La fixation à 2.5% de la rémunération du Livret A illustre à la fois la désinflation en cours et les difficultés à arbitrer entre impératifs économiques et politiques. Dans une conjoncture très heurtée, il faudrait probablement, comme le propose François Fillon, faire évoluer ce taux plus de 2 fois par an. L’ampleur de la baisse confirme cette intuition.
Il y aurait 46 millions de livrets A ouverts en France. Même si on fait abstraction des livrets détenus par les personnes morales et par ceux qui en ont deux (ce qui est interdit), il reste que, d’après Wikipédia, 37 millions au moins de Français sont détenteurs d’un Livret A. Et il est probable que ce nombre a augmenté ces derniers temps, en raison des taux élevés proposés (4%) et de la possibilité donnée aux banques à partir de 2009 de le proposer.
Rappelons que le Livret A, qui est sensé gérer une épargne à relativement court terme, est plafonné à 15 300 euros (soit environ un an de SMIC) pour les personnes physiques : au-delà de ce montant, elles ne peuvent plus effectuer de nouveaux dépôts (mais le montant du livret peut dépasser ce chiffre, du fait des intérêts versés). Deux millions de titulaires seraient au plafond de versement.
La fixation
du taux du livret A est toujours très politique, puisqu’il n’est pas le
résultat d’une logique de marché mais d’un choix réglementaire. La dénomination
d’épargne populaire, le nombre de titulaires, poussent à laisser un niveau
élevé. L’utilisation sociale de la collecte, pour le monde HLM est donc mise en
avant quand il faut baisser le taux : les politiques préfèrent par nature
annoncer de bonnes nouvelles.
L’encours du Livret A (la
somme des dépôts) a atteint en fin 2008 un record historique à 135 milliards
d’euros, ce qui fait en moyenne 3 000 euros pour chacun des 46 millions de
livrets. Il est probable que le chiffre réel par Français titulaire soit un peu
plus faible, les dépôts des personnes morales autorisées (sociétés mutualistes
et d’HLM) tirant sans doute la moyenne vers le haut. En conséquence, une modification
de 1% du taux du livret modifie sur un
an de 30 euros en moyenne la rémunération du titulaire. L’enjeu est donc plus
un enjeu d’affichage qu’un enjeu réel de revenu pour les personnes intéressées
(encore qu’un euro est un euro comme le disent certains…).
Pour sortir des polémiques politiques, JP Raffarin avait décidé en 2003 d’établir une formule automatique. Un Rapport sur l’équilibre des Fonds d’épargne de Christian Noyer et Philippe Nasse, de janvier 2003, estimait qu’il fallait se situer « un peu au-dessus de l'inflation », mais « un peu au-dessous des taux d'intérêt à court terme ».
On notera ici que cette idée suppose que les taux d’intérêt à court terme soient supérieurs à l’inflation. C’était loin d’être le cas avant la « révolution » du début des années 80 dans ce domaine. Il me semble de mémoire que le taux du Livret A n’a pas dépassé 7% dans les années 70 ou au début des années 80, alors que l’inflation est restée pratiquement supérieure à 10%, avec une pointe au-delà de 15%, entre 74 et 84. Ce pourrait ne pas être le cas transitoirement, si la BCE faisait varier ses taux de manière aussi marquée que la FED par exemple.
Une solution aurait donc consisté à faire une moyenne entre l’inflation et le taux de la BCE, mais c’était sans doute trop simple. Pour finir, parmi les formules proposées, on en a choisi une compliquée, mettant en jeu des indices non connus du grand public (l’EONIA par exemple) ce qui permet aux politiques d’arbitrer à la marge sur le résultat de la formule et la proposition de la Banque de France.
En raison de la montée de l’inflation au premier semestre 2008 (jusque 3.5%) et de celle concomitante des taux de la BCE, le taux d’intérêt du livret A a été fixé en août 2008 à 4%.
