l’enfermement dans des théories rigides. Je comprends que des chercheurs aient besoin d’être rigoureux dans leur réflexion, et de se tenir à une école pour tracer correctement leur sillon (et peut être au passage leur carrière). Mais je préfère comme consultant pouvoir utiliser un joyeux mélange de diverses disciplines en fonction des situations et faire ce qui marche dans un contexte donné.
Justement, j’ai fait il y a quelque mois un diagnostic pour une institution dont les principaux salariés vivaient des situations de tensions suffisamment difficiles pour qu’une grande partie ne pensent qu’à une chose : changer d’affectation ! Ma démarche de diagnostic partagé était une démarche nourrie de la sociologie et de l’ergonomie, comme j’en ai fait beaucoup, et l’intervenant dont je parle plus haut ne l’aurait sans doute pas reniée.
A la suite de ce diagnostic, j’ai fait plusieurs préconisations : certaines portaient sur l’organisation du travail, d’autres sur les règles à appliquer, d’autres enfin sur le recrutement et la formation des salariés concernés.
J’ai en effet très vite observé une limite aux solutions organisationnelles dans ce cas précis : il fallait aussi garder ce qui faisait le projet, qui se trouvait être parfaitement légitime. Il était possible de modifier des éléments du travail qui créaient des tensions mais n’apportaient rien au projet, mais on ne pouvait tout changer.
On peut faire une analogie : en montant sur un toit, un couvreur prend des risques de chute. Une solution radicale pour prévenir le risque consiste à ne pas monter sur le toit. Mais alors, on supprime la raison d’être du couvreur : la bonne solution consiste donc à prendre un certain nombre de précautions (par exemple installer un échafaudage).
Dans mon cas, l’équivalent de l’échafaudage consistait en un renforcement des capacités des personnes à gérer les tensions. Il ne s’agissait pas de faire de la théorie, mais d’aider les acteurs à analyser leurs réactions et leurs comportements, à comprendre pourquoi ces réactions attisaient les tensions, et comment réagir à l’inverse pour apaiser les tensions tout en se faisant respecter. Bref, du pur comportementalisme ! Mais une solution qui est en train de s’appliquer et se révèle efficace. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, d’agir sur les autres leviers !
J’aurais envie de conclure : vive le pragmatisme ! Ce qui n’exclue pas de continuer à réfléchir et à s’appuyer pour cela sur des efforts de conceptualisation et de théorisation !
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