Alors que Maître Eolas nous narre avec sa verve habituelle la condamnation en référé du site note2be.com, SM chez les Econoclastes attire notre attention sur un article de Télos.eu et une phrase sur le salaire des profs, « salaire d’appoint » pour un « métier de femmes ».
Peut on et comment évaluer et reconnaître les professeurs ?
Le sujet est vaste, je ne tiendrais pas en un article, surtout si je veux ordonner son traitement !
Commençons d’abord par la question abordée par Touria Jaaidane et Robert Gary-Bobo dans leur article sur Télos : ils ont montré il y a un an dans une étude qui m’avait fait réagir (à tort) que les rémunérations des enseignants (à statut et ancienneté égale) ont baissé d’environ 20% depuis 1982. Ils reprochent à la présentation du rapport Pochard de jouer sur l’ambiguïté de la prise en compte de l’ancienneté : le salaire moyen (qui est marqué par la pyramide des âges et celle des qualifications) a lui augmenté régulièrement, même si c’est de manière faible : 0.74% par an pour les enseignants du 2ème degré.
Ils m’ont surtout fait découvrir une autre étude, celle de Dominique Goux et Eric Maurin pour le CEFREMAP, qui porte sur la même période mais fait des comparaisons avec d’autres catégories professionnelles : les cadres et professions intermédiaires du privé. Les comparaisons avec le privé montrent ce que j’avais avancé dans un article il y a un an : l’évolution de la situation des enseignants est assez comparable à celle de professions comparables. J’avais estimé que l’une des explications était la baisse de place relative dans la hiérarchie des diplômes, liée à la forte augmentation de diplômés en licence et au-delà depuis 25 ans. On lira avec intérêt le tableau 8 page 18 de l’étude qui va exactement dans ce sens. On peut reprocher à Gary Bobo et son équipe de n’insister que sur le facteur ancienneté et de négliger le facteur technicité.
On découvre aussi à la lecture que la différence entre la rémunération des professeurs et celles des autres cadres du public a par contre notablement augmenté. Cet écart s’explique essentiellement par les indemnités et primes. Une note page 4 précise que les enseignants du secondaire ont un traitement brut inférieur de 10% de celui des autres cadres A mais un traitement net inférieur de 47% !. Cela signifie que si les enseignants ont 10% d’indemnités et primes, les autres cadres A en ont prés de 80% ! Au-delà, de la question du montant de la rémunération, cette part très importante des indemnités et primes pour les cadres A participe d’un flou qui n’est pas particulièrement sain.
Mais venons à un point essentiel : la rémunération des professeurs est elle à son bon niveau ? Un tableau de la DARES que j’avais déjà cité montre que 13.6% des actifs de 2002 avaient un bac+3 ou plus. Les enseignants se trouvant tous dans cette catégorie, si le diplôme était le seul critère de rémunération, ils devraient se retrouver dans les 13.6% les mieux payés. Or l’étude de Goux et Maurin dans son tableau 8 déjà cité nous montre que 18.6% seulement des professeurs du secondaire font partie des 10% des salariés les mieux payés et que 28% des enseignants du primaire appartiennent aux 20% les mieux payés. Le rapprochement de ces deux types de données nous conduit à conclure que les enseignants sont moins bien rémunérés qu’on pourrait s’y attendre en ne regardant que le diplôme.
Un mot peut être sur la rémunération elle même : après tout, le montant du salaire des professeurs n’est pas connu par cœur par tous les français ! Mais l’Education Nationale nous fournit obligeamment l’information sur son site. Attention, il s’agit de salaire net, qui est bien ce qui sert à la fin du mois, mais qui n’est pas l’information usuellement présentée dans le privé. Un enseignant (non agrégé) gagne donc par mois 1300 euros par mois comme stagiaire, 1500 € comme débutant, de l’ordre de 2300 € au bout de 20 ans et il peut aller jusqu’à 2921€ au bout de 30 ans s’il a toujours été très bien noté.
Tout cela n’est effectivement pas très folichon, si je compare à certains salaires pratiqués dans le privé. Le salaire de fin de carrière est loin d’être ridicule mais celui de début est vraiment en bas du tableau. On notera au passage que la rémunération des enseignants ne dépend pas de leur filière, ce que l’on comprend aisément, alors que le marché du travail peut être extrêmement discriminant dans ce domaine. Pour faire simple, si vous avez un bac + 5 en maths, il y a de nombreux emplois beaucoup plus rémunérateurs que celui de professeur pour vous, si c’est en histoire ou en philosophie, c’est nettement moins vrai.
L’article de Télos met en avant la féminisation du métier comme facteur de dévalorisation de la profession. Cet élément réel a deux causes évidentes : la montée de la proportion de filles parmi les diplômés (57% des nouveaux bacheliers sont des bachelières) et l’intérêt porté par de nombreuses femmes à des horaires scolaires, dans un pays où malgré tous les discours, le temps consacré aux enfants n’est pas le même de la part des femmes et de la part des hommes.
Il faut en effet parler de la durée du travail quand on parle de rémunération. Sujet épineux, d’autant que l’organisation du travail des enseignants est pour partie incontrôlable. Il y a de manière évidente une variété non négligeable dans les pratiques.
Je me souviens cependant avoir lu au début des années 80 des points de vue enseignants pour expliquer qu’ils faisaient au moins 39h par semaine alors que 20 ans après les explications justifiaient 35 heures (mais peut être les heures supplémentaires ont-elles diminué). Je propose d’admettre ce chiffre. Il faut y ajouter le fait qu’il y a 36 semaines d’ouverture des établissements quand un cadre au forfait travaille environ 45 semaines par an et qu’il fait généralement nettement plus de 39 heures par semaine.
La prise en compte de cette dimension devrait replacer les enseignants nettement plus près de la moyenne de leur catégorie de diplôme, sans en faire pour autant des favorisés : ils resteraient à mon avis un peu en dessous de cette moyenne.
Bon tout cela étant déjà assez long, la suite la prochaine fois !
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