JJ Rousseau développe cette idée dans la description d’une évolution de l’homme de l’état de nature à l’état civil. Les vices que développe ce dernier sont la réponse à une situation de plus en plus inégalitaire qui éloigne l’homme de ses capacités naturelles. Cette observation fait fi du fait que l’homme, comme les grands primates, est de tous temps un être social. Elle renvoie aussi à une vision de l’homme idéal moitié écolo, moitié communiste
On trouvera
ci-dessous d’abord une présentation rapide des principales idées de l’auteur
puis un jugement global sur celles-ci. Des questions plus précises seront
reprises dans un prochain article.
Le point de vue de JJ
Rousseau. L’auteur compare la situation de l’homme selon qu’il est dans ce
qu’il appelle l’état de nature ou qu’il appartient à une société très
organisée. Il montre que dans cette évolution, les inégalités ont grandi et
l’homme a perdu de ses qualités préalables. Il considère que le sauvage, le
primitif a gardé la plupart des qualités de l’homme a l’état de nature.
A quelques pages de la conclusion, l’auteur résume ainsi le point de vue qu’il estime avoir démontré précédemment :
« Si nous suivons le progrès de l’inégalité dans ces différentes révolutions, nous trouverons que l’établissement de la loi et du droit de propriété fut son premier terme, l’institution de la magistrature le second, que le troisième et dernier fut le changement du pouvoir légitime en pouvoir arbitraire ; en sorte que l’état de riche et de pauvre fut autorisé par la première époque, celui de puissant et de faible par la seconde, et par la troisième celui de maître et esclave, qui est le dernier degré de l’inégalité et le terme auquel aboutisse,nt tous les autres. »
Le philosophe consacre toute la première partie du discours a décrire ce qu’il appelle l’état de nature et la manière dont l’homme en est sorti. Il ne consacre guère qu’un dixième de la longueur du texte à peu près à expliquer que l’évolution de l’organisation sociale a engendré « le faste imposant, la ruse trompeuse, …l’ambition dévorante, » « le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres ».
Il valorise certaines caractéristiques de l’homme à l’état de nature, encore existantes chez le bon sauvage. La première est évidemment la liberté, par rapport à l’ensemble de ses semblables, qu’il ne fréquente guère. Il y a aussi la vie simple et toutes les qualités physiques qui y sont associées « robuste agile courageux comme ils le sont tous », « ses désirs ne dépassent pas les besoins physiques ». Tout cela avant que les commodités inventées par certains hommes ne viennent amollir le corps et l’esprit de leurs descendants !
Le Discours portant sur l’inégalité, le philosophe note « la simplicité et l’uniformité de la vie animale et sauvage, où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière et font exactement les mêmes choses ». Il n’est pas étonnant qu’il apprécie Sparte, et l’égalitarisme qui règne entre les citoyens appelés à manger à la même table et à vivre à la dure, au culte de l’honneur militaire quoi fait souhaiter aux mères de voir revenir leur fis mort plutôt que vivant et vaincu !
Pour mieux comprendre l’homme idéal de Rousseau, intéressons nous à la bande dessinée du 20ème siècle et à une aventure de Valérian, « les Héros de l’équinoxe ». Dans cette aventure, plusieurs champions s’affrontent pour pouvoir féconder la mère suprême et assurer une nouvelle descendance à la société locale. Trois héros représentent de manière caricaturale le communisme, le fascisme et un certain ascétisme(mélange d’hindouisme et d’écologie ?). Ils veulent imposer leur modèle mais ce sera Valérian, qui n’en a guère (l’avenir, ce n’est pas à moi de le définir, j’espère que ces gens seront heureux à leur façon sur leur planète) mais est issu du monde technologique de la Terre, qui sera choisi, justement parce qu’il ne veut pas imposer son modèle : c’est la démocratie et non le capitalisme qui est choisie par les auteurs.
A lire Rousseau, on comprend que son homme idéal est un mixte de celui qui représente dans cette BD le communisme et, dans une moindre mesure, de celui qui représente l’ascétisme. Je n’ai pas retrouvé dans la description du système fasciste faite par les auteurs de la BD les éléments qui m’avaient fait penser qu’il y avait aussi du fascisme dans la pensée de Rousseau. Effectivement, on ne trouve pas chez lui la glorification de l’aristocratie ou de l’élite raciale propre au fascisme. En réalité, c’est la glorification des valeurs physiques et pour tout dire viriles, opposées à l’amollissement que donnent les commodités qui m’a donné cette impression. Elle rejoint plus pour moi les valeurs affichées par une certaine extrême droite que par l’extrême gauche.
Mon point de vue général. On y reviendra, mais sa vision de la démocratie, si elle veut libérer de l’oppression du tyran, ne valorise pas les différences, et peut laisser de fait libre cours à l’oppression du groupe.
Je conteste deux choses : d’une part qu’il existe un homme en dehors de la société, ce qui conduit à enlever beaucoup dans la logique du philosophe, d’autre part que l’évolution globale vers des sociétés plus complexes conduisent à une perversion de l’homme.
