Une nouvelle réforme des retraites est prévue au calendrier gouvernemental en 2010. Les Français sont inquiets de l’avenir du système mais n’apprécient guère les potions qu’on utilise pour le sauver. Ils s’attendent à ce que l’âge légal de départ en retraite soit repoussé mais préféreraient partir plus tôt !
Profitons du fait que le chantier ne démarrera pas avant les régionales (et peut être même le congrès de la CFDT au printemps) pour rappeler les données d’un problème qui commence à être bien connu.
Je me propose donc d’aborder trois thèmes dans trois articles différents.
Le premier concernera l’augmentation des plus de 60 ans, le second les réformes déjà faites et leur conséquences sur l’évolution de l’âge de fin de carrière, le dernier les questions de justice sociales qu’on résumera sous la question générale « faut il différencier l’âge de départ selon des populations et lesquelles ?"
Commençons donc par le premier thème, l’augmentation de la proportion de personnes âgées dans la population française.
En effet, ce n’est pas le nombre absolu qui compte mais bien la proportion de personnes âgées au regard du nombre de ceux qui peuvent financer les retraites, ce qu’on appelle le ratio inactifs/ actifs, ratio qui ne cesse de baisser.
S’il y a 3 actifs pour un retraité, on voit bien que les actifs vont financer d’une manière ou d’une autre chacun un tiers d’inactif. Si le ratio passe à 2 pour un, le coût pour chaque actif est plus élevé (ici de 50%) ou le revenu assuré à l’inactif est plus faible.
L’augmentation de la part des personnes âgées est une conséquence de l’allongement de l’espérance de vie, mais les particularités historiques de la pyramide des âges françaises ont pendant un temps partiellement masqué cet impact.
L’espérance de vie
L’espérance de vie augmente dans notre pays de 3 mois en moyenne depuis 1919, ce qui fait plus de 20 ans sur la période ! En fait, comme on peut le voir sur ce graphique, elle est même en hausse depuis 1750 : elle est passée de 25 ans environ en 1740 à 80 ans aujourd’hui !
Il est vrai que ce qui a d’abord diminué, c’est la mortalité infantile, ce qui n’a pas d’impact sur le nombre d’actifs par personne âgée : en 1750, la moitié des nés vivants mourraient avant l’âge de 10 ans. Mais après la diminution de la mortalité infantile, on a vu la mortalité baisser à tous les âges, ce qui explique cette évolution continue de l’espérance de vie.
C’est ainsi que l’espérance de vie à 60 ans est passée pour les hommes de 20 ans en 1998 à 22 ans en 2008. Le calcul est simple : s’il faut payer des pensions à des personnes parties en retraite à 60 ans deux ans de plus, cela coûte au final 10% plus cher !
Et on ne parle ici que de l’augmentation sur dix ans, alors qu’elle est régulière depuis beaucoup plus longtemps !
La situation des centenaires illustre de manière spectaculaire cette évolution. En France, on en comptait environ 100 en 1900 et 200 en 1950 : un doublement, certes sur 50 ans, mais une réalité complètement marginale. Depuis, l’accroissement s’est nettement accéléré : le nombre de centenaires atteignait 977 en 1960, 1122 en 1970, 3760 en 1990, 13483 en 2009 et on en attend 30 029 en 2030 !
Le tableau ci-dessous donne les tables de mortalité selon les époques. Le nombre indiqué dans une colonne annuelle pour un âge donné, signifie que cette année là, l’application fictive des taux de mortalité pour chaque âge donnerait un tel nombre de survivants pour 100 personnes au départ. Le mode de calcul est semblable à celui qui est utilisé pour l’espérance de vie.
Le tableau pour les hommes
Années/ âge |
1900 |
1950 |
1970 |
1990 |
2010 |
2030 |
2050 |
Naissance |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
20 ans |
71.2 |
92.1 |
96.5 |
98.3 |
99.3 |
99.7 |
99.8 |
60 ans |
41.4 |
69.7 |
77.3 |
82.2 |
89.0 |
93.5 |
96.1 |
65 ans |
34.6 |
61.0 |
68.2 |
75.2 |
84.0 |
89.8 |
93.6 |
75 ans |
17.2 |
35.9 |
42.2 |
54.6 |
66.9 |
76.9 |
84.1 |
90 ans |
0.6 |
2.4 |
4.5 |
9.8 |
19.1 |
30.5 |
42.2 |
En 1900 environ un tiers des hommes atteignent l’âge de 65 ans, en 1950, le même tiers atteint 75 ans, et en 2030, un tiers atteindront presque 90 ans ! Le taux atteint à 60 ans en 1900 (un peu plus de 40%) le serait à 90 ans en 2050 !
