Réduire l’échec historique du Congrès de Reims, incapable de dégager une majorité, à une querelle d’ego serait une erreur. Au-delà, de réels problèmes de personnes, en particulier autour de la personnalité de Ségolène Royal, les divergences se sont faites aussi autour de fractures profondes sur des thèmes historiquement importants pour les socialistes : l’Europe, les alliances et ce qui fonde la gauche, le militantisme et la réflexion politique.
Si on essaie de positionner les 4 principales motions présentées au Congrès selon un axe droite gauche, on trouve en partant de la droite la motion E (G Collomb et S Royal), la motion A (B Delanoë et F Hollande), la motion D (M Aubry) et enfin la motion C (B Hamon).
Si on accepte cette analyse (discutable certes mais au final certainement la moins fausse), on s’aperçoit qu’il n’y a pas de majorité possible sans la motion A, qui se trouve de fait au centre du système.
On pouvait imaginer les combinaisons suivantes :
A + E = 54%
A + E + D = 78%
A +D + C = 67%
On notera que Aubry et Hamon ne peuvent pas faire une majorité seuls mais que Delanoë et Aubry non plus, même s’il ne leur manque que 1 ou 2%
Les combinaisons A+ E ou A+ E +D auraient permis de regrouper ceux qui ont appartenu à toutes les majorités depuis 15 ou 20 ans au sein du PS.
La combinaison A + D + C, (c’est-à-dire TSS (tout sauf Ségolène) conduisait à mettre ensemble des gens qui ont toujours été opposés au sein du parti et qui l’ont été en particulier sur le référendum Européen. Certes, la motion D faisait déjà le regroupement de nonistes et de ouiistes, mais avec des gens (les fabiusiens) dont on a toujours pensé que le non était uniquement tactique, et qui s’étaient trouvé avec les autres pendant les années précédentes, en particulier sous Jospin. La distance entre les tenants de la motion A et une partie de la motion D (Rocard, Mauroy, les Strauss kahnien, Delors) d’un coté et les partisans de la gauche du PS de l’autre était manifestement trop forte, d’autant plus que les combats internes sur la Constitution Européenne ont laissé des traces.
Ce qu’il faut regarder pour comprendre ce Congrès, c’est pourquoi des gens comme Rocard ou Mauroy, Hollande, Delanoë, Jospin et Aubry ont un tel rejet de S Royal.
J’y vois trois raisons, plus fondamentales et partagées que les simples logiques de pouvoir des leaders en présence.
La première est la manière dont S Royal a traité le PS pendant sa campagne présidentielle.
La seconde tient aux alliances. La motion E propose de faire dans une première étape l’union de la gauche et dans une deuxième laisse la possibilité de s’allier sur la droite, en clair avec le MODEM.
L’alliance avec le MODEM est entendable par certains : après tout Rocard a gouverné entre 88 et 90 avec le soutien partiel de l’UDF, P Mauroy a respecté les centristes au sein de la métropole Lilloise et les sociaux démocrates ont construit l’Europe avec les Chrétiens démocrates. Une telle alliance est donc possible pour certains membres de la motion D, sans doute y compris son chef de file.
Mais ce n’est pas le cas de la plus grande partie des alliés de Delanoë, en particulier les Jospinistes, ou des fabiusiens au sein de la motion D. Ceux là sont sans doute d’accord pour dire avec Hamon que Bayrou est de droite. Pour une grande partie des vieux militants socialistes, cette étiquette dit tout. Ils ont un très fort sentiment d’appartenance à la gauche et même si on ne sait plus ce que cela signifie, il est clair que cela s’oppose à la droite. D’autant plus que pour certains, un élément principal de ce qui fonde la gauche, c’est la laïcité : un laïc ne s’allie pas avec un parti étiqueté comme chrétien démocrate. On ne change pas cette conviction d’un coup de baguette magique.
La troisième raison porte sur le militantisme. Je présume que ce que S Royal appelle la démocratie participative donne des boutons aux vieux militants socialistes. Non qu’ils répugnent à impliquer les citoyens : Delanoë a mis en place des conseils de quartier dès qu’il a été élu. Mais qu’ils ont une pratique de la discussion très éloignée des pratiques de Désirs d’Avenir !
Pour un vieux socialiste, le militantisme, ce sont des milliers d’heures a discuter, c’est une formation préalable, ce sont des contributions que l’on construit point par point, sur lesquelles on discute longuement. La contribution de Rocard pour le Congrès du Mans était à mon avis dépassée sur bien des aspects, mais c’était un véritable effort intellectuel, et un exposé particulièrement cohérent. Et surtout, le militantisme est ancré dans l’histoire de la gauche, avec ses références à Jaurès, Blum ou Mitterrand.
Pour de tels militants, un système qui fait appel à des adhérents à 20 euros, voire à de simples supporters, qui écrivent trois lignes sans faire de vrai effort de construction collective, une candidate qui exprime une idée parce qu’elle sent que c’est ce que les gens ont envie d’entendre aujourd’hui, mais qui pourrait dire le contraire demain, c’est absolument insupportable !
En 2006/ 2007, Royal a fait un malheur, parce que les sympathisants de gauche en avaient assez d’entendre un discours politique qui ne correspondait pas aux actes gouvernementaux, parce qu’ils voulaient dépasser le conflit constitutionnel, parce qu’ils voulaient sortir de la guerre des chefs.
Ce sentiment existe encore, c’est lui qui explique sans doute le score meilleur que prévu de la motion E. C’est sur lui que compte S Royal pour l’emporter jeudi ou vendredi dans le vote des militants.
Si la motion A l’avait emporté, elle aurait été légitime pour être le pivot d’une majorité A+D+E. Son échec a signé l’échec du congrès lui-même : ses leaders n’ont pas sur choisir une option de rechange et se sont réfugiés dans l’opposition. Demain, ils n’auront pas de candidat au poste de premier secrétaire et leurs militants vont se disperser entre les candidats. Là aussi, une page se tourne.
PS : sur le même sujet, on lira aussi le point de vue de Jules
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