Quelques événements tragiques ont récemment attiré l’attention sur le fonctionnement de l’hôpital public et, comme toujours dans les services publics, sur la question des moyens disponibles, toujours insuffisants pour certains, toujours trop coûteux pour d’autres. Le Monde n’est pas en reste, qui titrait vendredi une page d’enquête « comment l’hôpital réduit les effectifs »
Le fait que l’article précisait qu’au-delà de réductions locales, les effectifs totaux augmentaient (certes très modérément), ne gênait évidemment pas le rédacteur. Mais on finit par avoir l’habitude dans ce journal, de titres qui ne sont pas conformes au corps de l’article.
On entend parler depuis des décennies de trou de la Sécurité Sociale, de manque de moyens dans les hôpitaux ou de gaspillage de médicaments. La réalité est que notre pays consacre une part de plus en plus grande de ses moyens à la santé, les dépenses hospitalières représentant depuis longtemps à peu près la moitié de celles ci.
Ces dépenses ne sont pas faites en pure perte puisque l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, de 3 mois par an environ,et ce depuis 1919 ! Ceci dit, on sait que l’hygiène tient une part non négligeable dans ces progrès. Diminuer la mortalité par cancer peut s’obtenir par des progrès médicaux mais aussi par la diminution de la consommation de tabac ou d’alcool ! Et à contrario, n’oublions pas que nous finissons toujours par mourir : une cause de mortalité qui disparaît est forcément remplacée par une autre !
Je m’égare ? Certes, mais n’oublions pas que dans ce domaine, comme dans tant d’autres, il faut bien préciser de quoi on parle et ce qu’on veut mesurer. Retenons simplement, pour ne plus en parler ensuite, qu’il y a certainement beaucoup à faire dans le domaine de l’hygiène et de la prévention.
Donc les dépenses de santé ont augmenté régulièrement plus vite que le PIB, les taux de cotisations ont suivis et des moyens nouveaux ont été affectés. Une part très importante de l’augmentation du PIB va ainsi depuis 25 ans aux retraites et à la santé, mais cela correspond probablement à une volonté des Français. Cela va sans doute continuer avec le vieillissement de la population. Mais c’est justement parce que des sommes très importantes sont consacrées à la santé qu’il faut qu’elles le soient correctement ! Les Français en font une priorité, pour vivre en bonne santé, pas pour que l’argent soit gaspillé évidemment.
Pour essayer de maîtriser les dépenses, ou au moins de dépenser à bon escient, deux masures principales ont été utilisées jusqu’à présent : d’une part chaque hôpital a vu la progression de son budget global limitée, d’autre part le numerus clausus de formation des médecins a permis de limiter l’offre médicale, selon l’idée que plus il y a de médecins, plus il y a de dépenses de santé.
Pour faire face à la demande avec un budget limité, les hôpitaux ont essentiellement joué sur la durée de séjour, qui a pratiquement diminué de moitié dans certains cas en une génération. Par exemple, là où une femme restait à la maternité 7 jours après son accouchement (voire 10 en cas de césarienne), elle sort maintenant au bout de 4 jours. Tout le reste est à l’avenant, ce qui signifie à la fois des économies globales et une plus grande utilisation de moyens pendant les jours de séjour.
Cette limitation des budgets n’a pas suffit à garantir la bonne utilisation des moyens, pour au moins deux raisons : l’inégalité initiale (ceux qui étaient richement dotés au début le sont resté) et l’influence du politique : le maire étant président du conseil d’administration de l’hôpital, la gestion des déficits budgétaires a aussi dépendu du poids politique de chaque maire…
Il faut dire que le système hospitalier n’est pas facile à gérer ! D’abord bien sûr, des syndicats qui, comme partout dans la fonction publique, n’imaginent pas qu’on puisse faire plus sans augmentation de moyens, mais aussi un personnel soignant assez naturellement enclin à vouloir bien faire, parce que les malades sont là, et qu’il a choisi ce métier pour cela. Mais il y a surtout ce triple pouvoir hospitalier (sans compter celui du maire !) qui rend tout compliqué, avec les directeurs qui s’occupent des aspects administratifs et budgétaires, les médecins qui s’intéressent à la technique avant tout (s’ils pensent gestion et organisation, ils vont plus logiquement dans le privé) et enfin ce qu’on appelle le pouvoir infirmier, symbolisé par la directrice des soins infirmiers et l’ensemble des infirmières, qui essaient de faire fonctionner la boutique !
