L’insistance depuis près de 20 ans sur la nécessité de repousser l’âge du départ en retraite et les nombreuses mesures prises à cet effet pourraient laisser penser que les Français prennent leur retraite de plus en plus tard. Pourtant, il n’en est rien, ou plus exactement, il n’y a pas longtemps qu’on constate un début de changement, lequel est sans doute en train de s’accélérer.
Un mot d’abord pour justifier le titre. Les actions sur l’âge de la retraite visent à rééquilibrer les caisses en augmentant les recettes (parce qu’on cotise plus longtemps) et en diminuant des dépenses (parce qu’on commence plus tard à toucher une pension). Si les seniors sont au chômage pendant quelques années avant d’être officiellement en retraite, le report n’a pas d’impact.
En raison du nombre importants de seniors concernés par les mécanismes du type pré retraite ou autres, ceux qui réfléchissent au sujet se sont intéressés non plus à l’âge de prise officielle de la retraite, mais à l’âge d’arrêt du travail, sous le nom d’âge de fin de carrière.
La première mesure importante pour soulager les caisses de retraite en jouant sur l’âge de départ fut prise par Balladur en 1993. Il porta dans le privé le nombre d’années de cotisations de 37.5 à 40 années, le changement se faisant en 10 ans, à raison de un trimestre par an. On notera au passage qu’il a également revu le montant des pensions en les indexant sur les prix et non sur les salaires, et en les calculant sur les 25 meilleures années et non les 10 meilleures. L’ensemble de ses mesures explique qu’on ne revoit plus depuis les taux de cotisations à la hausse, comme c’était régulièrement le cas dans les 20 (au moins) années précédentes.
La même mesure de passage de 37.5 à 40 années de cotisations (applicable en 5 ans) a été prise par François Fillon en 2003 pour les salariés du public en 2003, suscitant les grèves que l’on sait. Et pourtant, le rapport de la DARES et du CAS sur l’emploi, paru début 2007, montrait (voir graphique n°2 page 26) que l’âge moyen de fin de carrière était en 2005 au même niveau qu’en 1993, après des fluctuations faibles et surtout liées à la conjoncture .
Il faut dire que, dans le même temps, d’autres mesures étaient prises pour au contraire permettre à certains salariés d’anticiper leur départ avant l’âge fatidique des 60 ans.
La plus connue a été prise dans le cadre de la loi Fillon, pour obtenir l’accord de la CFDT. Elle est connue sous le nom de « carrières longues » et s’adresse à ceux qui on commencé à travailler à 14, 15, 16 ou 17 ans, et qui ont de ce fait cotisé pendant 42 ans sans avoir atteint l’âge de 60 ans. Tous les ans depuis 2003, environ 100 000 personnes arrêtent de travailler dans ce cadre.
On le sait sans doute moins, le gouvernement Jospin a pris une mesure du même type en faveur des agents de la police, la gendarmerie et l’administration pénitentiaire, en comptant une année de bonus pour chaque période de 5 ans travaillée. (les mauvaises langues, dont je suis, en déduiront que ce gouvernement s’intéressait plus aux fonctionnaires qu’aux salariés du privé).
Mais avant même 2003 et les carrières longues, beaucoup de salariés sont partis avant 60 ans, dans le cadre de divers dispositifs du type pré retraites (ou de régimes spéciaux) ou tout simplement en pointant à l’ANPE comme chômeurs. C’est ainsi que plus de 400 000 personnes se retrouvaient en moyenne en « dispense de recherche d’emploi » après 57.5 ans, ce qui permettait au passage de ne plus les compter dans les chômeurs.
Au final, l’âge de fin de carrière se situe depuis plus de 15 ans autour de 58.5 ans, soit 1.5 ans avant les 60 ans officiels. Pour des populations des 50/ 54 ans et des 55/ 59 ans semblables, on compte plus de un million d’inactifs supplémentaires dans la seconde que dans la première.
On comprendra cependant que le décalage de 2.5 ans du nombre d’années de cotisations qui est la norme maintenant pour les salariés du public comme du privé finisse par avoir un effet visible, malgré l’existence de nombreux mécanismes de contournement. On observe ainsi un changement depuis 2007, avec une augmentation de l’âge de départ.
Enfin, quand on dit qu’on observe, il s’agit de bien regarder ! En effet, l’indicateur partagé au niveau d’Eurostat, celui du taux d’activité des 55/64 ans, ne montre rien du tout, puisqu’il ne bouge quasiment pas. Il se trouve en effet que le taux d’activité des 55/59 ans et celui des 60/ 64 ans sont très différents, de l’ordre de 60% pour le premier et inférieur à 20% pour le second. Or les effets du baby boom font que le poids respectifs de chacune de ces deux sous populations varie fortement actuellement. Les statisticiens, qui ne reculent devant aucun problème technique ont donc inventé le contexte de taux d’activité sous-jacent pour corriger ces effets.
Ce taux a augmenté légèrement entre 2002 et 2007 et plus clairement depuis 2007 : l’augmentation de ces deux dernières années, 2007 et 2008, correspond à un décalage d’environ 1 mois chaque année.
L’année 2009 conduira sans doute à un décalage plus important ; malgré la crise, le taux d’activité des seniors est en augmentation, essentiellement en raison de deux mesures.
La première de ces mesures a consisté à augmenter le nombre de trimestres exigés pour le départ dans le cadre des carrières longues. Le décalage sera au final de 4 trimestres soit un an, l’ensemble se faisant sur plusieurs années, mais la plus grande partie advenant en 2009. Les entrées en retraite annuelles dans ce cadre, qui se comptaient entre 100 000 et 120 000 de 2006 à 2008, seront limitées à 40 000 en 2009. Ce report d’un an, qui concerne près de 20% des salariés se traduira sur la moyenne globale par un décalage de l’âge de fin de carrière d’au moins deux mois, obtenu pour l’essentiel sur l’année 2009.
L’autre mesure est la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi. Le nombre de dispenses octroyées a été de 160 000 environ en 2006 et 2007, de 110 000 en 2008 et de 80 000 en 2009. il diminuera encore fortement cette année. L’impact sur l’âge de fin de carrière n’est pas ici automatique, mais il est réel.
Il est difficile de prévoir l’impact des plans seniors lancés par les branches ou les entreprises sous peine de payer une sur cotisation. On l’imagine à priori faible, mais il contribue à un mouvement qui, cette fois ci, paraît lancé : l’âge moyen de fin de carrière pourrait enfin atteindre 60 ans d’ici quelques années !
On trouvera de nombreuses autres informations dans le tableau de bord trimestriel sur le sujet.
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