Il faut préciser une chose tout d’abord. Éric Maurin s’intéresse au fait d’avoir ou non un travail, d’avoir des perspectives d’en avoir un pérenne ou de perdre celui qu’on a. La question du niveau des salaires ne fait pas partie des sujets qu’il aborde quand il parle de déclassement.
Seulement 1% des salariés environ chaque année se retrouvent au chômage suite à la perte d’un CDI (contrat à durée indéterminée), et pourtant la moitié de ceux qui ont un CDI craignent le déclassement. Et encore, ce que ne dit pas l’auteur, c’est que un certain nombre d’entre eux ont choisi de partir, pour avoir une dispense de recherche d’emploi hier, dans le cadre d’une rupture conventionnelle aujourd’hui : rappelons que la plupart des PSE (ce qu’on avait coutume d’appeler des plans sociaux) se traduisent en réalité aujourd’hui par des plans de départ volontaire.
Cette peur s’explique par les conséquences importantes que représente la perte du statut. Si on examine le sort de personnes en CDI, en CDD ou au chômage, on observe que moins de 4% des premiers sont au chômage un an après, contre 22% des deuxièmes et près des deux tiers des derniers. Il est clair qu’il vaut mieux être dans la première catégorie que dans la deuxième, dans celle ci que dans la troisième.
L’auteur montre de manière assez convaincante, à travers des comparaisons entre pays, que l’existence de statuts protecteurs n’a guère d’influence sur le taux de chômage. La différence se situe ailleurs : dans les pays où existent des protections fortes, la probabilité pour les salariés en CDI de se retrouver au chômage est nettement plus faible. A contrario le temps pour retrouver un travail est nettement plus élevé. Dit autrement, le coût de la baisse du statut est d’autant plus élevé que ce statut est protecteur, générant une angoisse forte chez ceux qui possèdent un statut, ce qui explique le titre de l’ouvrage
.
L’auteur
montre aussi que l’accès au statut est difficile pour les nouvelles
générations : à la peur de perdre son statut se conjugue celle que ses
propres enfants n’arrivent pas à l’atteindre et traversent des longues périodes
de « galère ».
Il montre aussi que le diplôme
reste le meilleur moyen d’accéder à un emploi pérenne : dans ce domaine,
l’avantage d’avoir un bac par rapport aux non diplômés ou mieux un diplôme du supérieur n’a fait
qu’augmenter
Comme Algan et Cahuc montraient
dans « la société de défiance » que le corporatisme se traduisait non
seulement par des inégalités mais par une perte de confiance envers les
institutions, Éric Maurin nous montre que le statut, du fait qu’il est réservé
à une partie des actifs, se traduit à la fois par de profondes inégalités face
à l’emploi (entre générations, selon le diplôme) et par une anxiété sociale.
Le système français est pour
l’auteur moins satisfaisant que le système danois qui, avec des licenciements
faciles pour l’employeur mais une forte protection des chercheurs d’emploi,
débouche sur un taux de satisfaction des salariés beaucoup plus élevé que dans
des pays fortement protecteurs comme la France ou le Portugal.
Reste que le changement pour
passer d’un modèle à l’autre ne peut pas se décréter. Les périodes de récession
poussent au renforcement des protections et au rejet de ce qui est vécu comme
une remise en cause de son statut. Les événements de 1995, la montée depuis des
syndicats SUD, la victoire du « non » en 2005 en sont différentes
illustrations bien présentées par l’auteur.
Tout cela amène l’auteur à la
prudence : le système français sera difficile à changer et pourra l’être
au mieux à petit pas. La priorité aujourd’hui est surtout de ne pas l’aggraver
à l’occasion de la crise, alors que les périodes de récession entraînent une
demande de renforcement des protections de ceux qui ont un emploi et que les
politiques ne savent guère faire autrement.
Quelques remarques pour finir, sur des points sur lesquels je reviendrais … peut être ! Au tout début du livre figure une courbe montrant l’évolution depuis 1960 du coût d’une embauche au salaire minimum (donc salaire + charges). C’est en Euros constants. On observe trois périodes
La première, dans les années 6O, avec une quasi stabilité à 500 €.
La seconde
voit un passage de 500 à 1400 € (soit
presque un triplement)en une quinzaine d’années, de 1968 à 1984
La dernière voit une certaine stabilité entre 1400 et 1500 € de 1984 à aujourd’hui.
Il est difficile de ne pas rapprocher la forte et rapide augmentation des années 70 avec la montée du chômage des non diplômés, alors que ceux ci dans le même temps, diminuaient rapidement dans la population active. Rappelons que pour les 5 premières années après l’entrée sur la marché du travail, le chômage des non diplômés se situe en moyenne au dessus de 40% ! Un rapport salaire minimum sur salaire médian élevé se traduit par l’éviction de l’emploi d’un nombre important des salariés les moins formés
. Par ailleurs, l’auteur publie, pages 57, 58 et 59, des figures qui montrent justement l’impact du diplôme sur le taux de chômage. Il insiste sur la fait de démarrer ses graphes dès 1973. On voit ainsi le chômage des non diplômés passer de 13 à près de 50% sur la période. En prenant comme début de période 1984, qui représente un pic, on aurait pu se faire croire que la tendance était plutôt à la stabilité. Une analyse détaillée de la courbe montre que le choix de l’auteur est judicieux
On ne
comprend donc guère pourquoi les graphiques des pages 67 à 72 démarrent
justement en 1982. Ils sont sensés montrer que l’écart d’accès au diplôme et à
l’emploi, entre fils d’ouvrier et fils de cadre, est très important mais qu’il
a plutôt tendance à diminuer. Le recul est cependant modéré : le résultat
serait il identique en démarrant les courbes en 1973 ?
Au total, un livre court (90 pages) qui se lit facilement, et qui n’est
pas cher (10,50 €) : on aurait tort de s’en priver !
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