Alors, il n’est pas étonnant de rencontrer de temps en temps des anomalies. J’en citerais d’abord deux observées il y a une quinzaine d’années : la première a été observée par une enquête de l’IGAS sur le temps de travail. Dans certains hôpitaux, il était considéré que chaque femme avait le droit à 12 jours de congés annuels pour enfant malade, que leurs enfants soient malades…ou pas !
La deuxième est un vécu personnel : un hôpital m’a demandé de mesurer l’activité des secrétaires médicales. J’ai pu constater que la charge de travail, dans un même établissement, variait de 1 à 4 ! Autant dire que si certaines n’avaient vraiment pas le temps de chômer, d’autres avaient la belle vie. Je précise que plutôt que de muter une secrétaire du service le plus à l’aise vers le plus chargé, on en a embauché une pour ce dernier…
Deux anecdotes beaucoup plus récentes : dans un établissement, un absentéisme du personnel soignant très élevé, et s’expliquant en grande partie parce que les personnes intéressées prenaient simplement leurs aises et dans un autre établissement situé dans une zone peu attractive, des médecins à qui on a donné des privilèges exorbitants pour les attirer.
Il est reconnu qu’en réalité il y a une grande diversité des situations, avec des zones à effectifs tendus et d’autres en sur effectifs, pour des raisons diverses, et d’abord historiques ; la difficulté est de savoir à quel point le phénomène existe, et à quel point, depuis qu’on le dit, il a été résorbé. L‘article du Monde notait qu’on allait réduire des effectifs dans certains établissements : on peut souligner que c’est une nouveauté.
La méthode générale pour résorber les sur effectifs dans les services publics consiste à arrêter l’embauche et à attendre que ces sur effectifs se résorbent d’eux-mêmes à l’occasion des départs, ce qui peut évidemment prendre du temps. Dans le cas des hôpitaux, la croissance naturelle des besoins facilite l’ajustement. Mais ce n’est pas toujours si simple.
Ceux qui connaissent le plateau du Retord dans le sud du Jura savent qu’il s’y trouvait après la guerre tout une série d’établissements hospitaliers, du genre qu’on appelait à l’époque des sanatoriums. Avec l’apparition de soins efficaces contre la tuberculose, ces établissements ont perdu leur raison d’être. De la même manière, il y a des endroits ou des types de service dont les besoins diminuent, mais dont l’adaptation se fait lentement.
Par ailleurs, le système du budget global n’a pas permis d’adapter la situation des établissements les plus riches, surtout s’ils sont bien protégés politiquement. L’APHP et ses établissements parisiens prestigieux en est un des meilleurs exemples.
Il a donc été décidé de passer à une nouvelle méthode budgétaire, celui de la tarification à l’activité (T2A). En clair, si un accouchement coûte en moyenne 10 000 euros, un établissement qui en fait 500 par an recevra 5 millions d’euros. Les établissements dont le coût moyen est supérieur aux 10 000 euros devront revoir leurs pratiques voire abandonner une activité pour laquelle ils sont peu efficaces.
Une des raisons des surcoûts est en effet la sous activité. On comprendra aisément qu’une maternité a besoin d’au moins une sage femme de garde 24h sur 24. Si son activité est faible, la sage femme sera en sous charge et le coût moyen sera élevé. Il y a en pratique des économies d’échelles, du moins jusqu’à une certaine taille, différente selon les types de service. Il vaut mieux avoir un établissement ayant une assez forte activité dans un domaine que deux qui ont une faible activité.
Évidemment, ce type de regroupement se heurte aux habitudes du personnel, médecins compris : dans l’exemple précédent, on passe de deux chefs de service à un seul, ce qui est toujours difficile à réaliser !
Les cliniques privées ont réalisé ces regroupements sous la pression de l’administration hospitalière et se trouvent aujourd’hui pour cette raison souvent plus efficaces que le public. Dans le public, l’argument budgétaire est rarement considéré comme légitime (ce qui est d’ailleurs scandaleux : l’attachement au service public devrait comprendre le souci de bien utiliser l’argent public !).