Je l’ai déjà dit dans mon billet précédent, le philosophe n’est guère convaincant dans sa description de la préhistoire de nos sociétés. Il imagine un homme à l’état de nature complètement isolé et même incapable de reconnaître les femmes avec qui il lui est arrivé de procréer, et pour les femmes les enfants qu’elles ont élevées, tant leur vie est solitaire et donc complètement libre. Cette vision ne correspond à aucune réalité historique : les grands singes qui sont nos cousins vivent en groupe et tout laisse à penser que les humains vivent depuis longtemps (voire depuis l’origine) dans des groupes assez importants,comprenant plusieurs mâles et plusieurs femelles, donc potentiellement une ou plusieurs dizaines d’individus.
L’une des caractéristiques de l’homme est sa très grande faculté d’adaptation. Mais au-delà de celle-ci, ses capacités cognitives l’ont conduit à conquérir des environnements pour lesquels il n’était pas fait à priori. Cela l’a amené à sortir de l’Afrique et à conquérir jusqu’aux régions arctiques…et à la Lune !
Au fil des temps, l’homme peut tenir de moins en moins compte de son environnement naturel(il a des moyens techniques qui lui permettent d’évoluer malgré celui-ci, il n’a plus de prédateurs depuis longtemps) et donc la dimension sociale de son environnement arrive à prendre presque toute la place de ce qui le contraint voire le modèle.
Mais il ne faudrait pas croire que la dimension sociale soit propre à l’homme : elle existe chez tous les animaux, de manière beaucoup plus importante qu’on ne le croit à priori. On peut évoquer tout ce qui est du domaine des relations sexuelles et de la parade amoureuse, ce qui est du domaine du soutien à la descendance, mais aussi les rapports de préséance et de domination dans un groupe. On sait maintenant que les relations sociales des grands singes peuvent être extrêmement compliquées !
D’une certaine manière, nous sommes victimes d’une idée préconçue qui nous fait distinguer d’un coté les animaux qui réagissent à l’instinct et ne peuvent être méchants et l’homme être à part dont on a vite fait d’oublier qu’il est aussi un animal et plus particulièrement un primate. Cette distinction conduit à sous estimer gravement les capacités cognitives et comportementales des animaux, mais aussi leur capacité à avoir des comportements agressifs, y compris vis-à-vis de leurs semblables.
Je me rappelle ainsi une anecdote qui date d’une période de stage comme étudiant, que j’avais passé au Mexique dans un organisme chargé d’aider au développement rural. Cet organisme avait incité des groupes de paysans à introduire des abeilles plus productives que celles qu’ils possédaient jusque là. Un matin, les abeilles des nouvelles ruches sont allé attaquer celles des anciennes ruches pour éliminer la concurrence !
P Picq décrit de la même manière des chimpanzés qui partent en guère contre le groupe voisin, et qui s’organisent pour cela ! La guerre avec son semblable n’est donc pas le propre de l’homme !
René Girard, dans son livre « la violence et le sacré » décrit les mœurs de cannibalisme vis-à-vis des ennemis au combat et des prisonniers dans une tribu des bords de l’Orénoque qui justement représente pour Rousseau le type même du bon sauvage : il ne s’agit pas d’un modèle de bonté (de méchanceté non plus d’ailleurs ) !
Il est toujours facile de mythifier le passé, mais la réalité est que notre société actuelle abrite des personnes de grande bonté et de parfaites crapules, des saints et de grands salauds. Il n’ y a pas de raison de penser que cela ait été très différent dans les sociétés plus primitives.
A un moment, JJ Rousseau évoque le fait que le sentiment de pitié « détourne tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant ou à un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine ». En réalité, le vieillard infirme étant incapable de subvenir à ses besoins, il était généralement abandonné à son sort, et donc à la mort. Non pas que les sociétés primitives aient été méchantes sur ce point, mais qu’elles n’avaient pas les moyens de soutenir ce genre de poids faible.
En lisant les remarques du philosophe sur les inégalités croissantes des sociétés de l’état civil, je me suis dit qu’il n’avait pas tort. Puis j’ai réfléchi pour conclure que s’il ne semblait pas y avoir beaucoup d’inégalités entre les forts et les faibles, c’est que les plus faibles avaient été éliminés, non généralement par leurs semblables, ceux-ci ayant simplement laissé faire la nature, faute de pouvoir faire autrement. C’est dans nos sociétés modernes qu’on aide les handicapés et les infirmes à mener une vie la plus normale possible. Avant, comme dans la nature, ils disparaissaient !
On peut cependant s’interroger sur les conséquences de la révolution néolithique qui s’est traduit en quelques millénaires par une multiplication par un facteur de 10 environ de la population, l’apparition des premiers bourgs puis du droit de propriété, de l’écriture et de la géométrie ! C’est ce que je ferais dans un prochain article
Voir aussi mon article de présentation précédent
Les commentaires récents