En 1950, un tiers de ceux qui avaient atteint l’âge de 20 ans n’atteignait pas l’âge de 65 ans fixé pour la retraite. Un deuxième tiers disparaissait dans les 12 ans qui suivaient. Et pratiquement aucun n’était là au bout de 25 ans
En 2010, 90% des hommes atteignent l’âge officiel de la retraite soit 60 ans, et 20% peuvent encore être là 30 ans plus tard !
Cette augmentation régulière crée régulièrement du déficit, avec une impression de trou sans fin, comme pour le déficit de la sécurité sociale : par exemple, ajuster les conditions de retraite aux évolutions des dix dernières années, c’est se condamner à se retrouver avec à nouveau le problème à traiter quelques années plus tard.
La loi Fillon a essayé de prendre cette réalité en compte en proposant d’augmenter la durée de cotisations de deux mois par an. Le raisonnement est très simple : la durée de cotisations étant de 40 ans, et l’espérance de vie après 60 ans étant de 20 ans environ, répartir chaque trois mois d’espérance de vie gagné et deux mois de cotisation et un mois de retraite supplémentaires, c’est garder le ratio initial d’une durée de cotisation double de la durée de retraite.
Les particularités historiques
Tout ceci serait finalement assez simple à saisir si la population évoluait régulièrement, avec des naissances stables ou en évolution régulière. Ce n’est évidemment pas le cas, et notre régime de retraite est affecté par la manière dont la natalité a évolué dans la première moitié du 20ème siècle et ensuite.
Regardons ainsi le nombre de naissances par décennies en métropole :
De 1905 à 1914 : 8 210 772
De 1915 à 1924 : 6 202 990
De 1925 à 1934 : 7 363 799
De 1935 à 1944 : 6 035 309
De 1945 à 1955 : 8 230 458
De 1955 à 1964 : 8 308 249
De 1965 à 1974 : 8 515 399
Les générations qui avaient dépassé les 60 ans en 2005 (donc qui étaient majoritairement en retraite) proviennent de ce qu’il faut bien appeler les classes creuses nées à partir de 1914, à la fois moins nombreuses que les classes précédentes et que les classes qui les ont suivies à partir de 1945. De 1945 à 1974, sur 30 ans, il naît plus de 25 millions de Français, soit environ 28% de plus que lors des 30 années précédentes.
Les effets de ces classes creuses ont pu amoindrir provisoirement l’augmentation du nombre de retraités. Le passage de 65 à 60 ans de l’âge de la retraite en 1981 permet le départ de ceux nés entre 1916 et 1920, classes qui comprennent certes le rebond de sortie de guerre, mais aussi le fort déficit démographique de la période de guerre, quand les maris sont au front.
On voit ainsi la proportion de + 60 ans dans la population française progresser rapidement entre 1985 et 1995 (de 18.1 à 20.1%) puis se stabiliser à 20.6% de 2000 à 2003 pour n’atteindre que 20.9 en 2006 : ce sont les classes nées pendant la guerre qui arrivent à cet âge là. Mais l’accélération est très forte ensuite avec les classes issues du baby boom : 21.3% en 2007 et 21.8% en 2008 !
Deux autres facteurs ont favorisé l’équilibre des régimes de retraite : la relativement faible natalité des années 75 à 2000 signifiait une baisse de la part des jeunes non actifs (les 0/ 20 ans) et donc une part plus grande des actifs. L’augmentation du taux d’activité féminin pendant toutes ces années jouait dans le même sens. Mais cette augmentation approche de ses limites et demain on va voir les mêmes femmes qui ont cotisé toutes ces années faire valoir leur droit à la retraite.
Les prochaines années vont donc voir le déséquilibre des régimes s’accentuer si on ne fait rien. Or il y mécaniquement trois solutions : l’augmentation de cotisations déjà élevées ne parait pas réaliste, baisser les pensions, certes élevées, politiquement inenvisageable, il ne reste qu’à repousser l’âge de le retraite, ou plus exactement comme on le verra, l’âge de fin de carrière. On peut évidemment jouer sur les trois tableaux, mais il est probable que c’est sur l’âge de la retraite qu’on le fera le plus.
Il faut dire que repousser d’un an l’âge de la retraite a le même effet sur les caisses de retraite que baisser les pensions de 7% ou augmenter les cotisations du même montant.
On peut noter que depuis la généralisation d’un système de retraite en 1945, on a maintenu puis abaissé l’âge de la retraite alors que dans le même temps l’espérance de vie augmentait de plus de 15 ans. Comme dans le même temps le niveau des pensions s’est nettement amélioré, au point que le revenu moyen des retraités est égal à celui des actifs, le niveau des cotisations a augmenté très fortement. Non seulement ce n’était pas vraiment raisonnable, mais on peut vraiment douter du fait que c’était équitable.
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