On utilise donc l’argument de la qualité : pour reprendre l’exemple précédent, une sage femme qui ferait peu d’accouchement manquerait de pratique des cas difficiles et serait donc moins capable d’y faire face. On a ainsi donné comme norme qu’une maternité devrait faire au moins 300 accouchements par an. En réalité, une moyenne de 800 à 1000 représente une bien meilleur situation à tous points de vue. Il est intéressant de noter qu’au-delà de 2000 accouchements, la qualité baisse, probablement parce qu’on tombe dans un système trop gros pour être correctement géré.
Dans une situation où certains hurlent à la pénurie depuis 30 ans et où d’autres répliquent que des progrès d(‘organisation sont possibles, on peut se demander s’il n’y a pas réellement un risque que, à force d’économies, on assiste à une dégradation de la qualité.
Il faut dire ici qu’il y a un risque réel. Non pour les raisons avancées par ceux qui hurlent et qui affichent trop de chiffres erronés pour être crédibles. Mais parce qu’on risque de manquer des compétences nécessaires, au moins dans certaines régions. Le plus étonnant est que ce risque se trouve sans doute dans les hôpitaux qui sont en excédent financiers et non dans ceux qui sont dans le rouge ! Parce qu’ils ne sont pas forcément attractifs, en particulier chez les médecins, qui comme tout un chacun, préfèrent habiter la Rochelle que Vitry le François, Nice ou Montpellier que Charleville Mézières ou Verdun.
La politique du numerus clausus a abouti à une croissance modérée du nombre de médecins. L’époque pas si lointaine (fin des années 80 ?) où les jeunes médecins pouvaient gagner moins que le SMIC faute de clientèle suffisante a disparue. La féminisation du corps médical et la recherche naturelle de meilleures conditions de vie ont poussé une partie importante des médecins a choisir des spécialités aux horaires compatibles avec la vie de famille. Du coup, les effectifs se sont tendus dans certaines spécialités
Les 35 heures sont arrivées dans ce contexte. Elles ont signifié une réduction théorique de 10 % de la présence infirmière, créant des tensions très fortes sur le marché du travail et le besoin de faire appel aux heures supplémentaires (si ce n’est pas de la politique de gribouille, je ne sais pas comment l’appeler !)
Mais le cas des médecins est différent et plus grave. En effet, en même temps que les 35 heures, les modalités de décompte des gardes ont été revues pour être en conformité avec la législation européenne. Avec une nouvelle règle beaucoup plus coûteuse que la précédente, on s’est retrouvé avec un manque crucial de médecins et là aussi le recours massif aux heures supplémentaires.
Évidemment, depuis on a revu le numerus clausus à la hausse. Mais il faut très longtemps pour former un médecin et on va voir partir en retraite les cohortes nombreuses formées à la fin des années 60 et au début des années 70.
Par ailleurs, la demande de la population a changé, le recours aux urgences en étant un signe manifeste. Parce que les médecins de ville sont de moins en moins joignables la nuit et le week-end, mais aussi parce qu’on ne réagit plus de la même manière face à la maladie, la fréquentation des urgences a augmenté considérablement (doublement en un peu plus de 10 ans).
Pour faire face à ce difficultés, la solution ne consiste pas, comme le réclame avec insistance l’habitué des plateaux télés Patrick Pelloux, de définir partout des normes d’équipement en personnel par service. En dehors de toute question d’adaptation aux spécificités de tout genre, ce serait officiellement renoncer à tout progrès de productivité. Donc de fait renoncer à terme à faire mieux.
Il est probable qu’il faille cesser d’encombrer les services à haut niveau technique de malades qui n’ont pas besoin de ce type de service. Cela signifie envoyer la majorité de ceux qui vont aux urgences et qui n’ont rien à y faire dans des dispensaires (à créer), et renforcer l’offre de soins post opératoires dans des centres de moyens ou long séjours. Ce qui veut dire que ce ne sont pas forcément les mêmes moyens, qu’il faut sans doute plus de généralistes et que les spécialistes soient moins nombreux mais vraiment pointus.
Il est évident que cela signifie des restructurations de services, ce que le public ne sait pas bien faire. Mais comme le privé a pris de l’avance sur cette restructuration, le risque est effectivement que, faute de s’adapter, le public finisse par perdre ses meilleurs techniciens et peut être même la qualité de ses soins.
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