Avant même de comprendre les positions du philosophe, la lecture de ses ouvrages nous montre qu’il écrit dans un contexte daté important : contexte des connaissances, des débats et de la situation politique de son époque. Il est par ailleurs clairement machiste. Avant de venir aux deux thèmes qui m’intéresse, attardons nous à ce contexte.
Les deux ouvrages que j’ai lu ont été écrit , l’un en 1755, l’autre en 1762. On se trouve une trentaine d’années avant la Révolution française, avec un régime de monarchie absolue et une aristocratie repliée sur ses privilèges, le tout étant de plus en plus contesté. Les références démocratiques sont d’une part la Grèce et les Romains, d’autre part les républiques suisses que Rousseau connaît bien pour être né à Genève. La monarchie anglaise, de plus en plus parlementaire, modèle pour d’autres penseurs, n’est évoquée que de loin par Rousseau, pour qui la démocratie doit être directe et non représentative. Son modèle préféré est Sparte et ce n’est pas un hasard.
L’esclavage et la traite des noirs existent encore. JJ Rousseau condamne l’esclavage avec vigueur mais il considère aussi que la situation des hommes dirigés par un despote ou un tyran est inacceptable.
La réflexion sur les régimes politiques est marquée par plusieurs intervenants auxquels l’auteur fait régulièrement allusion, pour l’essentiel Grotius, Pudendorf et Hobbes, mais aussi Locke, Machiavel, Montesquieu ou Spinoza. Beaucoup de réflexions ont lieu autour du concept du droit naturel. Hobbes a écrit une fable sur le passage de l’homme animal humain aux origines à la société politique. Du Contrat Social et les réflexions politiques sur le discours sur les inégalités s’inscrivent dans ce contexte, même si Rousseau ne partage pas du tout le point de vue de Hobbes.
La réflexion sur la séparation des pouvoirs exécutif et législatif est faite dans un langage qui parait compliqué au citoyen d’aujourd’hui.
Le Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité entre les hommes est très largement consacré à la description du passage supposé de l’homme à l’état de nature au sauvage puis aux États. Les connaissances anthropologiques et préhistoriques du philosophe s’avèrent pour le moins très limitées au lecteur du 21ème siècle, mais reflètent probablement les faibles connaissances de l’époque. Pour la plupart, elles font dire des énormités à l’auteur. Celui-ci suppose par exemple que la métallurgie du fer à précédé l’apparition de l’agriculture. Cela gène la lecture et décrédibilise en partie le discours. On peut cependant imaginer comment avec les mêmes convictions, un Rousseau transporté à notre époque pourrait faire de la révolution néolithique la cause de tous nos maux.
Les connaissances anthropologiques du philosophe sont d’autant plus faibles qu’il n’a manifestement que très peu de pratique des enfants et probablement du monde paysan.
C’est ainsi qu’il aborde la question de la création du langage, qui lui parait (à juste titre) liée à la complexification de la pensée, pensée qu’il imagine très limitée (à tort si on en croit l’observation de nos cousins grands singes) avant cette apparition. Il imagine donc que ceux qui ont inventé les premiers langages ont d’abord nommé des réalités physiques mais que, faute de capacité conceptuelle, ils ont donne un nom au chêne A puis un autre au chêne B.
La lecture de cette exposé m’a rappelé un souvenir ancien, quand mon fils commençait tout juste à parler et avait donc environ 1 an et demi. J’avais été très surpris de le voir désigner un chien dans la rue sous le terme « ouah ouah ». J’avais alors analysé qu’il avait été capable de distinguer les chiens des autres animaux comme les chats, tout en regroupant sous la même terminologie le chien aperçu dans la rue et celui de mes beaux parents, alors qu’ils n’appartenaient absolument pas à la même race. On pourra dire que ce concept était acquis par l’éducation de ses parents, mais ce n’était absolument pas l’impression qu nous avions eu à l’époque.
Tout cela pour dire que Rousseau n’appuie pas sa réflexion très conceptuelle et abstraite sur une observation et une recherche des faits mais sur de la théorie et les idées en vogue dans son milieu. Il ne réagit pas en scientifique mais en idéologue.
Il n’empêche qu’il soulève des questions intéressantes, par exemple sur l’impact du droit de propriété dans nos sociétés (je dirais bien de l’impact de la révolution néolithique) ou de savoir si la situation de l’homme est plus enviable aujourd’hui qu’à l’origine (lui pense le contraire)
Le caractère machiste du philosophe reflète probablement également les idées de son époque. Il apparaît dès le début de la lecture du Contrat Social, quand l’auteur décrit la famille en citant le chef de famille et les enfants mais en faisant l’impasse totale sur la mère et épouse ! Le Discours sur l’origine etc. est beaucoup plus explicite. Il distingue le désir physique et l’aspect « moral » qui « fixe le désir sur un seul objet seulement ». Il faut ici recopier intégralement la suite :
« Or il est facile de voir que le moral de l’amour est un sentiment factice : né de l’usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d’habileté et de soin pour établir leur empire et rendre dominant le sexe qui devrait obéir »
Rousseau continue en précisant que le sauvage (son modèle) est insensible aux canons de la beauté et donc que « toute femme est bonne pour lui »
D’autres articles prochainement, d’une part sur la question du lien entre la société et l’homme qui serait pervertit par elle, d’autre part sur la responsabilité de Rousseau dans les dérives des démocraties autocratiques.
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