Depuis, l’inflation a diminué à grande vitesse puisque les résultats mensuels sont systématiquement négatifs depuis juillet : faiblement au début avec une baisse de 0.3% de l’indice sur le troisième trimestre 2008, plus fortement ensuite avec une baisse de 0.8 % sur le 4ème trimestre. La principale cause de ce recul est la baisse du prix du pétrole et celle des autres matières premières.
De son coté, la banque centrale européenne (BCE) a diminué ses taux fortement, les ramenant d’abord à 2.5% puis à 2% cette semaine. Il était donc légitime de baisser fortement la rémunération du Livret A, d’autant plus qu’il est probable que l’application de la formule donne un résultat encore plus bas dans un mois qu’aujourd’hui, du fait de la baisse des taux de cette semaine et de son impact à venir prochainement sur les taux à 3 mois. Ceci dit, si j’ai bien compris la formule, elle donne un montant de 2.375 aujourd’hui.
Même s’il est probable qu’on se rapproche de 2% d’ici peu, le choix de N Sarkozy est plus logique politiquement (il se met légèrement au dessus) que celui proposé par F Fillon (qui se mettait nettement en dessous mais en réalité anticipait). D’autant plus que l’inflation peut remonter, au moins légèrement, quand le prix du baril aura fini de descendre.
Cela n’a pas empêché le Parti Socialiste de parler de « sanction à l’égard de l’épargne populaire».
Au-delà de l’impact individuel évoqué plus haut, la baisse des taux pourrait avoir un effet sur les volumes collectés.
On note en effet que le volume total des dépôts sur le Livret A ne varie pas de manière linéaire, mais en fonction de la conjoncture. Il était de 112.1 milliards d’euros fin 2005, pour passer à 115.4 fin 2006, 120.4 fin 2007 et 135 environ fin 2008. Le record de croissance qui datait de 1995 (déjà une période de mauvaise conjoncture) avec 7 milliards, a été pulvérisé à plus de 13 milliards. Ce qui représente environ 300 euros par livret.
S’il est difficile de mesurer ce qui est du transfert d’un produit d’épargne à un autre et ce qui est de l’épargne pure, il est évident que la conjoncture a poussé les français à la prudence. S’ils continuent sur le même rythme ou s’ils reviennent à leur comportement traditionnel, le résultat n’est pas le même sur l ’économie : les 13 milliards évoqués plus haut représentent la moitié du montant du plan de relance gouvernemental ou un tiers de celui proposé par le PS !
Il est habituel de considérer que les foyers les plus modestes n’épargnent pas et qu’en conséquence toute distribution financière dans leur direction est entièrement injectée dans la consommation. Il faut croire que ce n’est pas entièrement vrai, ou que plus probablement le Livret A, s’il a le nom d’épargne populaire, touche aussi les classes moyennes. Le nombre de titulaires en est aussi la preuve, sauf à avoir une définition très extensive de l’expression « les plus modestes »
La solution adoptée par l’Angleterre consistant à baisser le taux de TVA, proposition que la gauche voudrait voir mettre en œuvre dans notre pays, n’a donc pas autant qu’on veut bien le dire la garantie d’être transformée en dépenses. Après tout, 300 euros par personne, ce ne doit pas être bien éloigné des 2% de TVA En 2006, la TVA a rapporté 126 milliards à l’Etat, pour un taux normal de 20% environ. Avec un dixième de cette masse, soit pas loin des 2% de la baisse de Gordon Brown, on est au 13 milliards de l’augmentation des dépôts du Livret A….
Même s’il y a beaucoup d’effets psychologiques dans tout cela, il est clair que la baisse du taux versé sur le Livret A va plutôt dans le sens de la relance que dans celui de la récession. Pour cette raison, ce n’est pas forcément une mauvaise idée de se reposer la question de ce taux dans 2 ou 3 mois, si les taux et l’inflation continuent à baisser.
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