Le conflit entre les journalistes de certaines publications du groupe Lagardère et leur direction à propos des sites Web est très révélateur des questions qui se posent aujourd’hui dans le monde de la presse quotidienne. Celui-ci vit une transformation qui met à mal son modèle économique sans que les principaux acteurs soient d’accord sur le nouveau modèle qui se profile.
L’équation économique est assez simple à établir : les recettes stagnent et les dépenses augmentent !
Les recettes d’abord. Ce sont essentiellement le paiement (à l’unité ou par abonnement) par les lecteurs et la publicité. Or il est difficile d’augmenter les prix quand les gratuits se développent. Et le lectorat est vieillissant : les jeunes vont sur le Net et/ ou lisent les gratuits. Les parts de marché sont rognés par les autres médias dans la publicité. Donc non seulement les recettes stagnent, mais on peut craindre à long terme qu’elles chutent sévèrement.
Par contre les dépenses augmentent. Le prix du papier, au-delà de ses soubresauts, risque de subir le sort de toute les matières premières. La distribution est particulièrement coûteuse en France. Restent les salaires, qui augmentent plus vite que l’inflation. Les salaires des ouvriers du livre et ceux des journalistes sont élevés au regard de ceux des autres professions. Donc, pour ajuster la masse salariale, il faut diminuer les emplois, ce qu’on a vu depuis des années dans la partie imprimerie, permettant de fait aux ouvriers de bénéficier de pré retraites. Mais le mouvement qui a permis de résorber une forte sous productivité, a ses limites.
Ce sont donc les journalistes qui commencent à être menacés dans leur emploi, comme on le voit dans les plans sociaux de Libération ou du Monde.
C’est dans ce contexte difficile que se situe la question de l’utilisation du travail des journalistes « papier » sur les sites Web. Les journalistes de Paris Match et du 3journal du Dimanche » ont massivement refusé de collaborer aux sites Web du groupe Lagardère. Faut il payer un journaliste pour écrire un article papier et le payer de nouveau si son article parait sur le site ? Au-delà du cas particulier du groupe Lagardère et de sa volonté de développer une structure Internet, la question est au cœur de l’éventuel modèle économique.
Pour les patrons de presse, une façon d’assurer l’avenir de leur entreprise et d’échapper à l’effet de ciseau recettes / dépenses, c’est de développer l’offre Internet. Mais de le faire à moyens constants, c'est-à-dire en utilisant les moyens du journal pour le site. Donc d’augmenter les recettes à dépenses constantes. Ce que les journalistes refusent, au risque de voir se développer un jour une offre Web seule, à l’exemple de ce qu’on a vu sur les gratuits. Internet ne semble pas rentable seul pour l’instant. Mais Médiapart ou Rue 89 s’en sortiront peut être un jour.
Derrière ces questions se profilent aussi des questions générationnelles. Les plus anciens ont surtout intérêt à ce qu’on continue les pré retraites. D’autant plus que certains ne se sentent pas vraiment à l’aise face au nouveau média. C’est évidemment le contraire pour les plus jeunes. Pour ceux entre deux, l’avenir est potentiellement sombre.
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